Lettre ouverte au ministre de la Défense

"En tant que père, je suis profondément indigné par ce que vous essayez de faire accepter à mon fils et à ses camarades, Monsieur Francken"


18 novembre 2025

Le 12 novembre,  150 000 jeunes belges âgés de 17 ans ont commencé à recevoir la lettre du ministre de la Défense pour les inciter à se préparer à la guerre.

Extraits de la réponse publiée dans De Morgen de Dirk Tuypens, acteur et chef de groupe du PVDA à Malines, père d’un jeune bénéficiaire du courrier de Théo Francken.

(...) Bien que cette lettre ne m'ait pas été adressée, je me permets de vous répondre. En tant que père de ce jeune homme de dix-sept ans, je suis profondément indigné par ce que vous essayez de lui faire accepter, à lui et à ses camarades. Je suis également indigné par la légèreté avec laquelle vous essayez de rallier des milliers de jeunes à la guerre que vous prônez chaque jour plus fort.

Cela ne vous dérangera en rien, je ne me fais aucune illusion à ce sujet, car ceux qui ne sont pas favorables à votre politique font partie, selon vous, des « hippies, pseudo-pacifistes, communistes, conspirateurs, admirateurs de Poutine et vatniks », comme vous l'écrivez sur Facebook.

Il faut le dire, vous avez un excellent sens du timing. Les jeunes de 17 ans reçoivent votre lettre au mois de novembre, quelques jours après la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale dans tout le pays. Devant les monuments commémoratifs partout dans le pays, des dignitaires tels que vous ont rendu hommage, le dos droit et le visage grave, aux soldats tombés pendant la Grande Guerre.

Et comme toujours, cela s'accompagne de grands discours sur « ceux qui ont donné leur vie pour la paix, la liberté, la démocratie... ». C'est toujours ainsi que l'on justifie la guerre, du moins dans les discours grandiloquents de ceux qui en décident.

Le soldat français Louis Barthas, qui a dû prendre les armes en 1914, a écrit quelque chose de frappant à ce sujet dans ses journaux de guerre : « Dans les villages, on veut déjà ériger des monuments en l'honneur des victimes de cet immense massacre, ou comme disent les chauvins, "en l'honneur de ceux qui ont volontairement sacrifié leur vie". Comme si les malheureux avaient eu le choix de faire autre chose... Ah ! Si les morts de cette guerre pouvaient sortir de leur tombe. Ils réduiraient en miettes ces monuments hypocrites, car ceux qui les ont érigés les ont sacrifiés sans pitié. »

Telle est la réalité amère, Monsieur Francken. Dans aucune guerre, les vies ne sont données volontairement, elles sont brutalement volées. Chaque vie déchiquetée dans la boue du champ de bataille est une vie délibérément gaspillée. Et la guerre n'est pas une horreur qui surgit soudainement de nulle part. C'est une horreur décidée par des êtres humains.

Pas par les jeunes de 17 ans qui reçoivent votre lettre, ni par leurs parents, leur famille et leurs amis. Mais par les hauts responsables. Et toute la rhétorique pompeuse sur la liberté et la démocratie ne pourra jamais masquer la simple vérité que la guerre est toujours une question de pouvoir, d'argent et d'intérêts économiques. C'est pour cela que toutes ces vies sont sacrifiées.

Et ce sont toujours les vies des jeunes qui sont jetées dans la gueule vorace du monstre de la guerre. Des jeunes qui sont toujours recrutés avec la même rhétorique mensongère et criminelle et préparés à courir à la mort pour la patrie et à être ramenés chez eux dans un sac mortuaire.

C'est pourquoi votre lettre est si déconcertante. Elle occulte toute réalité et se présente comme une offre d'emploi ordinaire pour un poste tout à fait normal. Dès le deuxième paragraphe, vous promettez aux jeunes, en caractères gras, « un salaire attractif ». Vous savez bien sûr à quel point 2 000 euros par mois peuvent être séduisants pour un jeune de 17 ans.

Vous continuez à bombarder les jeunes de phrases creuses telles que « contribuer activement à l'avenir du pays », « une occasion unique de vous développer sur le plan personnel et professionnel », « se faire des amis pour la vie », « un environnement de travail passionnant et aventureux ». Tout cela est d'une légèreté insupportable.

Vous me répondrez peut-être que je m'inquiète pour rien, car sur votre page Facebook, vous affirmez catégoriquement que vous ne souhaitez pas envoyer nos jeunes au front. Mais alors, pourquoi avez-vous besoin d'eux ? Pourquoi doivent-ils être prêts à intervenir ? Car c'est ce qui est écrit dans votre lettre : « Nous devons être préparés et prêts à agir. » (...)

Pour qui nous prenez-vous ? Et pour qui prenez-vous nos jeunes ? Pensez-vous vraiment qu'ils ne comprennent pas ce que signifient réellement tous ces appels à la préparation, formulés de manière voilée et imprégnés de l'odeur nauséabonde du « devoir patriotique » et de la « citoyenneté » ?

Allons, Monsieur Francken, qui essayez-vous de tromper ? (...)  Avec l'Europe, vous souhaitez que nous soyons prêts pour la guerre dans cinq ans. Vous souhaitez que nous nous armions jusqu'aux dents, que nous construisions des abris anti-atomiques, que nous remplissions nos chambres de kits de survie, et maintenant aussi que nos jeunes soient prêts. Et nous devrions croire que vous ne souhaitez pas réellement les envoyer au combat ?

La guerre n'est pas un « environnement de travail passionnant et aventureux », ni une « occasion unique de se développer sur le plan personnel et professionnel ». Comme l'écrit Walter Zinzen dans MO-Magazine : « Les guerres sont en fait des massacres et des destructions massives. Toute forme d’humanité y est exterminée avec une violence impitoyable. Et nous devons nous y préparer, comme notre ministre de la Guerre voudrait nous faire croire ? » (...)

Je peux vous informer, peut-être à votre grande déception, mais en tout cas à mon grand soulagement, que mon fils vous remercie bien pour votre invitation. Non merci. Cela me conforte dans l'espoir que Simon Gronowski a raison lorsqu'il écrit dans son dernier ouvrage, Plaidoyer pour la paix : « Les jeunes ont le sens de la justice, de la vérité et de la solidarité. »

Avec mes salutations pacifiques,

Dirk Tuypens

De Morgen, 18 novembre
traduit du néerlandais par R.M.