Comme dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, le sentiment prévalait en Serbie que l’adhésion à l’OTAN représentait une étape de l’« intégration euro-atlantique », un préalable d’une adhésion à l’UE, donc un pas vers la relative prospérité dont jouit l’ouest du continent. Evidemment, la Serbie a la particularité d’avoir subi, pendant près de dix ans, de sévères sanctions économiques de la part de l’Occident et d’avoir été bombardée pendant 78 jours par l’aviation de l’OTAN. Ces souvenirs sont encore vivaces dans la population.
Néanmoins, depuis le renversement de Milosevic en 2000, les divers gouvernements successifs ont tous ardemment défendu l’adhésion à l’OTAN et à l’UE auprès de leur population. Dans ce but, ils ont cédé à la plupart des exigences de l’Occident, privatisant de larges pans de leur économie et livrant au Tribunal de La Haye la plupart des inculpés pour crimes de guerre réfugiés en Serbie. En récompense, le pays a accédé fin 2006 au Partenariat pour la Paix, programme de coopération militaire considéré comme une antichambre de l’OTAN. Avec une profonde restructuration de son armée en cours et le développement d’une coopération étroite avec les Etats-Unis (en particulier avec la Garde nationale d’Ohio), la Serbie semblait bien placée pour une adhésion accélérée à l’OTAN. Seul caillou dans la chaussure, le cas du général Mladic, toujours en liberté, peut-être en Serbie.
Notons qu’un processus similaire est en cours dans les relations avec l’UE. Après une année d’interruption pour cause de mauvaise coopération avec le Tribunal de La Haye, Bruxelles et Belgrade ont repris leurs pourparlers et sont sur le point de conclure un Accord de stabilisation et d’association, préalable à une candidature officielle à l’Union. Entre-temps, Carla Del Ponte, procureure du Tribunal de La Haye, avait remis des rapports – enfin positifs – sur la coopération serbe avec son institution. Il est clair que tout cela visait d’abord à amadouer Belgrade et à l’amener à adoucir son refus de concéder l’indépendance au Kosovo. En vain, car la position serbe ne s’est pas infléchie et semble même plus ferme que jamais.
En outre, l’objectif de l’adhésion à l’OTAN ne fait plus l’unanimité dans la coalition gouvernementale. A partir du mois d’août, les ministres du Parti démocratique serbe (DSS), puis le Premier ministre Kostunica, ont fortement critiqué le soutien de l’OTAN au plan Ahtisaari et, en particulier, l’annexe 11 du plan prévoyant privilèges et immunité aux troupes de l’OTAN. Certains ministres y ont vu la volonté de créer, autour de la méga-base de Camp Bondsteel, un « Etat-OTAN », un « Etat fantoche militarisé ». Les bombardements « illégaux » et « impitoyables » de 1999 ont été rappelés et, finalement, le DSS décidait le 15 septembre de s’opposer à l’adhésion du pays à l’OTAN et se contenter du Partenariat pour la Paix. Dix jours plus tôt, le gouvernement avait retiré l’adhésion à l’organisation euro-atlantique de la liste de ses objectifs dans le cadre de ce programme. Un geste qui n’a pas la portée de celui de De Gaulle en 1966, mais qui n’en demeure pas moins une première parmi les Etats candidats.
Les deux autres partis gouvernementaux, nettement plus pro-occidentaux, ont dénoncé la « rhétorique anti-OTAN » du DSS et certaines rumeurs évoquent une coalition de rechange entre ce dernier et la principale force de l’opposition, le Parti radical (SRS), dont le chef croupit à La Haye, accusé d’avoir organisé des milices pendant les guerres de Croatie et de Bosnie.
Si les motivations politiciennes sont loin d’être absentes et si l’annexe 11 apparaît comme un prétexte (le DSS a commencé à protester près de cinq mois après la publication du rapport d’Ahtisaari qui, concernant la force de l’OTAN, ne faisait que confirmer les conditions en vigueur depuis le début de l’occupation), l’impopularité de l’OTAN est plus perceptible que jamais en Serbie. Pour expliquer le choix de son parti, Kostunica a souligné l’importance de la neutralité militaire et assuré que son pays ne participerait jamais aux aventures de l’OTAN en Irak et Afghanistan. Mais, avant tout, c’est le rôle néfaste joué par cette organisation au Kosovo qui a été rappelé. Après tant d’humiliations, une telle réaction peut apparaître bien naturelle. Mais elle laisse aussi présager que la « bataille du Kosovo » est loin d’être terminée et qu’elle marquera, quoi qu’il advienne, de profondes empreintes sur l’avenir de l’Europe.