M K Bhadrakumar
3 mai 2014
Les récits russes et américains sur l'Ukraine divergent de plus en plus jour après jour. Dans ses remarques jeudi à Minsk, le président Vladimir Poutine a frontalement fait porter aux États-Unis la responsabilité pour un «coup d'état» bâclé en Ukraine, dans laquelle on a inutilement associé la Russie alors que se développait le jeu des accusations, mais où Moscou se montre néanmoins raisonnable en offrant une voie de dialogue et de négociation.
Presque au même moment est venu la plus forte des remarques attribuées au secrétaire d'Etat US John Kerry, qui a traité les Russes de "voyous" ["thugs"], et leur ministre des Affaires étrangères de "menteur", et a affirmé que Washington était en possession d'informations secrètes sur l'ingérence russe en Ukraine orientale.
Selon Kerry, la seule lueur d'espoir réside dans une scission au sein de l'élite du Kremlin entre modérés et extrémistes (http://www.thedailybeast.com/articles/2014/04/29/kerry-u-s-taped-moscow-s-calls-to-its-ukraine-spies.html). Un tableau sombre émerge : l'Ukraine est en train de tomber irrémédiablement dans l'abîme, et risque de disparaître totalement de la carte un jour.
On ne peut envisager d'autre explication possible aux propos incendiaires du représentant spécial de l'OTAN pour le Caucase et l'Asie centrale James Appathurai ce vendredi, qui déclare que l'Alliance est en train de tirer la Géorgie en son sein, et peu importe ce qu'en dit le Kremlin.
Il s'agit d'une déclaration provocatrice, mais n'est que le dernier exemple d'une telle rhétorique sur le « travail inachevé » de l'expansion de l'OTAN, alors que se rapproche le Sommet de l'Alliance en septembre au Pays de Galles.
Les responsables de l'OTAN expriment cette idée, malgré les doutes de la part de grandes puissances européennes - en particulier de l'Allemagne et de la France, qui craignent que l'expansion continue de l'alliance vers l'Est, dans les territoires de l'ancienne Union soviétique compliquerait les relations avec la Russie.
Dans les cercles à Washington, aussi, l'expansion de l'OTAN est une idée largement 'populaire' et elle bénéficie d'un soutien « bipartite ». L'administration Obama ne peut pas ignorer une question aussi populaire au Capitole alors qu'il est la cible d'un feu nourri sur sa politique étrangère en général.
En outre, déjà en 2007, le Congrès US avait adopté une loi connue sous le nom de "NATO Freedom Consolidation Act", Acte de Consolidation de la Liberté de l'Otan, qui appelait à l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine et de la Géorgie. Il est certain que le président Barack Obama est tenu par la loi de 2007.
Néanmoins, il n'a pas été terriblement enthousiaste à propos de l'expansion de l'OTAN, contrairement à son prédécesseur, et il a pris soin récemment de calmer le jeu, dans le contexte des préoccupations de la Russie sur l'Ukraine, et de doucher les ardeurs des partisans de l'expansion de l'Otan : Les remarques d'Obama à la fin de mars à Bruxelles, après le sommet UE-US visaient clairement à rassurer Moscou que l'adhésion à l'OTAN de la Géorgie ou de l'Ukraine n'était pas à l'ordre du jour "de sitôt".
D'où l'idée répandue par certains milieux que l'expansion de l'OTAN tout autour des frontières de la Russie semble exagérée. Mais la Russie ne peut pas se permettre de prendre des risques sur une question aussi fondamentale pour sa défense nationale.
Il est bien connu que le secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen sortant était lui-même un "faucon". Alors que, de manière significative, Poutine a clamé récemment son amitié personnelle avec le futur secrétaire général Jens Stoltenburg, qui était le Premier Ministre de la Norvège. Maintenant, les personnalités comptent en diplomatie, et bien que les récits russes et étatsuniens sur l'Ukraine semblent irrémédiablement inconciliables, une entente au sujet de l'expansion de l'OTAN pourrait aider à dissiper la méfiance. L'initiative appartient à Obama.