Appel pour éviter une guerre nucléaire en Iran


31 mai 2006

L'évolution du dossier iranien ne peut laisser personne indifférent. La tension latente entre l'Iran et la "Communauté internationale" est devenue plus vive encore depuis qu'à l'échéance du 28 avril, il est apparu que la volonté iranienne de développer l'enrichissement de l'uranium sur le territoire national ne fléchissait pas malgré les exigences du Conseil de Sécurité.

Les réticences de la Chine et de la Russie face à toute idée de sanction émanant du Conseil de Sécurité de l'ONU conduisent à s'interroger sérieusement sur l'attitude que prendront les Etats-Unis mais aussi la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Certains éléments d'analyse plaident pour une tentative de reprise des négociations multilatérales visant à convaincre l'Iran de changer d'attitude en matière nucléaire ou à tout le moins pour une gestion de crise pacifique. L'enlisement états-unien dans le bourbier irakien ne semble en effet guère permettre le déclenchement d'une nouvelle guerre. En outre, malgré le manque d'informations fiables sur les capacités iraniennes de riposte, il est hasardeux de minimiser les possibilités de représailles importantes. Enfin, il n'échappera à personne que le risque d'embrasement dans l'ensemble du Moyen-Orient est on ne peut plus sérieux.

Cependant, des informations convergentes émanant de sources diverses et manifestement bien documentées font état de préparatifs avancés d'une campagne de bombardements de la part de l'armée US contre les installations nucléaires iraniennes visant à les mettre hors d'état de fonctionner (voir notamment l'article de Seymour Hersh dans le New Yorker du 17 avril 2006 et le document de Michel Chossudovsky du 10 février 2006 intitulé "La guerre nucléaire contre l'Iran" : www.mondialisation.ca.)

Le gouvernement US, largement dominé par les néo-conservateurs, serait déterminé à lancer une offensive surprise dès lors que l'enlisement de l'approche diplomatique serait bien visible.

L'attitude de l'Union européenne et plus particulièrement de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni risque bien d'être déterminante à cet égard, l'expérience irakienne conduisant G.W. Bush à tenter d'impliquer l'OTAN dans une nouvelle guerre, vu ses graves conséquences potentielles.

Il est assez clair que la perspective d'une nouvelle guerre doit inquiéter tous ceux qui sont conscients des désastres humains et écologiques qu'elle provoquera immanquablement.

Cette perspective devient même totalement effrayante quand on sait que le gouvernement US, appuyé indéfectiblement par Israël, n'hésitera probablement pas à utiliser l'arme nucléaire pour terrasser l'état "voyou" iranien.

Depuis l'adoption en 2001 de la Nuclear Posture Review (révision de la posture nationale en matière nucléaire), il est devenu clair que le gouvernement des Etats-Unis s'est lancé dans un vaste programme de modernisation de son arsenal nucléaire. Un des éléments importants de cette politique consiste à se doter d'armes nucléaires dites de faible puissance (environ 5 kilotonnes), armes conçues sous le vocable de mini nukes et destinées à cibler des objectifs stratégiques bien précis. Dans le même ordre d'idées, sont développés des casseurs de bunkers (bunker busters), qui ne sont pas de nouvelles armes nucléaires mais bien des bombes nucléaires existantes dotées d'une nouvelle enveloppe (uranium appauvri) leur permettant de pénétrer des structures très dures et de détruire ainsi des infrastructures souterraines. Leur puissance est plus importante que celle des mini nukes (de 100 tonnes à 1 mégatonne). Ces deux types d'armes nucléaires (earth penetrator weapons) ont comme caractéristique commune leur capacité à détruire des cibles profondément enterrées et lourdement protégées.

Il ne fait guère de doute qu'en cas d'attaque contre les installations nucléaires iraniennes, ce type d'armement nucléaire sera utilisé, avec des conséquences pour l'environnement et la santé des populations qui ne peuvent être que dramatiques. Les assertions des prétendus experts militaires selon lesquelles la radioactivité libérée serait confinée dans le sous-sol ne résistent pas à une analyse rapide étayée par l'expérience du passé et une connaissance sérieuse de la physique des explosions nucléaires acquise au fil de plusieurs décennies d'essais.

Nous considérons un tel scénario comme totalement inacceptable, non seulement parce qu'il ferait payer un lourd tribut aux populations civiles iraniennes, mais aussi parce qu'il entraînerait le monde entier dans une logique de banalisation de l'arme nucléaire potentiellement désastreuse pour l'humanité toute entière. Il n'est certes pas souhaitable que l'Iran puisse se doter de l'arme nucléaire et grossisse ainsi les rangs des puissances nucléarisées ignorant tout engagement au sein du traité de non prolifération. Ceci dit, il faut bien admettre qu'à ce jour rien ne permet de prouver que l'Iran vise à se doter réellement de l'arme nucléaire (l'AIEA ne dit pas autre chose). Même si on soupçonne le gouvernement iranien de duplicité en la matière, cela n'autorise et ne légitime en rien une offensive militaire déclenchée par des puissances elles-mêmes détentrices d'une force de frappe qu'elles préfèrent "moderniser" plutôt que réduire.

Faut-il rappeler que l'article VI du traité de non prolifération nucléaire engage les Etats parties au traité à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.

A moins de faire preuve d'un total aveuglement, il est difficile de considérer que les puissances nucléarisées respectent l'esprit et la lettre de cet article VI. Le comportement le plus condamnable est celui des Etats-Unis qui, par ses décisions politiques et budgétaires, manifeste depuis plusieurs années un total mépris des engagements pris. Il serait d'ailleurs pour le moins paradoxal que ces mêmes Etats-Unis utilisent l'arme nucléaire pour empêcher un Etat, qualifié de voyou, de se doter de cette même arme nucléaire !

Nous pensons qu'il n'est pas trop tard pour empêcher une telle éventualité. Il parait en effet peu réaliste de croire que les Etats-Unis s'engageront unilatéralement dans une aventure manifestement périlleuse au plan géopolitique. L'attitude de ses alliés de l'OTAN devrait être déterminante. A cet égard, il y a tout lieu de craindre un alignement tacite des Etats européens en particulier de ceux qui détiennent l'arme nucléaire et n'ont manifesté aucun zèle à respecter leurs engagements tels que prescrits par l'article VI du traité de non prolifération nucléaire.

La Belgique, comme membre de l'OTAN et de l'Union européenne, a une position stratégique particulière qui lui permet de jouer un rôle actif au plan international. C'est pourquoi nous demandons au gouvernement belge d'user de tous les moyens politiques et diplomatiques dont il dispose pour empêcher une guerre avec l'Iran*. Nous lui demandons en outre de prendre une position claire sur le caractère inacceptable du recours à l'arme nucléaire dans quelque conflit que ce soit et de défendre cette position au sein de l'OTAN, de l'Union européenne et de l'ONU.

Préoccupés au premier chef comme citoyens responsables et déterminés à participer activement à l'information et à la sensibilisation de l'opinion publique, nous lançons un appel à tous nos concitoyens pour qu'ils soutiennent notre démarche. Il y va de l'avenir même de l'humanité. Chacun doit être conscient que la course à l'armement nucléaire nous menace en permanence d'un cataclysme nucléaire et que le conflit avec l'Iran pourrait déboucher sur un tel cataclysme.

Premiers Signataires :

Nicolas Bárdos-Féltoronyi, professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain · Olivier Corten, professeur ordinaire à l'Université Libre de Bruxelles · Martine Dardenne, sénatrice honoraire · Vincent Decroly, avocat au Barreau de Bruxelles et ancien député · Simone Denayer, professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles · Pascal Durand, professeur à l'Université de Liège · Ernest Glinne, ancien ministre et député européen honoraire · François Houtart, professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain · Paul Lannoye, député européen honoraire · Pierre Piérart, professeur émérite de l'Université de Mons · Georges Trussart, ancien sénateur


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