Voilà un livre qu'on souhaite voir entre toutes les mains des êtres parlants qui réfléchissent un peu. Cette perle, par exemple. Évoquant la thèse voulant que les États-Unis/Otan mènent en Ukraine une guerre par procuration contre la Russie, il y a ce joli contre-pied venant affirmer que c'est en réalité l'inverse, à savoir "une rébellion par procuration de la Russie et du 'reste du monde' contre les États-Unis."
C'est signé Fiona Hill, géopolitologue anglo-américaine, donnant conférence en mai 2023 et cela nous est servi sur un plateau d'argent dans le livre Les guerres annoncées - Le capitalisme c'est la guerre que Nils Andersson a publié en 2024 aux éditions Terrasses.
Perle naturellement car à force d'avoir, médiocres médias aidant, le nez sur le guidon, rivé sur les cartes d'états-majors et les faits et gestes des protagonistes du conflit en Ukraine, se trouve masquée la fracture géopolitique proprement sismique que cette guerre a cristallisée. Vu ainsi, ce n'est pas tant un bras de fer entre États-Unis/Otan et la Russie qu'un défi armé du "Sud global" dirigé contre le "Nord global" (atlantiste, occidental). Andersson le rappelle: lors des votes à l'Assemblée générale des Nations unies, ils étaient 52 États à ne pas soutenir la résolution anti-russe, 52 États qui représentent plus de 54% de la population mondiale et, mieux, deux tiers des populations d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud. Cela a toutes les allures, note-il, d'une "résurgence de la phase de décolonisation marquée par la tenue de la conférence de Bandung en 1955", mais donc, nota bene, une nouvelle phase, en gestation, à laquelle il convient d'être attentif.
Mais perle que l'ensemble de cet ouvrage, que ce soit pour la compréhension des ressorts du conflit ukrainien (c'est États-Unis contre Chine) ou israélo-palestinien ("Le 7 octobre 2023 est indissociable des soixante-quinze ans (...) d'occupation, de dépeuplement et de répression par l'État israélien"), pour l'analyse de la course aujourd'hui exponentielle au surarmement ou encore pour les lumières crues jetées sur "l'endoctrinement des opinions publiques aujourd'hui d'une intensité jamais connue". Certes, on peut juger discutable la caractérisation d'impérialiste appliquée tant aux États-Unis qu'à la Russie et la Chine sauf à ne pas y voir une interprétation militante mais, plutôt, une catégorie historique, bien sûr discutable et, partant, à discuter. En fin d'ouvrage, Andersson annonce une suite "que je n'écrirai pas": le poids des ans peut-être, né en 1933, ce tiers-mondiste impénitent n'est pas loin de l'âge des adieux, ce au terme d'une trajectoire pour le moins rocambolesque1. Ce sont quelque deux pages (vendues 12 euros) qui invite le crayon a beaucoup souligner. L'esprit critique, itou.
1. en raccourci, voir https://www.erikrydberg.net/articles/l%C3%A4stluread-a%C3%B4ugt