26 juin 1945 : Ils étaient en guerre, mais voulaient la paix…
Et c'est pour préparer la paix, et dans l'espoir, une fois celle-ci établie, d'éviter tout retour de la guerre, que cinquante pays ont signé, à San Francisco, la Charte des Nations-Unies.
Par cette Charte, ils se déclaraient résolus "à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances, à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international, à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande."
4 avril 1949 : ils disent vouloir la paix… mais prétextent de valeurs propres pour mener à part leur politique de défense …
Moins de quatre ans après la création de l'ONU, douze États, deux outre-Atlantique, États-Unis et Canada, et dix d'Europe occidentale, Belgique, Danemark, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni, fondent déjà une Alliance hors ONU, l'OTAN. Trois de ces pays fondateurs : USA, Royaume-Uni et France, sont membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui les met en situation d'opposer un veto au cas où les visées de leur Alliance entreraient en contradiction avec les décisions de l'ONU.
Dans le préambule du traité, ils réaffirment certes "leur foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et leur désir de vivre en paix avec tous les peuples et tous les gouvernements…". Mais ils entendent surtout se démarquer, sous prétexte de valeurs qui seraient leur "propre", d'autres signataires de ladite Charte de l'ONU, dont l'URSS et la Chine – lesquels avaient pourtant contribué considérablement à la victoire commune des Alliés. " : s'affirmant "Déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit. Soucieux de favoriser dans la région de l’Atlantique Nord le bien-être et la stabilité. Résolus à unir leurs efforts pour leur défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité…".
Ils s'autorisent, pour ce faire, de l'art. 51 de la Charte ONU : "Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales..."
D'entrée de jeu, un accroissement des moyens militaires est visé : "Afin d’assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité, les parties, agissant individuellement et conjointement, d’une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens en se prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée". (article 3). Par l'article 5, "Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties…," et que, "si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord…."
Les États membres prévoient qu'ils avertiront l'ONU des actions en question mais qu'ils pourront y procéder sans attendre de feu vert de celle-ci : "Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales."
14 mai 1955 : signature du pacte de Varsovie
Ce n'est que six ans après la signature du Traité fondateur de l'OTAN, le 14 mai 1955, et après que l'Allemagne de l'Ouest ait intégré l'OTAN, que huit pays de l'Europe de l'Est, URSS, Albanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, RDA, Roumanie et Tchécoslovaquie signent le pacte de Varsovie. Celui-ci ne durera que 36 ans ; l'arrivée à la présidence de l'URSS, en 1985, de Mikhaïl Gorbatchev, ouvre la porte à une série d'événements, dont la réunification de l'Allemagne en octobre 1990, qui accroît l'aire de l'OTAN du territoire de la RDA ; la dissolution du pacte de Varsovie le 1er 1uillet 1991, et l'autodissolution de l'URSS, le 26 décembre 1991.
A partir de 1991 : OTAN : le "Drang nach Osten"
Face à la disparition de l'URSS, qu'elle s'était désignée comme adversaire justifiant sa création, l'OTAN n'envisage nullement de prendre du repos, bien au contraire. En 1991, elle comptait seize membres. Quatre pays avaient rejoint les douze fondateurs : Grèce et Turquie en 1952 ; Allemagne de l'Ouest en 1955, Espagne en 1982, sur une période de quarante ans. Mais, entre 1999 et 2024, elle double le nombre de ses membres, passant de 16 à 32 membres : 1999 : République Tchèque, Hongrie et Pologne ; 2004 : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Romanie, Slovaquie et Slovénie ; 2009 : Albanie et Croatie ; 2017 : Monténégro ; 2020 : Macédoine du Nord ; 2023 : Finlande ; 2024 : Suède. Et elle guette tout état susceptible de se détacher de l'orbite de la Russie.
Elle va étendre également l'aire géographique de ses interventions : bien loin de l'Atlantique nord, et non pas pour venir à la rescousse d'un des ses pays membres, comme le prévoit son article 5 : elle, ou certains de ceux-ci, interviennent notamment en Irak (1991) en Bosnie (1992 – 1995) , au Kosovo (1999), en Afghanistan (2001à 2020) ; de nouveau en Irak (2003) ; et en Libye (2011).
De 1949 à 2025 : Huit concepts stratégiques.
L'OTAN modifie sa politique et ses modes d'action en fonction du contexte international et les traduit en "concepts stratégiques", lesquels précisent ses "moyens de répondre aux menaces et défis de sécurité actuels, et guident son évolution politique et militaire future afin qu’elle soit également prête à faire face aux menaces et défis de demain".
Ces huit textes témoignent aussi de l'état d'esprit dans lequel l'OTAN appréhendait les aléas des relations internationales. Par exemple, L’OTAN commente, à propos du cinquième, celui de 1991, juste après la dissolution de l'URSS, qu'il "ne repose pas sur une logique de confrontation. Il y est indiqué que si la sécurité des pays membres demeure l’objectif fondamental de l’OTAN (défense collective), l’Organisation doit aussi œuvrer en vue d’améliorer et de développer la sécurité dans l’ensemble de l’Europe grâce au partenariat et à la coopération avec les anciens adversaires. Par ailleurs, ce concept prévoit que l’usage des forces nucléaires soit limité au niveau minimum suffisant pour préserver la paix et la stabilité."
Changement total de ton, en avril 1999. avec l'intervention au Kosovo comme point de mire : un nouveau (sixième) concept stratégique définit de nouvelles missions militaires dévolues à l'OTAN. Alors que les articles 5 et 6 du traité stipulent que l'usage de la force armée est prévu au sein de l'OTAN uniquement dans le cas de légitime défense et que cet usage est limité à la réponse aux actes d'agression armée se déroulant dans la zone euro-atlantique, le nouveau concept dépasse ce cadre ; se basant sur une conception élargie de la sécurité, la nouvelle doctrine autorise les armées des États membres à remplir des missions autres que celles strictement liées à la défense de l'intégrité territoriale de l'Alliance, à savoir des missions de dissuasion (ou de prévention), soutien à la gestion de crises, maintien de la paix et aide humanitaire. C'est ce qu'on appelle les "missions non-article 5."
Ce qui pose un problème d'articulation entre le droit de la Charte des Nations-Unies, que l'OTAN affirme vouloir respecter, et ce nouveau concept stratégique. L'article 51 de la Charte ONU reconnaît, nous l'avons vu, le droit d'user de la force pour repousser une agression dont il ferait l'objet. Et ce, à condition que "...les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense (soient) immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales." Par contre, toute action armée coercitive ne relevant pas de la légitime défense doit être dûment autorisée par le Conseil de Sécurité, que cette action soit menée par un ou plusieurs États ou par une organisation internationale régionale.
En ce qui concerne la Yougoslavie, certaines missions avaient été dévolues par l'ONU aux forces de l'OTAN (résolutions du Conseil de sécurité adoptées en 1992 et 1993). .
Par contre, l'opération "Force Alliée", lancée par l'OTAN au Kosovo, le 24 mars 1999, qui s'est poursuivie pendant 78 jours, jusqu'au 10 juin 1999, sous prétexte de "faire cesser la violence et mettre fin à la catastrophe humanitaire qui frappe maintenant le Kosovo", s'est déroulée sans mandat du Conseil de Sécurité. Ce qui a provoqué des divergences de vue entre les membres de l'Alliance, les USA refusant quant à eux toute limitation du rôle de l'OTAN, qu'elle provienne des règles de l'ONU ou qu'elle vise la compétence géographique prévue dans son propre traité.
28-30 juin 2022, Madrid : "Objectif 360 degrés"
C'est le nom donné par l'OTAN à son "petit dernier", né lors du sommet du 28 au 30 juin 2022, trois mois après l'entrée des troupes russes en Ukraine.
"Approche à 360 degrés" signifie que l'Alliance entend évaluer et répondre aux menaces et aux défis de sécurité dans toutes les directions, couvrant tous les milieux (terrestre, aérien, maritime, cyber et spatial), et sur l'ensemble du territoire et des partenariats de l'OTAN - soit 35 pays non membres et toute une série d’organisations internationales. L’Alliance compte dialoguer et coopérer avec ces partenaires sur un vaste éventail de questions politiques et de sécurité, y compris sur des défis de portée mondiale comme le terrorisme, les situations d’urgence dans le domaine civil et les cyber attaques.
Les partisans du refus de toute limitation du rôle de l'OTAN ont bien avancé leurs pions. Y aura-t-il des pays membres, et lesquels, pour tenter de faire prévaloir, dans les actes, et pas seulement dans les paroles, l'article 103 de la Charte ONU, lequel prévoit : "En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront" ?