Une nouvelle OTAN pour un nouvel ordre mondial ?

Hans Lammerant et Fabien Rondal
21 février 2006

Les attentats du 11 septembre 2001 ont mis un terme définitif à l'ancienne politique de l'OTAN, une alliance créée à l'origine pour défendre collectivement le territoire de ses membres.

Depuis la chute du mur de Berlin, la principale menace d'attaque contre ce territoire avait disparu et l'OTAN était désespérément à la recherche d'une nouvelle raison d'être. En 2002, les pays-membres ont décidé que l'OTAN pouvait non seulement intervenir sur son propre territoire, mais également partout dans le monde. Notre sécurité dépendant de la situation à l'échelle mondiale, l'OTAN devait donc être à même d'intervenir à l'échelle mondiale.

A peine quatre ans plus tard, les Etats-Unis veulent faire franchir un pas supplémentaire à l'OTAN en définissant les lignes directrices d'un nouveau débat sur le fonctionnement de l'OTAN. En voici les éléments principaux.

Primo : Si notre sécurité dépend de la situation à l'échelle mondiale, pourquoi limiter les partenaires ou les membres de l'OTAN à la zone européenne ? Pourquoi ne pas demander au Japon ou à l'Australie d'adhérer à l'OTAN ? Des collaborations existent déjà avec ces pays en Afghanistan, en Irak et ailleurs. Pourquoi ne pas développer et structurer cette collaboration ?

Secundo : Jusqu'à présent, chaque pays supporte le coût des troupes qu'il met à disposition d'une opération de l'OTAN. Seule une partie minime est financée en commun. Ne devrait-on pas plutôt financer en commun l'ensemble des opérations militaires, qu'un pays fournisse des troupes ou pas ?

Tertio : Actuellement, les décisions sont prises par consensus et chaque pays membre peut à lui seul bloquer une décision de l'OTAN. Ne serait-il pas plus simple d'appliquer le principe d' “abstention constructive” et de travailler dans la pratique avec une prise de décision à la majorité ?

Quarto : Avec le terrorisme comme nouvel ennemi, l'OTAN modifie son champ d'activités. L'OTAN ne devrait-elle pas se voir attribuer une place dans les politiques nationales de lutte contre le terrorisme ?

Si l'on rassemble ces différentes propositions, on obtient une attaque frontale contre les Nations-Unies et l'Union européenne. L'OTAN veut se transformer d'une alliance militaire européano-américaine en une organisation de sécurité collective globale. Une sorte de “Nations-Unies des volontaires” qui marginaliserait les véritables Nations-Unies.

Quelles seraient les conséquences de cette transformation pour les pays qui ne feraient pas partie de cette alliance militaire volontaire et seraient donc définis comme un problème de sécurité potentiel ? Pour eux, ces développements représentent une menace, face à laquelle ils tenteront de fournir une réponse militaire. Avec pour conséquence une nouvelle course aux armements et une militarisation des relations internationales.

“La menace s'étend à l'échelle mondiale...” Bien plus qu'une prophétie ?

Primo : L'OTAN comme organisation mondiale de sécurité collective ?

Le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont perdu toute confiance dans l'utilité de l'OTAN. Ils ont formé la “coalition des volontaires” et ont pris la décision unilatérale d'attaquer et d'occuper l'Irak. Néanmoins, par la suite, ils ont découvert les limites d'une telle approche : la guerre coûte des montagnes de dollars, l'armée américaine est surchargée et les Etats-Unis font l'objet d'un certain isolement au niveau international. Le deuxième mandat du Président Bush est donc placé sous le signe de la collaboration. Victoria Nuland, l'ambassadrice américaine auprès de l'OTAN, a déclaré dans Le Monde du 7 décembre 2005 que la leçon à tirer de l'aventure irakienne est que l'OTAN est le lieu où tous les problèmes liés à notre sécurité future doivent être discutés. A titre d'exemples, elle cite le Proche-Orient, l'Irak et l'Iran, mais aussi la Chine et la Corée du Nord. A l'instar des Pays-Bas, la chancelière allemande Angela Merkel a apporté son entier soutien à cette proposition 1.

Dans son rapport intitulé “NATO: An Alliance for Freedom” 2, Jose-Maria Aznar, ancien premier ministre espagnol, va encore plus loin. Il propose de laisser Israël devenir membre de l'OTAN et de s'allier à d'autres pays actifs dans la guerre contre le terrorisme, par exemple la Colombie et l'Inde. Ces idées ne sont pas encore officiellement à l'ordre du jour de l'OTAN, mais elles donnent une vision particulièrement claire des rêves de certains fervents atlantistes.

Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, début février 2006, le secrétaire-général de l'OTAN De Hoop-Scheffer a déclaré : “ Nous devons nous assurer que nous avons le partenariat le plus rapproché possible avec les pays qui peuvent, et qui veulent, nous aider à défendre nos valeurs communes. Selon moi, cela signifie également développer des liens plus forts avec d'autres nations qui sont sur la même longueur d'onde en dehors de l'Europe – des nations comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud ou le Japon. L'OTAN n'est pas un gendarme du monde, mais nous développons toujours plus de collaborations à l'échelle mondiale. 3

Cette proposition de partenariat avancé aurait déjà été discutée en janvier de cette année au sein de l'OTAN 4 et l'ambassadrice américaine à l'OTAN aurait proposé la création d'un panel permanent avec ces pays.

Les contacts battent en tout cas leur plein. Ces derniers mois, la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont signé un accord avec l'OTAN à propos de l'échange d'informations classifiées : une petite étape technique pour faciliter la collaboration militaire, mais avec la mention explicite que l'objectif est d'approfondir la collaboration.

Quant aux ministres des Affaires étrangères de la Corée du Sud et du Japon, ils ont tous deux rendu visite à l'OTAN en décembre et janvier.

Pourtant, franchir ce pas n'a rien d'évident. Des partenariats avec le Japon et l'Australie accordent tout à coup un rôle à l'OTAN dans le Pacifique, et modifient radicalement notre relation avec la Chine. Leur adhésion signifierait l'extension de la garantie de sécurité collective à des pays du Pacifique et ferait de facto de l'OTAN une alliance militaire mondiale. Un conflit dans le Pacifique entraînerait donc automatiquement une participation de l'Europe. La Première guerre mondiale a montré comment le jeu des accords de soutien militaire peut transformer un conflit local en guerre mondiale. Certains milieux militaires américains affirment régulièrement que le prochain grand affrontement se jouera avec la Chine. Voulons-nous absolument y être impliqués ?

Jusqu'à présent, il existe une seule organisation mondiale de sécurité collective, les Nations-Unies, qui traitent ces problèmes dans le cadre du Conseil de Sécurité.

Si les problèmes de sécurité font d'abord l'objet d'un consensus au sein d'une “OTAN mondiale”, la discussion au sein du Conseil de Sécurité se réduira à un exercice pour la forme, consistant uniquement à légitimer une décision ou une opération de l'OTAN. Et si la Russie ou la Chine font de la résistance, la tentation sera grande pour l'OTAN d'intervenir unilatéralement.

Dans la pratique, l'OTAN deviendrait donc LA grande organisation mondiale de sécurité collective, munie d'un bras militaire et excluant les principales sources potentielles d'opposition politique.

Quelle réaction auront les pays qui n'appartiendront pas au club des “volontaires” ou des “élus” ? Ils seront confrontés à une alliance militaire mondiale qui peut les désigner comme un problème de sécurité et voudront donc être à même de se défendre. Quel en sera le résultat probable ? Une nouvelle course aux armements et une militarisation à grande échelle des relations internationales.

Secundo : Un financement commun ?

Une deuxième proposition incluse dans le débat sur une nouvelle OTAN concerne le financement commun. A l'heure actuelle, chaque pays supporte lui-même le coût des troupes qu'il engage dans une opération de l'OTAN et une quantité limitée d'infrastructures est financée en commun, par exemple les avions-radar AWACS et les bunkers entreposant les armes nucléaires américaines en Europe. Le secrétaire-général de l'OTAN De Hoop-Scheffer 5, l'ambassadrice américaine auprès de l'OTAN Nuland 6 et le commandant militaire de l'OTAN James Jones 7 affirment tous que ce mode de financement entrave la participation aux opérations militaires. Avec un financement commun, les pays plus petits pourraient participer plus facilement à ces opérations. De Hoop-Scheffer propose donc de développer plus d'infrastructures communes, par exemple en matière de transport aérien stratégique 8, actuellement une compétence principalement américaine, et de financer en commun les interventions de la Force de Réaction de l'OTAN, du moins dans leur phase de déploiement initiale .

On peut se demander à qui profitera ce système, qui semble principalement destiné à transférer vers l'Europe une partie de la facture américaine en matière de défense, qui atteint des sommes astronomiques avec les opérations en cours en Irak et en Afghanistan. La facture de la première guerre du Golfe a été payée en grande partie par l'Arabie saoudite, le Japon et d'autres pays ; mais les interventions unilatérales comme celles actuellement en cours ne sont pas payées avec le même sourire. Intégrer de telles opérations et les occupations de longue durée qui s'en suivent dans le cadre des “opérations de paix” de l'OTAN et les faire financer en commun donnerait de l'air au budget américain.

Ceux qui n'auront pas envie de répondre positivement aux demandes américaines visant à accorder plus de fonds à la défense recevront alors la facture par le biais du financement commun de l'OTAN. Un tel financement ferait perdre aux pays-membres le contrôle de leur budget de défense.

Tertio : L'abstention constructive?

Une troisième proposition vise la modification des modalités de prise de décision. A l'heure actuelle, les décisions sont prises au consensus, ce qui implique qu'un seul pays peut bloquer une décision de l'OTAN. Plusieurs propositions ont été formulées pour permettre une « abstention constructive » ou pour introduire un processus de prise de décision à la majorité. Combinée à un financement commun élargi, une telle modification pourrait signifier qu'un pays devrait participer financièrement à une opération militaire de longue durée à laquelle il s'est opposé…une guerre dans le Pacifique par exemple.

Quarto : L'OTAN comme partenaire pour la sécurité intérieure ?

Avec le terrorisme comme nouvel ennemi, l'OTAN envisage de modifier son champ de travail. Jose-Maria Aznar, ancien premier ministre espagnol, émet plusieurs propositions d'envergure dans son rapport intitulé “NATO: An Alliance for Freedom” 9. Il plaide entre autres pour une intégration de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité intérieure dans l'OTAN ; il souhaite également la création d'un Conseil des ministres de l'Intérieur de l'OTAN et d'un commandement de lutte anti-terroriste.

A l'heure actuelle, la lutte anti-terroriste et la collaboration judiciaire sont principalement des tâches de l'Union européenne. Avec la création d'un Conseil des ministres de l'Intérieur de l'OTAN, les Etats-Unis deviendraient un acteur important dans la politique européenne de justice.

La deuxième proposition de J-M Aznar, la création d'un commandement de lutte anti-terroriste, donnerait un rôle plus important aux militaires en matière de politique anti-terroriste nationale. Un tel commandement aurait pour mission de définir des doctrines et des concepts communs ainsi que des recommandations quant aux achats de matériel et autres pour les missions anti-terroristes de l'armée.

Aujourd'hui déjà, les décideurs politiques ont tendance à donner à l'OTAN et aux militaires une place dans les politiques nationales de lutte contre le terrorisme. Ainsi, les avions-radar AWACS de l'OTAN sont utilisés pour la protection des rencontres au sommet et de manifestations sportives comme les Jeux olympiques.

Est-ce cela que nous voulons ? Les Etats-Unis considèrent le terrorisme comme un problème militaire. Jusqu'à présent, les pays européens l'abordent plutôt comme un problème judiciaire et policier. Développer une ligne commune à ce sujet impliquerait l'intégration d'une vision plus militaire, qui pose de nombreux problèmes en matière de contrôle démocratique.

Le calendrier du débat sur la transformation de l'OTAN

L'OTAN parle depuis longtemps de “transformation”. En fait, le débat est en cours depuis la fin de la Guerre froide. Petit à petit, l'OTAN s'est attribué un rôle interventionniste sur un territoire de plus en plus grand. Les attentats du 11 septembre 2001 peuvent être considérées comme le point de départ du débat actuel, les Etats-Unis considérant l'OTAN comme une alliance lourde et inutile, cumulant plusieurs défauts, entre autres des capacités militaires inadaptées et un processus décisionnel lent.

La National Defense University a formulé la réponse américaine au problème militaire en développant le concept de Force de Réaction de l'OTAN, présenté par le ministre américain de la Défense, Donald Rumsfeld, au Sommet de l'OTAN à Prague, en novembre 2002. La Force de Réaction de l'OTAN (NRF) est la nouvelle force d'intervention rapide de l'OTAN. Combinée à une réforme des quartiers-généraux et à l'Initiative sur les Capacités, dans le cadre de laquelle l'Alliance tente de résoudre ses manques en matière de matériel militaire afin de pouvoir intervenir à l'échelle mondiale, la NRF forme le premier volet de la transformation de l'OTAN. Aujourd'hui, la Force de Réaction de l'OTAN est en plein développement, la réforme des quartiers-généraux est achevée et l'Initiative sur les Capacités rencontre moins de succès.

Ce volet est purement militaire et n'aborde pas la question politique sous-jacente : quels sont les objectifs de l'OTAN ? L'OTAN n'a pas d'ennemi clairement identifié contre qui une stratégie spécifique peut être développée et traduite en planification concrète. Sans stratégie claire, les militaires ne peuvent pas faire leur travail, raison pour laquelle une décision politique doit être prise quant au rôle de l'OTAN. Ces Directives politiques globales auraient dû être prêtes à la fin 2005, mais cette échéance n'a pas été respectée.

En fin de compte, c'est le chancelier allemand Schröder qui a laissé le renard entrer dans le poulailler en déclarant lors de la Conférence sur la Sécurité de Munich en 2005 que l'OTAN “n'était plus le lieu le plus important où les partenaires transatlantiques discutent et coordonnent leurs stratégies”, ce qui a suscité de fortes critiques de la part des décideurs politiques plus atlantistes. Ces déclarations ont enfin montré clairement que le débat politique sur l'OTAN était inévitable. La déclaration finale du sommet des chefs de gouvernement du 22 février 2005 concluait ainsi : “ Nous comptons bien renforcer le rôle de l'OTAN en tant que forum de consultation et de coordination entre les Alliés sur les questions stratégiques et politiques, et nous réaffirmons son rôle en tant que forum essentiel de consultation entre l'Europe et l'Amérique du Nord sur les questions de sécurité.

Le débat politique constitue donc la prochaine étape du processus de transformation de l'OTAN, et son timing s'est entre-temps précisé. Les premières conclusions seront tirées lors du sommet des chefs de gouvernement de Riga en novembre 2006, et la discussion sera clôturée lors d'un prochain sommet des chefs de gouvernement, au printemps 2008. Juste avant la fin du mandat du Président Bush.


Hans Lammerant et Fabien Rondal sont collaborateurs du Forum voor Vredesactie


1. www.securityconference.de
2. Trad: 'L'OTAN, une alliance pour la liberté' - www.fundaes.es/documentos/Informe_OTAN_Ingles.pdf
3. www.securityconference.de
4. www.sueddeutsche.de/
5. www.faz.net
6. news.ft.com
7. home.hamptonroads.com ; www.humaneventsonline.com
8. www.securityconference.de
9. trad.: 'L'OTAN, une alliance pour la liberté' - www.fundaes.es/documentos/Informe_OTAN_Ingles.pdf