Le spectre de la guerre hante l'Europe

M K Bhadrakumar
17 décembre 2021

Une semaine fatidique se termine aujourd'hui pour la sécurité internationale avec la publication par le ministère russe des Affaires étrangères des deux documents sur les garanties de sécurité que Moscou avait proposés à Washington comme base de discussions pour apaiser les tensions sur l'expansion de l'OTAN vers l'Est et pour arrêter les déploiements de l'alliance près des frontières de la Russie , notamment en Ukraine.

Sur les deux documents, l'un est un projet de traité avec les États-Unis qui contient les six dispositions suivantes :

  1. La Russie et les États-Unis n'utiliseront pas le territoire d'autres pays pour préparer ou mener des attaques l'un contre l'autre ;
  2. Aucune des parties ne déploiera de missiles à courte ou moyenne portée à l'étranger ou dans des zones où ces armes pourraient atteindre des cibles à l'intérieur du territoire de l'autre ;
  3. Les États-Unis ne doivent pas ouvrir de bases militaires dans les pays post-soviétiques qui ne sont pas déjà membres de l'OTAN, utiliser leur infrastructure militaire ou développer une coopération militaire avec ces États ;
  4. Aucune des parties ne déploiera d'armes nucléaires à l'étranger, et toute arme déjà déployée devra être restituée. Les deux parties élimineront toute infrastructure de déploiement d'armes nucléaires en dehors de leur propre territoire ;
  5. Aucune des parties ne procédera à des exercices militaires avec des scénarios impliquant l'utilisation d'armes nucléaires ; et,
  6. Aucune des parties ne formera du personnel militaire ou civil de pays non nucléaires à l'utilisation d'armes nucléaires.

Le deuxième document a la nature d'un accord multilatéral avec les pays membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Il contient également 6 dispositions, qui sont :

  1. L'OTAN ne doit pas s'étendre plus à l'est et doit s'engager à exclure l'adhésion de l'Ukraine ;
  2. L'OTAN ne déploiera pas de forces ou d'armes supplémentaires en dehors des frontières de ses membres à partir de mai 1997 (avant que l'alliance ne commence à admettre des pays d'Europe de l'Est) ;
  3. L'OTAN ne mènera aucune activité militaire en Ukraine, en Europe de l'Est, dans le Caucase du Sud ou en Asie centrale ;
  4. La Russie et l'OTAN ne déploieront pas de missiles à courte ou moyenne portée à portée de leurs territoires respectifs ;
  5. Toutes les parties s'abstiendront de mener des actions militaires au-dessus du niveau de la brigade qui seront confinées à une zone frontalière à convenir d'un commun accord ; et,
  6. Aucune des parties ne doit considérer l'autre comme un adversaire ou créer des menaces envers l'autre, et toutes les parties s'engagent à régler les différends de manière pacifique, en s'abstenant de recourir à la force.

Les propositions de la Russie sont fidèles à sa position déclarée énoncée de manière très détaillée et à plusieurs reprises au cours des derniers mois, recherchant des garanties de sécurité de la part de l'Occident dans le contexte des déploiements militaires à grande échelle des pays de l'OTAN dans les pays d'Europe centrale et les États baltes au cours des dernières années et, deuxièmement, au milieu des signes croissants que l'OTAN se prépare à une nouvelle expansion vers l'Est, qui pourrait inclure l'Ukraine, et la Géorgie.

Cette dernière partie est cruciale pour la sécurité de la Russie car il est presque certain que l'OTAN (lire les États-Unis) veut déployer des missiles nucléaires en Ukraine et en Géorgie, ce qui lui donnerait un avantage tactique décisif pour prendre la Russie par surprise en lançant une attaque nucléaire (puisque le temps de vol serait extrêmement court et le temps de réaction de la Russie s'en trouverait réduit d'autant, et, deuxièmement, les missiles tactiques de portée intermédiaire seraient en mesure de frapper profondément à l'intérieur du territoire russe).

Il est couru d’avance que les États-Unis n'accepteront jamais un traité de sécurité du type de celui proposé par la Russie, car l'élargissement de l'OTAN est une stratégie états-unienne à long terme pour obtenir un avantage unilatéral sur la Russie et faire pencher la balance stratégique mondiale en faveur de l'Occident, de façon à mettre Moscou sur la défensive dans ses affaires étrangères et de sécurité.

En somme, la stratégie occidentale consiste à imposer ses volonté [dictate] à la Russie à partir d’une position de force. Moscou a protesté. Mais l'OTAN et les États-Unis ont choisi d'ignorer les protestations de la Russie et ont continué à s'étendre par étapes depuis 1997. Aujourd'hui, une situation intolérable se présente pour la Russie comme les forces de l'OTAN sont pratiquement à ses portes. L'évolution de la situation rappelle la crise des missiles de Cuba en 1962 lorsque Washington a menacé d'arrêter militairement les déploiements de missiles soviétiques à Cuba.

La stratégie de l'administration Biden consiste à affaiblir tout d’abord la portée globale et la capacité stratégique de la Russie, puis à relever le défi de la montée en puissance de la Chine. L'administration Biden fait le pari que la Chine restera neutre dans la prochaine confrontation entre l'Occident et la Russie. Mais l'initiative du président Xi Jinping de tenir une réunion virtuelle avec le président Poutine mercredi a montré que Pékin soutenait la Russie.

Les propos du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Wang Wenbin à Pékin vont aujourd'hui dans cette direction. Fait intéressant, l'ambassadeur Wang répondait à une question précise de l'agence de presse Tass. Les extraits pertinents sont reproduits ci-dessous :

TASS : « Lors de sa rencontre virtuelle avec le président russe Poutine, le président Xi Jinping a déclaré que la Chine continuerait à mener une coopération flexible et diversifiée avec la Russie et d'autres États membres de l'Organisation du traité de sécurité collective, pour préserver la sécurité et la stabilité dans la région. Quels sont les défis auxquels la Chine et la Russie sont confrontées à cet égard ? Que peuvent faire la Chine et la Russie pour sauvegarder la sécurité régionale ? »

Wang Wenbin : « Le 15 décembre, le président Xi Jinping a eu une réunion virtuelle avec le président russe Poutine. Les deux chefs d'État ont eu un échange de vues approfondi sur des questions fondamentales et majeures d'intérêt commun, notamment la sauvegarde de la sécurité régionale, et sont parvenus à un nouveau consensus important.
 Le monde est témoin des forces combinées de changements et d'une pandémie sans précédent depuis un siècle dans un contexte de changements complexes et profonds dans le paysage international et régional. Nous pensons que la Chine et la Russie, deux membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, assument une mission importante dans la défense de la paix et de la stabilité régionales et dans la promotion du développement et de la revitalisation de tous les pays. Depuis un certain temps, certains pays tracent des lignes idéologiques, construisent de nouveaux blocs militaires et attisent les tensions régionales, qui ont fait peser de graves menaces et défis sur la paix et la stabilité régionales et la stabilité stratégique mondiale. La Chine et la Russie rejettent cela fermement. Nous continuerons de suivre le consensus des deux dirigeants, d'assumer nos responsabilités, d'unir toutes les forces qui aiment et soutiennent la paix, et de contribuer activement à la réalisation d'une sécurité durable, universelle et commune dans la région et dans le monde. »

La publication des deux documents à Moscou plus tôt dans la journée implique que Moscou ne se fait pas d'illusions sur le fait que la stratégie US consiste à acculer la Russie et à l'intimider sur la scène mondiale.

Une grave crise se développe dans la sécurité internationale, car à partir de ce point, les options de Moscou se réduisent à une « diplomatie coercitive » dans la poursuite de ses besoins de sécurité. En somme, il existe un réel danger de confrontation militaire avec les puissances de l'OTAN, puisque les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, etc. ont déjà déployé des forces spéciales sur le sol ukrainien, qui serviront de « déclencheurs » [« trip wires »].

Dans une série de remarques hautement provocatrices jeudi, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a affirmé la prérogative de l'alliance d'intervenir en Ukraine et a catégoriquement rejeté le point de vue de Moscou selon lequel elle pourrait avoir son mot à dire sur les futurs plans d'expansion de l'alliance.

Stoltenberg a parlé avec l'approbation préalable de l'administration Biden. La décision de Moscou de divulguer les documents de sécurité est intervenue un jour plus tard. La porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a réagi depuis, approuvant pratiquement la ligne dure de Stoltenberg.