Alerte Otan n° 3 - Novembre 2000
Élections en Yougoslavie : Quand les crédits succèdent aux bombes

Des foules immenses dans les rues de Belgrade, aujourd'hui, comme dans celles de Prague hier, de Bucarest avant-hier ou encore de Managua bien plus loin. Ces foules avec drapeaux et fumées ont quelque chose des ballets d'ombres de la caverne de Platon, mais sont-elles toujours le témoignage d'un fond et un parcours démocratique ? Qu'y a-t-il derrière ces ombres  ?

Slobodan Milosevic c’est fini, il s'en va, et les grands de ce monde - Clinton, Chirac, Allbright, Jospin - parlent du "triomphe de nos valeurs". Mais quelles valeurs ? Et quelles méthodes pour quel triomphe? Un regard rétrospectif nous conseillera peut-être plus de modestie.

Au printemps 99, au plus fort des bombardements, quand ceux-ci visaient des objectifs civils tels que des lignes d'alimentation électrique, des réseaux d'approvisionnement d'essence, des ponts et voies de communication, le général de l'US Air Force Michael Short déclarait avec un remarquable franc-parler : "Je suis persuadé que si les gens n'ont pas de courant pour faire marcher leur frigo, de gaz pour leur cuisine, s'ils ne peuvent pas aller au travail parce que les ponts sont cassés et s'ils n'arrêtent pas de penser aux bombes qui peuvent tomber à tout moment, le temps viendra où ils vont se dire qu'il faut en finir avec tout ça" "Ça", c'était en l'occurrence le régime de Belgrade.

Tel était son plaidoyer pour justifier le volet civil de la geste "humanitaire" de l'OTAN, elle-même fondée sur des présomptions qui se sont révélées fausses et qui cachaient les vraies motivations des agresseurs. Ainsi, dans l'esprit du général, si les raids aériens sur les objectifs militaires ne suffisaient pas, les attaques pour priver d'électricité, de transport, d'eau, pourraient peut-être, avec le soulèvement de la population, provoquer la chute du président le plus diabolisé au monde.

De cette manière, et probablement sans le savoir, notre général était en train d'énoncer - au-delà de sa peu diplomatique phrase - les bases de la nouvelle doctrine des relations internationales, le mode d'emploi des crises à venir quand les grandes puissances décideront de se débarrasser de quelqu'un. Et nous verrons que d'autres personnalités, avec des manières bien plus distinguées, n'ont fait qu'appliquer cette doctrine de façon, parfois, plus barbare.

M. Hubert Vedrine, Ministre français des affaires étrangères et, à ce titre, actuel responsable de la politique extérieure européenne, prit le relais du général une fois que celui-ci eut fini sa tâche bombardière. Il annonça que si les Yougoslaves voulaient avoir des crédits, s'ils voulaient qu'on reconstruise les bâtiments et édifices abattus, c'est-à-dire s'ils voulaient que les pays qui les avaient détruits reviennent dans le rôle, cette fois, de constructeurs (moyennant contrats), il fallait... voter pour l'opposition.

Pour bien illustrer la leçon, nos illustres démocrates et humanistes décidèrent que seules les villes et les villages yougoslaves sachant voter recevraient des aides. Que les fournitures de combustible pour se chauffer l'hiver seraient réservées aux communes préférant l'opposition. Que si les Serbes aspiraient à avoir accès aux crédits pour goûter au style de consommation de l'american way of life, ils devaient, insistait le Ministre, bien voter, c'est-à-dire voter pour le candidat de sa collègue Madeleine et en finir ainsi, une fois pour toutes, avec la dernière parcelle du territoire européen pas encore mondialisée ni otanisée.

Comme si les bombes et les discours ne suffisaient pas, joignant les devises à la parole, une gigantesque manne de dollars s'abattit sur la Yougoslavie pour financer tout opposant réel ou virtuel, possible. Les services d'intelligence et les grands financiers avec, en tête, le combattant suprême des valeurs "démocratiques" (et de ses cotations en bourse) Georges Soros, firent preuve, il faut le reconnaître, d'une générosité sans bornes.

Bien plus grave, les deniers publics de l'Union européenne furent aussi mis à contribution - sans, bien entendu, la moindre consultation des contribuables - pour concourir à ces agissements si peu honorables; pour pratiquer cet apartheid "nouvelle formule" qui consiste à attribuer aux aides la fonction de récompenser ou de punir les choix électoraux des populations.

Curieux spectacle, mélange de discours moralisateurs et de pratiques douteuses. Médiocre entreprise cherchant à affaiblir un peuple, pourtant récidiviste de résistances, pour ensuite, une fois qu'il est fatigué et meurtri, lui donner l'occasion, rétribuée, de choisir "librement" sa capitulation. Voilà comment se forgent aujourd'hui les tristes "victoires démocratiques" de M. Clinton et ses collègues européens.

Triste victoire, en effet, que celle obtenue via les salaires de la peur, ou, pire encore, via les salaires, trompeurs, de l'espoir. Triste pédagogie que celle d'acteurs publics pratiquant un détournement si grave de la nature même de l'acte de voter. Triste silence des prédicateurs attitrés de la moralité publique et qui, ici et maintenant, n'entendent rien, ne voient rien, ne disent rien. Glucksman, Badinter, Levy, où êtes vous ?

Triste hommage enfin aux opposants à Milosevic, à ceux du moins qui sont mus par de sincères convictions démocratiques et qui se voient ainsi privés de gagner une compétition électorale sans devoir être tributaires des dollars de M. Soros et de la déontologie politique commune à Monsieur le Ministre et à Monsieur le Général.

Vladimir Caller