Si l’OTAN n’est pas entièrement égale aux Etats-Unis d’Amérique (EUA), alors tant le Brexit que la future présidence américaine de Donald Trump affaiblissent l’Alliance atlantique. Voyons les deux cas, l’un après l’autre. Commençons par le Brexit.
Rappelons d’abord quelques dates clefs. De 1962 à 1973, le Royaume Uni (RU) pose deux fois sa candidature à l’adhésion à ce qui devient plus tard l’Union européenne (UE) mais deux fois elle est refusée, puis une troisième tentative réussit après un referendum. A partir de 1979, avec le gouvernement de Thatcher et ses successeurs démarrent des revendications britanniques au détriment de l’intégration européenne. En 2007/8, la crise économique et bancaire éclate notamment par le biais de la Cité londonienne. Entre 2012 et 2016 est annoncé et réalisé le référendum qui ferait sortir le RU de l’UE dans les années à venir.
On a beaucoup polémiqué sur ce référendum un peu bizarre du point de vue de la politique intérieure. Constatons que parmi les causes on cite le rejet de l’élite politique et socio-économique arrogante (comme aux EUA), les sentiments et attitudes non européens et proaméricains de la majorité, des salaires réels en baisse depuis des décennies, des inégalités croissantes, etc. Les questions d’avenir se posent également quant au maintien du RU dans sa structure actuelle, au déclin socio-économique et à la pauvreté croissante, à la perte du privilège (« passeport bancaire européen ») de la Cité, etc. Par rapport à notre propos retenons que le résultat fut imprévu et qu’il n’y a pas eu de plan B disponible. Le nouveau gouvernement est dès lors considéré comme fragile et il cherche encore sa voie.
Quoi qu’il en soit, le RU y perdra en fonction des négociations avec l’UE mais il n’est guère possible d’en évaluer l’importance. L’UE y perd un pays si elle le considère comme faisant nécessairement partie de l’Europe. L’UE y est gagnante car elle échappe à l’emprise de « Five Eyes » anglo-américains et à « l’espionnage britannique » systématique en faveur de Washington dans les affaires qui relèvent de l’UE. Le Brexit pourrait favoriser des avancées politique, socio-économique, culturelle de l’intégration européenne.
Les pays à dominante proatlantiste tels que la Belgique ou la France ou encore les pays d’Europe centrale et orientale perdent un allié proaméricain et un allié européen néolibéral. Certes, l’euro pourrait se renforcer à moyen terme et la gestion de l’immigration rendue plus aisée. Les cinq ou six pays neutres de l’UE garderaient plus facilement leur position et gagneraient en influence.
Sur le plan mondial et sans l’appui de l’UE, le RU n’est même plus une puissance régionale. Dès à présent, les ministres des affaires étrangères des pays membre de l’union se voient, sans les Britanniques, régulièrement mais « informellement ». Cependant, le RU garde une position stratégique à l’instar du Japon dans le contrôle physique de Washington à l’est et à l’ouest de l’Eurasie (bases militaires, proximité géographique, accès facile, etc.). Les « relations spéciales » avec les EUA s’affaiblissent cependant car l’utilité du RU se réduit par le fait du Brexit et du fait que, pour les EUA, le RU fut toujours la porte d’entrée à l’UE !
On peut considérer que l’OTAN en tant que telle s’affaiblira avec la sortie du RU de l’UE.
Cet affaiblissement fait suite aux divergences croissantes parmi les pays membres de l’UE depuis les invasions américaines de ces dernières décennies. La propagande américaine russophobe et les gesticulations diplomatico-militaires de l’OTAN ne servent principalement qu'à dissimuler ces divergences. Il demeure que, diplomatiquement et militairement, Washington sans l’OTAN reste très actif au centre de l’Europe comme par exemple, en Ukraine, en Géorgie ou au Bélarus.
Passons à présent au deuxième sujet de notre investigation. Aux élections présidentielles, le candidat Trump a qualifié l’OTAN d’« obsolète » et « dépassée ». Selon lui, l’Amérique n’a plus les moyens de protéger les pays en Europe, sans une compensation financière adéquate. Il a suggéré un retrait des forces américaines des pays européens concernés si ceux-ci refusaient de payer leur juste part, en augmentant leur contribution financière. Enfin, il veut réorienter les missions de l’organisation sur la lutte contre le terrorisme plutôt que la dissuasion contre la Russie. C’est comme si Washington se réservait la tâche d’encercler la Russie pour mieux contrôler le processus comme il l'a en Ukraine en 2014.
Quelques remarques s’imposent. Il est vrai que l’OTAN a perdu sa légitimité depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Par ailleurs, Trump parle de « protéger les pays d’Europe », alors que d’aucuns suggèreraient plutôt le fait de contrôler les pays de l’Europe en tant qu’une zone d’influence des EUA. De plus, comme on le sait, les EUA ne se sont jamais engagés pour défendre automatiquement l’Europe. Selon l’expression du fameux article 5, ils assisteront « la partie ou les parties attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire » (c’est moi qui souligne).
Du reste, si l’on croit aux enquêtes d’opinion, la majorité de la population des pays membres européen ne serait guère choquée si elle devait assister au retrait des forces américaines de leurs territoires. Enfin, certains pays membres de l’OTAN férus de l’interventionnisme militaire tels que la France ou la Belgique sont déjà impliqués dans « la guerre au terrorisme » illégale. Nonobstant, il est peu probable que l’organisation en tant que telle change de missions.
A l’instar des présidences de Reagan et de Bush II, celle de Trump fera diminuer le nombre d’Européens d’opinion proaméricaine devant les messages et les actes discutables de Trump et dès lors sera susceptible d’accroître l’autonomie de l’UE. Si ceci se vérifiait, on pourrait le tester dans trois domaines au moins : le maintien ou la remise des sanctions contre la Russie qui punissent avant tout les Européens ; la mise en place progressive d’une « armée européenne », sous une forme ou autre, peut-être même facilitée par le Brexit ; l’abandon tacite des négociations sur la création transatlantique d’une zone de « libre échange ».
Il est remarquable qu’au lendemain même des élections en question, le président de la Commission de l’UE, Juncker, insiste sur la mise en place de mécanismes communs de défense dans l'UE, après les propos de même contenu récemment tenus par la ministre allemande de la Défense. Le 23 novembre 2016, les députés du Parlement votent enfin la résolution sur les efforts de coopération à accomplir en matière de sécurité et de défense, ouvrant la voie à une Union européenne de défense. Paris et Berlin iraient même plus loin en préconisant la création d’une "Coopération structurée permanente" réservée à la sécurité et à la défense de quelques pays membres de l’UE. Fin novembre 2016, le même Juncker énonce le principe: „pas de système de sécurité en Europe sans la Russie”.
En somme, malgré les apparences otanesques et les initiatives militaires de Washington, l’avènement de Trump à la présidence des EUA sera accompagné de la poursuite de l’ébranlement progressif de l’OTAN auquel le Brexit ne ferait que contribuer à sa façon