Psychose des drones : la propagande de guerre s'affranchit de tout rapport à la réalité

Georges Berghezan
2 décembre 2025

 

« Images exclusives d’un énorme drone au dessus de l’aéroport de Zaventem » titre en Une Het Laatste News. Le drone en question était un hélicoptère de la police. « Ce n’était pas un appareil d’amateur ». En effet. Et pas russe non plus.

Selon Wikipedia, une psychose désigne « un trouble ou un état anormal de l'esprit, évoquant le plus souvent une ou des obsessions avec pour résultat une perte de contact avec la réalité ». Cette définition s'applique parfaitement à l'hystérie collective entretenue par les hommes politiques et les grands médias après la détection de drones « presque certainement russes » dans l'espace aérien belge et celui d'autres pays européens.

Les médias et les pouvoirs qu'ils servent semblent omettre sciemment de se poser quelques questions fondamentales par rapport à cette « épidémie » de drones observés, généralement la nuit, au-dessus de sites sensibles (aéroports, centrales nucléaires, bases militaires...) d'au moins une dizaine de pays européens.

Tout d'abord, il est pratiquement impossible que ces drones proviennent et soient pilotés depuis la Russie. En effet, les seuls appareils sans pilote théoriquement capables de faire un tel trajet, de Russie jusqu'en Europe de l'Ouest, sont ceux de type MALE ou HALE1, des drones de grande taille (plusieurs mètres de long, encore plus d'envergure) et volant à haute ou moyenne altitude, ce qui ne correspond pas à ce qui a été observé dans les cieux belges, danois ou norvégiens. Les plus connus de ces appareils, uniquement présents dans les arsenaux de quelques puissances et destinés à être utilisés pour la reconnaissance ou l'attaque, sont les MQ-1 Predator et MQ-9 Reaper états-uniens, le Hermes 900 israélien et le Bayraktar TB2 turc. La Russie en dispose aussi, en l'occurrence la série Kronstadt Orion, dont la version Orion-E aurait un rayon d'action de 1 440 km pour 8 m de longueur et 16 m d'envergure2.

Notons au passage que l'Ukraine a revendiqué récemment la plus longue frappe par drone jamais effectuée. En août 2025, un drone aurait frappé une station radar russe dans la région d'Orsk, à 1 800 km de la frontière ukrainienne. Mais il s'agissait d'un drone kamikaze et non d'un MALE ou d'un HALE destiné à revenir à sa base de départ et à être réutilisé3.

Si le lancement depuis la Russie de myriades de petits drones semble donc hautement improbable, certains commentateurs suggèrent qu'ils seraient pilotés depuis des navires russes voguant en mer du Nord, sans avancer la moindre indice en faveur de cette hypothèse. De même, il est imaginable que Moscou ait recours ait des agents installés dans les pays affectés par ces vols, de la même manière que les services ukrainiens ont payé des citoyens russes pour mener des attentats, notamment par drones, à l'intérieur du territoire russe.

Cependant, les quelques pilotes de drones interpellés jusqu'à présent n'ont dévoilé aucune piste russe. En septembre, deux Londoniens ont été arrêtés pour avoir fait voler leur drone au-dessus du parc de Windsor, alors que Trump était attendu dans le château royal4. Pratiquement au même moment, un drone était « neutralisé » au-dessus du palais présidentiel à Varsovie et un jeune couple ukraino-biélorusse était arrêté. Démentant un flot de rumeurs, un porte-parole gouvernemental déclarait qu'il ne s'agissait pas d'une « action massive d'espionnage »5. En octobre, en Norvège, trois Allemands et un Chinois ont été brièvement détenus après avoir fait voler leurs joujoux au-dessus de deux aéroports du pays, le Chinois étant expulsé après avoir dû payer une amende d'environ 1.000 euros6. Également en octobre, mais en Allemagne, un Croate a été arrêté pour avoir piloté un drone à proximité de l'aéroport de Francfort. Le consul de Croatie a tenu à préciser que le quadragénaire n'était « pas un espion russe »7.

28 000 vols de drones non-autorisés en 2024 en Belgique !

On n'a guère parlé de ces pilotes indélicats quand il a été établi qu'ils n'avaient rien à voir avec la Russie. Et on a encore moins souligné que les vols de drones sont devenus un phénomène de plus en plus commun, alors que leurs performances croissent de manière inversement proportionnelle à leur prix d'achat. Ainsi, la filiale « drones » de Skeyes, l’entreprise publique belge chargée du contrôle du trafic aérien, a détecté 31 000 survols de drones au-dessus de zones sensibles du territoire belge en 2024, dont 90 % n'étaient pas autorisés. Rien qu'au-dessus de l'aéroport de Bruxelles, une trentaine de drones seraient détectés chaque jour8. Pourtant, l'an passé, personne n'a  attribué le moindre de ces survols intempestifs à la Russie ou à une autre puissance hostile.

Il ne fait pourtant guère de doute que, vu la popularité croissante des drones, la probabilité que des zones sensibles soient survolées ne fait qu'augmenter. En outre, l'écho médiatique et politique accordé à ces vols ne peut qu'inciter de nombreux amateurs à pratiquer leur sport au-dessus des zones où leurs appareils seront le plus remarqués. Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que des drones sont à l'origine d'une telle psychose collective. Des phénomènes similaires ont déjà eu lieu aux États-Unis et au Royaume-Uni ces dernières années, sans qu'on accuse Moscou de « guerre hybride »9. Dans de nombreux cas, les lumières volantes aperçues dans l'obscurité n'étaient pas des drones. Il en va de même en Belgique où de soi-disant « drones russes » filmés par des citoyens paniqués étaient des avions-cargo ou des hélicoptères de la police10.

On ne peut qu'être interpellé par l'absence d'esprit critique des grands médias et leur empressement à gober les discours des leaders politiques les plus bellicistes du continent, acharnés à accuser la Russie sans l'ombre d'une preuve et en dépit d'une foule d'indices suggérant un phénomène de société de plus en plus banal. Épisode d'une propagande de guerre destinée à chauffer les esprits et à gonfler les budgets militaires, il est probable que la baudruche des drones russes au-dessus de nos têtes se dégonflera aussi rapidement qu'elle a surgi.

 

1. HALE : « High Altitude Long Endurance », MALE : « Medium Altitude Long Endurance » .
2. « Kronshtadt Orion », Wikipedia, consulté le 13 novembre 2025.
3. Illia Kabachynskyi, « Ukraine Holds the World Record for the Longest One-Way Drone Strike in History », United24, 8 août 2025.
4. Katie Waple, « Two arrested for flying drones in restricted airspace », BBC, 16 septembre 2025.
5. « Suspects accused of flying drone over Polish presidential palace are Belarusian and Ukrainian », AP, 16 septembre 2025.
6. « Three Germans get detained in Norway after launching drone », Middle East North Africa Financial Network (MENAFN), 6 octobre 2025.
7. Florian Dörr, « Drohnensichtung auch am Flughafen Frankfurt – Festnahme von Piloten », Frankfurter Rundschau, 4 octobre 2025 ; « Konzul dao nove detalje o Hrvatu koji je upravljao dronom nad aerodromom Frankfurt », Index, 4 octobre 2025.
8. Nicolas Baudoux et Thomas Roelens, « En Belgique, 90% des vols de drones détectés en 2024 étaient non autorisés », L'Echo, 30 septembre 2025.
9. Fred, « La psychose des drones aux États-Unis, le syndrome Gatwick et Trump », Helicomicro, 20 décembre 2024.
10. Grégoire Ryckmans, « Ces "images de drones survolant l’aéroport de Bruxelles" montraient en réalité un hélicoptère de la police », RTBF, 20 novembre 2025.