M K Bhadrakumar
25 juin 2014
Au cours des quatre jours qui ont suivi le dévoilement du plan d'action de Barack Obama, jeudi dernier, parlant d'envoyer en Irak un contingent de 300 conseillers militaires et soulignant que ce n'est pas une guerre des Etats-Unis, l'empreinte laissée par les Américains s'agrandit déjà. C'est le message qui ressort de la visite surprise effectuée lundi par le Secrétaire d'Etat John Kerry à Bagdad.
Alors qu'Obama a fixé comme condition préalable à une plus grande implication militaire américaine en Irak que les politiciens irakiens agissent de concert sur la voie de la réconciliation entre les différentes sectes, Kerry est arrivé avec une version révisée, à savoir que Washington pourrait, après tout, ne pas attendre que les politiciens irakiens forment un nouveau gouvernement avant d'engager de nouvelles actions militaires.
En outre, Kerry soutient qu'Obama et lui-même sont sur la même longueur d'onde à ce sujet. En somme, Obama a peut-être changé d'avis. (Voir l'article du >New York Times.)
Quelle en est l'explication? En fait, il y en a trois. La première est que l'EIIL ne perd pas une minute et qu'il avance sans relâche sur le front de guerre et que les Etats-Unis sont forcés d'apporter une réponse précipitée alors même que les forces armées irakiennes se délitent et que le gouvernement à Bagdad est en état de panique. La deuxième est que Kerry a réussi plus ou moins à convaincre al-Maliki que celui-ci fait plus partie du problème que de la solution. Et la troisième, évidemment, est que ça a toujours été le Plan B d'Obama.
En tout cas, les signes sont là qu'une intervention militaire majeure des Etats-Unis en Irak se prépare. On ne sait pas trop si les USA consultent l'Iran à travers des voies diplomatiques officieuses et si une forme ou une autre d'entente a été négociée entre les deux anciens adversaires, selon laquelle écraser l'EIIL est un intérêt partagé. En effet, l'ambiance est restée très calme lundi à Téhéran. Personne ne parle, ce qui signifie que le silence est plus éloquent que les discours.
De façon inquiétante, les ministres des Affaires étrangères de l'Otan se réunissent ce mardi pour discuter de l'Irak. Kerry est en route pour Bruxelles. La position du secrétaire-général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a pour l'instant été que l'alliance n'avait aucun rôle à jouer en Irak, mais là encore, ils s'agit de choses où il exécute au final les directives de Washington.
Autre chose importante, Obama a ignoré l'ONU et préfère la voie de l'Otan. Evidemment, l'affrontement entre les Etats-Unis et la Russie sur l'Ukraine l'explique. Pour le dire simplement, Obama pourrait ne pas vouloir accepter d'aide de la part de Vladimir Poutine, parce qu'en Ukraine, il maintient une ligne dure et insiste sur le fait que Moscou devrait faire marche arrière inconditionnellement.
Par ailleurs, il pourrait y avoir un autre programme caché. Tout le monde sait qui est Dennis Ross et que son influence dans le circuit de Washington est des plus importantes lorsqu'il s'agit de la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient. Les gouvernements vont et viennent, mais Ross est toujours là - soit en tant que conseiller politique, soit en tant que diplomate, soit, au minimum, en tant qu'expert.
Par conséquent, le point de vue qu'il a exprimé lundi dans le LA Times - alors même que Kerry se trouvait à Bagdad - pourrait être un coup d'oil fascinant sur le futur. Dans son article d'opinion, il appelle à ce que les conflits en Irak et en Syrie soient traités comme une seule zone de guerre.
C'est un argument audacieux et, évidemment, c'est le programme d'Israël à 100% - et également le souhait de l'Arabie Saoudite. La grande question est de savoir si le cheminement de la pensée de Ross reflète celle qui émerge au sein de l'administration Obama.
Si Obama veut sortir énergiquement de l'impasse en Syrie, il n'a pas besoin de regarder trop loin - il a juste besoin d'ordonner aux forces spéciales, aux missiles et aux drones américains une « poursuite active » dans ce pays sous prétexte de faire la chasse à l'EIIL. La tentation serait ici de le faire, étant donné que la Russie est désespérément enlisée en Ukraine et que le piège de l'EILL s'est imposé avec une telle force que nous sommes tous morts de trouille, et on peut être certain qu'il n'y aura aucun tollé international si les Etats-Unis commettent une agression contre la Syrie. L'Onu n'a même aucune place dans ce tableau. Le plus important est que tout ceci se déroule alors que l'Iran a toute son attention fixée sur l'accord nucléaire à venir.
Effectivement, maintenant que les toutes dernières armes chimiques syriennes ont été supprimées, le régime de Bachar el-Assad pourrait se retrouver à devoir livrer un combat existentiel. Le Printemps arabe pourrait finir par arriver, en Irak et en Syrie, porté par les épaules d'Obama, juste au moment où tout le monde pensait que ce n'était qu'une chimère.