Israël frappe Damas, la Russie regarde au loin

M K Bhadrakumar
23 décembre 2015

L'assassinat du héros de la guerre de résistance libanaise et chef du Hezbollah Samir Kuntar dans la ville de Damas ce dimanche [20 décembre] dans ce que l'on pense être un raid aérien israélien a eu lieu sous le nez russe. Pourtant, Moscou n'a pas éternué. Avez-vous jamais lu la fameuse énigme dans ce livre de Sherlock Holmes, "Silver Blaze", sur "l'incident curieux du chien pendant la nuit qui avait manqué d'aboyer"? L'ambivalence russe transparait dans la réaction neutre du porte-parole du Kremlin.

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Il est certain que Moscou n'ignore pas la biographie du chef assassiné de la résistance libanaise. La RT, en fait, a présenté un sujet représentant assez fidèlement la froide logique derrière la décision israélienne d'éliminer Kuntar (impliquant une opération sur Damas, qui est protégé par les  fameux missiles S-400 russes, et aura sans aucun doute été approuvé par 'Bibi' en personne) Le chroniqueur a émis un vague avertissement à Israël: "Si un incident similaire devait se produire à nouveau, aucun doute que les responsables russes interviendraient pour empêcher d'autres avions israéliens de survoler un ciel déjà surchargé". (RT).

Mais, le chien va-t-il  vraiment aboyer la prochaine fois qu'Israël viendra voler un autre cheval de course du Hezbollah ? Le fait est que la Russie se retrouve entre le marteau et l'enclume.

De toute évidence, elle est peu disposée à affronter Israël, qui peut bien ne pas être une puissance de l'OTAN, mais bénéficie d'une protection étatsunienne sans faille. Pourtant, le Hezbollah est un partenaire crucial de la Russie en Syrie. Les analystes conviennent généralement que sans l'aide du Hezbollah, le régime syrien du président Bachar al-Assad serait tombé. Moscou devrait être heureux du rôle excellent que les miliciens du Hezbollah effectuent actuellement sur le terrain en Syrie dans des opérations militaires telles que celle autour d'Alep.

Mais la Russie n'est pas pour autant disposée à offrir son cou pour protéger le Hezbollah, bien que la manœuvre israélienne pour le provoquer et le détourner de sa campagne syrienne contre l'Etat islamique et d'autres groupes extrémistes, ne soit pas dans l'intérêt de Moscou. Vraiment, le conflit syrien est truffé de contradictions et ce à quoi nous assistons ici est l'une des contradictions majeures dans la stratégie russe.

La Russie devrait savoir qu'Israël a soutenu les affiliés d'Al-Qaïda en Syrie en lutte contre le régime syrien. Mais, contrairement à la Turquie, Moscou préfère traiter avec Israël en mettant des gants de velours. D'une part, il y a des cordons ombilicaux qui relient les élites politiques russes et israéliennes, et d'autre part, sur un plan plus profond, la Russie et Israël sont sur la même page vis-à-vis du 'terrorisme islamique'.

Il faut dire qu'Israël se débrouille extraordinairement bien dans ces circonstances. Considérerons ce qui suit : le leader turc Recep Erdogan brandit un rameau d'olivier et met en scène un rapprochement avec Israël qui sert à merveille les intérêts israéliens. Erdogan espère probablement embarquer Israël comme allié qui considère également l'intervention militaire russe en Syrie avec inquiétude, mais Israël préfère probablement utiliser la connexion turque pour créer un effet de levier vis-à-vis de la Russie, tout en n'entrant pas en confrontation directe avec la Russie. D'autre part, Israël attend des Russes d'être assez intelligent pour se montrer reconnaissants pour toute réticence auto-imposée vis-à-vis de la Turquie.

Cela dit, l'un des projets de collaboration turco-israéliennes à l'étude est un pipeline qui relie les immenses champs de gaz israéliens dans la Méditerranée orientale avec le marché européen via la Turquie, ce qui aiderait la Turquie et l'Europe à réduire leur forte dépendance au gaz russe, tout en assurant une source de revenus importante pour Israël. Ne vous méprenez pas, Israël va négocier les conditions les plus favorables possibles de la part de la Turquie dans la coopération énergétique, tout en appâtant sur le côté la compagnie russe Gazprom comme un potentiel partenaire de substitution.

C'est la culture de bazar à son plus haut. Curieusement, Israël a également déroulé ce mardi le tapis rouge pour le président ukrainien Petro Porochenko de l'Ukraine, pendant que Bibi téléphonait à Poutine (http://www.rferl.org/articleprintview/27444121.html  - http://www.jpost.com/Israel-News/Politics-And-Diplomacy/Ukrainian-president-to-Post-We-do-not-allow-Russia-to-affect-our-ties-with-Israel-438130 ). Il est certain que Moscou comprend très bien qu'Israël est en train de courir avec le lièvre tout en chassant avec les chiens, mais il ne peut pas y faire grand-chose - au moins pour le moment.

Dans l'ensemble, ce qui émerge avec l'aval de l'assassinat de Kuntar dimanche c'est que Moscou n'a aucun désir d'être entraîné dans la politique de la «résistance» à laquelle souscrit l'Iran et le Hezbollah. En outre, la Russie se bat pour éviter d'être entraînée dans le tourbillon de la confrontation entre l'Iran et Israël, même si elle apprécie la montée inexorable de l'Iran comme puissance régionale et qu'elle est en train de faire de grandes ouvertures à l'Iran dans cette période intérimaire d'opportunité, avant que ne décolle le plein engagement irano-US (http://en.farsnews.com/print.aspx?nn=13941001001506 - http://www.iran-daily.com/News/133462.html ).

Moscou doit également prendre en compte que se frotter à Israël dans le mauvais sens ne fera que l'encourager à s'identifier ouvertement avec l'axe reliant la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar, ce qui à son tour, pourrait rendre la vie plus difficile aux forces russes déployées en Syrie. Washington n'a pas perdu de temps pour saluer la normalisation turco-israélienne.

Ainsi, pour toute une série de raisons, la Russie semble avoir regardé passivement pendant qu'Israël frappait Kuntar dans une opération chirurgicale de grande précision, tout en estimant que l'aggravation des tensions entre Israël et le Hezbollah pouvait sérieusement compliquer la situation en Syrie. En fait, le lendemain de l'assassinat de Kantar, le ministère russe des Affaires étrangères a publié une déclaration soigneusement rédigée, qui "appelle toutes les parties à faire preuve de retenue". Mais, bien sûr, la version saoudienne selon laquelle il y avait «une collusion russe» dans l'opération israélienne doit être prise avec une pincée de sel.