L’Otan, les États-Unis et l’Europe doivent-ils stopper leurs interventions militaires à l’étranger ?
Oui, l’Occident doit arrêter mais sans pour autant stopper toute politique qui vise la stabilisation au niveau international. Les motifs officiels avancés par les chancelleries occidentales - la pacification, la défense des droits humains, la défense des droits des femmes… - alimentent dans une certaine mesure la fabrique du consentement pour accompagner en discours les interventions militaires. Mais les raisons réelles sont autres - géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques - et peu présentées ni débattues dans le débat national citoyen. Cette dissonance ne permet pas d’appréhender la plus-value des interventions militaires occidentales.
Quelles plus-values voyez-vous à ces interventions ?
Sur le terrain, elles s’avèrent toutes désastreuses. La débâcle en Afghanistan confirme qu’aucune intervention militaire ne fonctionne - ni n’est légitimée - au regard des critères officiels des discours.
Pourquoi ces interventions aboutissent à des échecs ?
À cause du moyen utilisé : le militaire. Vouloir faire la paix en faisant la guerre ; la contradiction n’est pas uniquement dans les termes. On constate qu’une intervention militaire déstructure davantage une situation déjà difficile à la base. On l’a vu en Libye. On le constate en Afghanistan. Ces vingt années de "pacification" ont complètement désarticulé le tissu social et politique.
Pourquoi répéter ces actes (interventions) manqués ?
Là, on revient dans cette zone de tension entre le plaidoyer officiel et les raisons effectives de l’engagement de contingents armés. Si on s’en tient au discours des chancelleries de l’Occident, on ne peut que constater une croyance, fondée sur un complexe de supériorité par rapport à son histoire, en une mission civilisatrice à travers le monde.
N’est-ce pas une vision édulcorée de la "fin de l’Histoire" qui, selon le politologue Francis Fukuyama, signifie la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale ?
Le problème est que l’utilisation par les pays occidentaux de moyens militaires pour "pacifier" ne repose sur aucune légitimité ni légalité.
Quelle est l’alternative ?
Les Occidentaux devraient plutôt travailler à doter de moyens conséquents les Nations unies afin qu’elles puissent réussir leur mission : la pacification et la stabilisation au niveau international.
Dans la pratique, le problème n’est-il pas le manque d’efficacité du Conseil de sécurité des Nations unies ?
Le grief est connu : le Conseil de sécurité, à cause du droit de veto des cinq membres permanents (NdlR : Chine, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni) ne fonctionne pas dans les situations d’urgence. Cet argument conforte les pays occidentaux dans leur droit autoproclamé à intervenir militairement. Il faut sortir de ce cercle vicieux via soit un nouveau type de consensus au sein du Conseil de sécurité, soit une refonte du fonctionnement des Nations unies pour lui donner les moyens de ses ambitions.
La barre est haute. Est-ce la seule piste ?
Non. Prenons l’exemple de la Libye. L’intervention militaire occidentale a sapé et saboté une mission de conciliation de l’Union africaine qui portait ses fruits. Or les mécanismes de résolution non violente des conflits sont une obligation légale première au niveau du droit international. La force ne peut être utilisée qu’en ultime recours. Afghanistan, Libye, Serbie, Bosnie-Herzégovine et autres terrains : jamais ces mécanismes n’ont été sérieusement mis en pratique.
Que faudrait-il changer chez nous ?
Je répondrai par une question. Des dépenses énormes sont consenties par la Belgique dans le domaine militaire (notamment les 3,6 milliards d’euros pour 34 chasseurs bombardiers US F-35) alors que les budgets des services "civils" travaillant à la pacification sur le long terme sont réduits à peau de chagrin. Pourquoi autant alors que l’option militaire, on le voit, ne fonctionne pas ?