M K Bhadrakumar
27 juin 2014
Un commentaire dans Xinhua à la mi-avril prévoyant que le différent entre les USA et la Russie sur l'Ukraine ne serait pas résolu "de sitôt" s'est avéré être prémonitoire. La déclaration du président Vladimir Poutine lundi dernier félicitant de l'annonce de cessez-le par Kiev pourrait et devrait avoir été perçu comme une tentative sérieuse de «désescalade» de la crise, mais Washington refuse de voir les choses de cette façon.
De fait, Washington s'en est moqué. Le représentant permanent des États-Unis à l'ONU, Samantha Power a manifesté du dédain à propos de la déclaration Poutine lors de la discussion du Conseil de Sécurité mardi l'Ukraine, l'appelant par dérision "une petite rhétorique de réconciliation" qui n'était pas soutenue par des actions sur le terrain. (http://usun.state.gov/briefing/statements/228366.htm)
Deux jours plus tard, le secrétaire d'Etat John Kerry donnait pratiquement depuis Pais un ultimatum à Moscou, déclarant qu'"il est critique pour la Russie de montrer dans les prochaines heures, littéralement, qu'ils agissent pour aider à désarmer les séparatistes, pour les encourager à désarmer, pour les appeler à déposer leurs armes et à commencer à faire partie d'un processus politique légitime." Kerry a averti qu'une autre série de sanctions était prête, à moins que Moscou agissent rapidement.
Une explication plausible de cette ligne dure pourrait être que les Etats-Unis sont en train de jouer le rôle du «mauvais flic», pendant que l'Allemagne joue le «bon flic». Mais alors, l'Ukraine est un sujet bien trop sérieux pour n'être qu'un exercice de 'shadow-boxing'.
Ce qui émerge de plus en plus est que les Etats-Unis sont pas intéressé par un dénouement rapide, “anytime soon”, ainsi que le prédisait Xinhua. Pourquoi devrait-il en être ainsi? Une chose est que, sans la pleine coopération de la Russie, l'Ukraine ne peut pas être stabilisée - et pourquoi la Russie devrait-elle coopérer à une entreprise qui conduirait inexorablement à l'admission de l'Ukraine dans l'OTAN et l'UE? (http://www.reuters.com/article/2014/06/27/us-ukraine-crisis-eu-factbox-idUSKBN0F20RM20140627 )
Autrement dit, l'administration Obama est en train d'exiger que le Kremlin rampe sur ses genoux, en sachant parfaitement qu'il ne le fera pas. Par conséquent , selon toute probabilité, les USA prévoient que la situation en Ukraine ne peut qu'empirer. Le scénario pourrait être que le président Petr Porochenko ordonne la répression dans l'est de l'Ukraine une fois achevé la période de cessez-le-feu, mais sa mission sera vraisemblablement vouée à l'échec, et les positions de part et d'autre ne feront que se durcir.
Maintenant, il pourrait y avoir une méthode dans la folie d'Obama. Considérons ce qui suit : Il convient à Washington que Moscou soit embourbée aussi longtemps que possible en Ukraine. Le bourbier eurasien empêchera la Russie d'avoir une présence active dans d'autres régions - telle que, disons, la Syrie.
Après tout, il semble que je n'étais pas loin du compte quand j'ai écrit mon texte "Obama espère fixer l'Irak - et la Syrie" plus tôt cette semaine. Selon les rapports, Obama a approché le Congrès avec une proposition visant à armer les rebelles syriens. Sa logique est, comme je l’écrivais, que la Syrie et l'Irak sont un seul grand étang dans lequel le même poisson est en train de nager. (NYT: http://www.nytimes.com/2014/06/27/world/middleeast/obama-seeks-500-million-to-train-and-equip-syrian-opposition.html?_r=1 )
Ca tombe bien, la Syrie et l'Irak sont effectivement étroitement liées (et c'était aussi probablement l'objectif géopolitique des pays qui ont soutenu l'Etat islamique d'Irak et du Levant). Mais la partie choquante, c'est le raisonnement de Kerry selon lequel les USA peuvent ne pas être opposés au fait que les rebelles syriens combattent l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) sur le territoire de l'Irak, sur le prétexte spécieux que la tribu de leur chef Ahmad al-Jarba s'étend également sur l'Irak. [Ahmad al-Jarba est le 'président' placé à la tête de la 'Coalition nationale syrienne' depuis juillet dernier]
al-Jarba, bien sûr, est un protégé de l'Arabie Saoudite. En somme, les USA arrivent à ce que les rebelles syriens soutenus par le régime saoudien soient impliqués dans le conflit en Irak. Autrement dit, les États-Unis et ses alliés du Golfe élargissent le conflit syrien pour y inclure Irak. C'est ce que la crise actuelle en Irak ajoute à la grande stratégie.
Sans doute le voyage de Kerry aujourd'hui en Arabie Saoudite va donner quelques idées sur ce qui est en train de se tramer Avant d'arriver à Jeddah, Kerry a rencontré à Paris le ministre saoudien des Affaires étrangères le prince Fayçal al-Saoud, après s'être assuré que les Français sont bien partant pour la prochaine aventure en Syrie et en Irak. Faysal est un jusqu'au-boutiste sur la Syrie (et l'Iran). D'autres rapports sont apparus, montrant que le prince Bandar était également soudain de retour. Il accompagnait dernièrement le roi Abdallah au Caire.
Ce qui est évident, c'est que l'agenda US-Saoudien de «changement de régime» en Syrie est de retour au centre de la scène. Clairement, Poutine a un combat sur les bras à propos de la Syrie. Mais comment Poutine pourrait-il lâcher l'Ukraine, qui est tellement vitale pour les intérêts à long terme de la Russie, en tournant à nouveau son attention vers la Syrie? Obama sent que le moment est venu de mener le programme de changement de régime en Syrie à sa conclusion logique.
L'espoir d'Obama est à ce point audacieux qu'il espère gagner à ce jeu d'échecs à la fois en Syrie et en Ukraine.