Alerte Otan n° 97
4ème trimestre 2025
Maria Machado, Prix Nobel de la guerre

Marcos Garcia et Maurice Lemoine

Le choix du Comité Nobel, en plein déploiement militaire étatsunien dans les Caraïbes, de couronner une personne qui appelle à une intervention militaire contre son propre pays est, au-delà de son caractère insensé, une caution morale directe aux projets de l’administration Trump contre le Venezuela. Le Comité Surveillance OTAN avait organisé le 11 novembre dernier une rencontre-débat avec la présence de Maurice Lemoine, journaliste et auteur de référence sur l’Amérique Latine, et de Marcos Garcia, chargé d’affaires du Venezuela en Belgique.

La vidéo de la soirée sera bientôt disponible via notre site. Nous publions ci-dessous l’intervention de Mr Garcia (revue par lui), ainsi que l’opinion de Mr Lemoine publiée dans le journal l’Humanité, qui reprend une partie de ses propos lors de la soirée.

Modérateur : Le Comité Nobel justifie son choix pour « le combat [de Mme Machado] pour parvenir à une transition pacifique de la dictature à la démocratie ». Le Venezuela est-il donc une dictature ? Et Mme Machado va-t-elle apporter la démocratie?

Marcos Garcia : Pour répondre à cette question, il faut aller au-delà des discours médiatiques et regarder les faits politiques, les violences internes et les pressions internationales qui marquent ce pays depuis plus de vingt ans.

Le Venezuela : un pays où le peuple vote

Depuis 1999, le Venezuela a organisé 33 élections : présidentielles, parlementaires, régionales, municipales et référendums. C’est l’un des pays qui a voté le plus souvent en Amérique latine.

Et attention : L’opposition a gagné plusieurs fois. En 2007, elle a remporté le référendum constitutionnel. En 2015, elle a gagné la majorité à l’Assemblée nationale.

Mais paradoxalement, à chaque fois que le gouvernement chaviste gagne, l’opposition refuse de reconnaître les résultats. Et très souvent, elle choisit la violence plutôt que le dialogue.

La violence politique de l’opposition

Revenons sur quelques faits : En avril 2002, un coup d’État renverse Hugo Chávez pendant 48 heures. Après, ils ont organisé une grève pétrolière en décembre 2002. En 2013, après la victoire de Maduro, des émeutes éclatent. En 2014, avec “La Salida”, certains dirigeants de l’opposition appellent à la mobilisation permanente pour faire tomber le président. En 2017, les manifestations deviennent dramatiques : un jeune homme, Orlando Figuera, est brûlé vif simplement parce qu’il était considéré comme chaviste. En 2019, soutenu par les États-Unis, Juan Guaidó se proclame “président par intérim”. Et encore en 2024, après une nouvelle défaite électorale, l’opposition tente une “révolution de couleur”.

Tout cela montre que, face à chaque défaite électorale, certains secteurs de l’opposition préfèrent la confrontation à la voie démocratique. Il convient de noter que toutes ces actions sont financées par les États-Unis et l’USAID.

Les pressions extérieures : les mesures coercitives unilatérales

Mais la pression ne vient pas seulement de l’intérieur. Elle vient aussi de l’extérieur — notamment des États-Unis et de l’Union européenne.

En 2015, le président Barack Obama signe un décret déclarant le Venezuela comme une “menace pour la sécurité nationale”. C’est le point de départ officiel des mesures coercitives unilatérales, qu’on ne peut nommer « sanctions » car c’est seulement le Conseil de sécurité de l'ONU qui peut décider des sanctions.

En 2017 sous Donald Trump, ces sanctions deviennent économiques et financières : le Venezuela est exclu du système bancaire international, ses avoirs sont gelés, et même CITGO, sa principale entreprise à l’étranger, est confisquée.

En 2019, les États-Unis reconnaissent Juan Guaidó comme président et imposent un embargo pétrolier total, privant le pays de ses revenus principaux.

Ces mesures coercitives unilatérales ont eu un impact énorme sur l’économie, sur les services publics et sur la vie quotidienne des Vénézuéliens. Cependant, nous avons réussi à surmonter la violence politique et la coercition économique pour vivre en démocratie.

Modérateur : La menace d’intervention militaire est-elle crédible, ou est-ce un simple moyen d’obtenir des concessions ?

Marcos Garcia : D’un point de vue géopolitique, les États-Unis ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur arrière-cour, suivant la Doctrine Monroe : « l’Amérique aux Américains ». C’est pourquoi ils cherchent souvent des prétextes pour intervenir dans les pays dont les gouvernements ne leur conviennent pas.

Dans cette logique, Trump a suivi un schéma similaire à celui de Bush après les attentats du 11 septembre 2001 : désigner des ennemis et justifier des mesures exceptionnelles de sécurité nationale pour affirmer le contrôle américain sur la région.

En janvier 2025, il a mis en œuvre un Ordre Exécutif, intitulé “Protecting the American People Against Invasion”, qui a permis de détenir 236 Vénézuéliens et de les envoyer dans une prison de haute sécurité au Salvador, sans aucun  jugement.

Depuis 2024, Trump a également qualifié le  “Tren de Aragua d’“Organisation Criminelle Transnationale, “Organisation terroriste étrangère” ou encore “Organisation terroriste internationale spécialement désignée” conspirant contre les États-Unis, alors que cette organisation n’est pas une organisation terroriste mais bien une organisation de délinquance commune. De plus, cette dernière a été démantelée au Venezuela en 2023 après une opération dans la prison de Tocorón, dans l’État d’Aragua.

En août 2025, Trump a ratifié l’accusation selon laquelle le président Maduro est à la tête du « Tren de Aragua », organisation ‘narcoterroriste’ et a augmenté la récompense pour sa capture à 50 millions de dollars.

C’est sous ce prétexte qu’il a autorisé en secret un ordre de déploiement de flottes militaires dans les Caraïbes et a attaqué par missiles de petites embarcations accusées de trafic de drogue, ce qui constitue une violation des droits internationaux. En effet, les traités internationaux prévoient que le trafic de drogue est un délit commun, qui doit être résolu par les corps de police et la justice.

Les États-Unis lancent des missiles sans preuves, et sans passer par un jugement ou procédure légale, ce qui constitue une violation du droit international. Ils ont également qualifié le président colombien Gustavo Petro de « narcotrafiquant » et menacé d’attaquer le territoire colombien et le territoire vénézuélien sous prétexte de mettre fin au trafic de drogue.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’attaque directe ? La situation géopolitique actuelle est très différente de celle de 2001. Les États-Unis manquent de consensus politique pour une intervention militaire. Les derniers résultats électoraux locaux - où le parti républicain a perdu au niveau régional et communal ne favorisent pas une action militaire impopulaire.

Par exemple, à New York, Zohran Mamdani, un maire immigré, musulman et de gauche a été élu, reflétant un changement politique qui complique toute décision agressive à l’étranger.

Même des membres du mouvement Maga comme Tucker Carlson sont contre l’incursion militaire au Venezuela.

Les États-Unis ne bénéficient pas du soutien des États latino-américains pour mener à bien cette intervention. Les mouvements populaires de la région soutiennent la révolution bolivarienne.

Le Venezuela dispose d'une organisation militaro-populaire-policière répartie sur l'ensemble du territoire et organisée localement, dotée d'armes légères et lourdes et capable d'agir de manière autonome en cas de besoin.

Maurice Lemoine : Menace d’agression étatsunienne, prétextes et réalités

Le 7 août, le ministère de la Justice américain a offert 50 millions de dollars à qui permettra de capturer Nicolás Maduro. Le président vénézuélien serait le chef d’un gang nommé Train d’Aragua et des « narcos » du cartel des Soleils. Pourtant, depuis les États-Unis, le National Intelligence Council (NIC) – qui regroupe 18 agences allant de la CIA au FBI en passant par la NSA – dément les allégations de Donald Trump à propos du Train d’Aragua. De son côté, et rapport après rapport, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) note le rôle marginal du Venezuela dans l’acheminement de la cocaïne – 5 % environ transitant par son territoire – et n’a jamais fait mention du cartel des Soleils.

Face aux côtes de la République bolivarienne, Trump a déployé huit navires de guerre, 4 000 « marines », un sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire et, depuis le 11 novembre, le USS Gerald R. Ford. Le porte-avions le plus grand et le plus avancé technologiquement au monde ! Des frappes aériennes contre des embarcations supposées transporter de la drogue ont déjà tué plus de 70 personnes sans défense – qu’elles soient ou non des narcotrafiquants. Des « exécutions extrajudiciaires », a dénoncé le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk.

Trump a autorisé le Pentagone à utiliser la force militaire contre les cartels de la drogue, rebaptisés « organisations terroristes étrangères ». Il a permis des actions clandestines de la CIA au Venezuela. Dès lors, tout est possible. De la provocation servant d’étincelle au déclenchement d’un conflit jusqu’à la « frappe de décapitation » – sachant que la supposée tête des supposés « narcos » s’appelle Maduro. On se gardera d’oublier les potentiels officiers vénézuéliens ou autres paramilitaires et aventuriers de tous calibres qui, appâtés par les 50 millions de dollars, chercheraient à neutraliser le chef de l’État.

À Oslo, un groupe de crétins endimanchés a fait de la cheffe de l’extrême droite vénézuélienne, Maria Corina Machado, un prix Nobel de la paix. Grande amie de Donald Trump, Javier Milei ou Benyamin Netanyahou, elle ne cesse depuis des années de réclamer des sanctions et une intervention militaire contre son propre pays. Participant par vidéo à l’America Business Forum (Miami, 5 et 6 novembre), Machado n’a pas cherché à occulter les plans sous-jacents : « Nous allons ouvrir le Venezuela aux investissements étrangers. Je parle d’opportunités de 1 700 milliards de dollars, pas seulement dans le pétrole et le gaz, qui sont des opportunités énormes, et vous le savez. Car nous allons privatiser (…) les gisements d’or, le secteur de l’énergie (…) sans parler du tourisme (…). Ça va être énorme ! (…) Nous allons ouvrir les marchés, nous apporterons toute la sécurité pour les investissements étrangers ainsi qu’un programme massif de privatisations et ces privatisations n’attendent que vous ! »

Vous avez dit « lutte contre le narcotrafic » ?

Extraits de L’Humanité, 17 novembre 2025