Ashraf Ghani fait ses adieux à Biden

M K Bhadrakumar
26 juin 2021

Lorsque le Roi reçoit formellement son vassal à son Durbar pour la première fois, c'est un moment de vérité qui signifie que l’on prend note de l'obéissance de ce dernier, tandis que le vassal espère une affirmation de sa légitimité.

Un président US doit recevoir vendredi (26 juin) le président afghan Ashraf Ghani à la Maison Blanche après un intervalle de quelque 6 ans. Le symbolisme est profond : Ghani est à Washington, alors que les Talibans resserrent l'étau sur Kaboul. Jeudi, Ghani s’est enfermé avec le directeur de la CIA William Burns pour une réunion de deux heures et demie.

Pourtant, en avril, lorsque le président Joe Biden a annoncé le retrait des troupes d'Afghanistan, il n'a pas jugé nécessaire d’en parler à Ghani au préalable. Le retrait des troupes est maintenant affevé à plus de 50%.

On attend peu de cette rencontre. Mais quand même, tout ne va pas bien dans le camp de Biden. Le Pentagone et la CIA n'ont jamais vraiment participé à sa décision de retrait. Ils cherchaient une présence illimitée en Afghanistan.

Ils ont maintenant saisi le prétexte de l'aggravation de la situation sécuritaire en Afghanistan pour présenter un scénario apocalyptique et justifier une sorte de présence militaire et de renseignement étatsunienne continue en Afghanistan, malgré que Biden proclame avoir mis fin à la «guerre éternelle».

Ghani doit également rencontrer au Pentagone le secrétaire à la Défense Lloyd Austin et peut-être d'autres responsables de l'administration. Pendant ce temps, le Pentagone explore comment les contractors américains (mercenaires) pourraient redresser l'armée démoralisée de Ghani.

Certes, en obtenant une audience au Bureau ovale, Ghani espère renforcer sa notoriété dans le souk afghan. Mais cela ne sauvera peut-être pas sa situation précaire à Kaboul. Les chefs de guerre afghans rebelles sont en train de se rassembler aux portes de Kaboul.

Ghani n'a aucune base de pouvoir et son comportement fantasque a aliéné la plupart des hommes d’influence en Afghanistan. Il y a seulement deux jours, l'éminent leader moudjahidine Ismail Khan (« l’émir d'Herat ») a accusé Ghani d'être le principal obstacle à la formation d'un consensus national.

Dans une interview accordée à l'Associated Press il y a une semaine, l'ancien président afghan Hamid Karzai a déclaré : « La communauté internationale est venue ici il y a 20 ans avec cet objectif clair de lutter contre l'extrémisme et d'apporter la stabilité… Ils ont donc échoué… Où nous laissent-ils maintenant ? Dans la honte et le désastre total. »

Karzai a ajouté : « Nous serons mieux sans leur présence militaire. Je pense que nous devrions défendre notre propre pays et prendre soin de nos propres vies. … Leur présence (nous a donné) ce que nous avons maintenant. … Nous ne voulons pas continuer avec cette misère et cette indignité auxquelles nous sommes confrontés. C'est mieux pour l'Afghanistan qu'ils partent. » cf https://apnews.com/article/joe-biden-afghanistan-ef29617f97733dee2b567cedfde2f064

De toute évidence, le moins que les États-Unis puissent faire maintenant c’est juste de s'en aller. Auparavant, Washington s'attendait à ce que les Talibans tolèrent à une certaine forme de présence étatsunienne continue en Afghanistan, et que le Pakistan puisse également y voir des avantages. Mais cela s'est avéré être un espoir illusoire.

Ainsi, l'administration Biden s'est éloignée d'Islamabad ces derniers temps, une fois qu'il est apparu qu'Islamabad est opposé à s’identifier avec la guerre en Afghanistan.

Puisqu'aucune capitale régionale n'est disposée à collaborer, Washington s'est concentré sur Ankara comme son nouveau partenaire indispensable. Une équipe étatsunienne a atterri jeudi à Ankara pour expliquer comment un contingent militaire turc à l'aéroport de Kaboul pourrait soutenir les opérations de sécurité en Afghanistan.

Washington flatte le néo-ottomanisme du président Erdogan. La Turquie a déjà des bases en Irak, en Syrie, au Qatar et en Libye, et envisage d'ouvrir une nouvelle base en Azerbaïdjan. Mais le Pakistan aura des sentiments mitigés sur une présence militaire turque à ses côtés. Et les Talibans ont fustigé les intentions d’Ankara.

Le moral des Talibans monte en flèche, car ils pressentent la victoire. Une circulaire adressée jeudi aux commandants militaires Talibans de Sirajuddin Haqqani, le chef adjoint de la Choura du mouvement, disait ceci: « La situation était militaire et djihadiste, mais maintenant vous entrez dans une situation civile… Le processus politique qui se poursuit sur le côté depuis ces 14 derniers mois ont été très significatifs… La bonne gouvernance est la nécessité du moment… Nous sommes dans une phase très délicate. »

Vendredi encore, coïncidant avec la visite de Ghani à la Maison Blanche, les Talibans ont publié une deuxième déclaration contenant des directives sur le traitement de tous les groupes ethniques de manière non discriminatoire, la manière de sécuriser les districts libérés et de protéger les bâtiments gouvernementaux, d'autoriser le commerce, de rouvrir les écoles et les hôpitaux, etc.

Clairement, les Américains ne peuvent pas faire grand-chose maintenant. L'analyste militaire chevronné du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington Anthony Cordesman a mis en plein dans le mille lorsqu'il a écrit cette semaine : « Le moment est venu de considérer l'Afghanistan comme perdu. Il n'y a aucun signe qu'un gouvernement afghan fort, unifié et efficace soit en train d'émerger. »

Selon Cordesman, qui fut consultant au Pentagone, « Aussi brutal que cela puisse paraître, il est tout simplement trop tard pour annuler le départ des forces américaines et alliées… Les États-Unis se sont déjà trop retiré. Trop de forces et de bases ont disparu, trop de capacités sont perdues et les Talibans ont déjà engrangé trop de gains. »

 « Des mesures telles que le maintien d'un petit nombre de conseillers militaires US en Afghanistan ou à proximité, la recherche d'un moyen de garder les sous-traitants militaires dans le pays, la fourniture d'un soutien limité en matière de conseil et de maintenance de l'extérieur, le renforcement des cadres du renseignement à Kaboul et près de l'Afghanistan – et toutes les autres approches désespérées pour fournir un soutien après le 1er septembre 2021 sont des mesures symboliques qui, au mieux, fournissent un voile politique au retrait. »  (cf https://intellivoire.net/lex-president-afghan-lheritage-americain-est-une-honte-et-un-desastre-total/)