M K Bhadrakumar
11 septembre 2017
Les forces gouvernementales syriennes ont fait une percée sur la base aérienne de la ville orientale de Deir ez-Zor, assiégée par Daech depuis trois ans. A toutes fins utiles, les développements spectaculaires au cours du week-end dernier signifient la fin du conflit en Syrie. La capture de la ville de Deir ez-Zor est désormais une issue certaine et, avec elle, Daech va perdre son influence en Syrie.
L’opération secrète menée la semaine dernière par les USA pour évacuer par hélicoptère [https://fr.sputniknews.com/international/201709071032951592-usa-syrie-daech-evacuation/] les commandants de Daech de Deir ez-Zor laisse supposer que le Pentagone accepte finalement que la saga de Daech prenne fin en Syrie. Apparemment, Daech et ses « conseillers » seront maintenant réassignés vers de nouveaux théâtres – tels que l’Afghanistan. La question qui persiste est la suivante : Les USA sont-ils en train de liquider leurs affaires en Syrie ? Un commentaire russe semble le croire.
D’un autre côté, on rapporte que les forces rebelles soutenues par les forces spéciales étasuniennes (avec couverture aérienne) opèrent un mouvement précipité depuis le nord de la Syrie pour prendre une partie de Deir ez-Zor, laissant derrière elles l’entreprise inachevée de capturer Raqqa, la « capitale » de Daech. Cela fait courir le risque d’une situation explosive impliquant celles-ci et les forces gouvernementales soutenues par la Russie, dans une lutte pour la suprématie en Syrie orientale. (Reuters)
Il y a deux choses en jeu – l’une, la saisie des vastes champs pétrolifères qui reposent à l’est et au nord de Deir ez-Zor, lesquels sont les joyaux de l’économie syrienne ; la seconde, le contrôle de la frontière syro-irakienne le long de l’Euphrate et plus loin vers le sud, à travers laquelle un « isthme » pourrait potentiellement relier Damas à Téhéran via Bagdad. Par conséquent, tant en termes économiques que pour des raisons géopolitiques, les USA (encouragés par Israël) font une course contre la montre dans cette phase finale du conflit afin d’établir une présence militaire dans les régions orientale et sud-orientale de la Syrie.
Ces raisons géopolitiques sont triples : a) Les USA chercheraient à avoir « leur mot à dire » dans quelque règlement syrien que ce soit ; b) Les USA espèrent défier l’influence en cascade de l’Iran en Syrie et au Liban ; et, c) Les USA se sentent obligés d’être des pourvoyeurs de sécurité pour Israël. Ces trois facteurs sont liés. Le fait est, comme le souligne un reportage du Times of Israel, qu’Israël reconnait ses limites pour combattre militairement l’Iran par ses propres moyens. Le général Yair Golan, ancien chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne aurait dit, jeudi dernier, dans un discours étonnant devant le Washington Institute of Near East Policy [1]:
Nous [Israël] vivons dans un monde où nous ne pouvons pas opérer seuls, pas seulement parce que nous n’avons aucune force expéditionnaire en Israël […] Et tandis que nous pouvons remporter une victoire décisive contre le Hezbollah […] et tandis que nous pouvons vaincre toute milice chiite en Syrie […] nous ne pouvons pas nous battre seuls contre l’Iran […] Donc, sans doute, peuvent-ils nous affecter, et nous pouvons les affecter. Mais tout cela n’est qu’une question d’usure […] Si l’on veut remporter quelque chose de plus profond, nous ne pouvons le faire seuls. Et c’est une réalité. Il vaut mieux l’admettre. Nous devons connaître nos limites.
Il est inutile de dire qu’Israël ne permettra pas à l’administration Trump d’approuver un retrait total de Syrie des troupes nord-américaines. Autrement dit, une sorte de présence étasunienne le long des rives orientales de l’Euphrate est dans les tuyaux, à l’insistance d’Israël. On lira avec intérêt un article d’opinion intitulé Trump’s Big Decision in Syria, de David Ignatius et publié dans le Washington Post la semaine dernière à propos du débat à Washington.
La Russie acceptera-t-elle une telle issue ? Il est possible que cela puisse convenir à la Russie si les USA sont présents dans la région sous une forme symbolique, nécessitant, en échange, une sorte d’engagement continu avec la Russie, ce qui a toujours été la priorité stratégique de Moscou. Et qu’en est-il de la Turquie ? Une alliance continue entre les USA et les milices kurdes syriennes ne peut que conduire effectivement à la consolidation d’un Kurdistan dans le nord de la Syrie, ce qu’abhorre Ankara. Mais d’un autre côté, la Turquie prend bien soin de ne pas entrer en conflit avec les USA en Syrie. De la même manière, l’approche de l’Iran pourrait, elle aussi, se contenter de simplement « esquiver » la présence symbolique nord-américaine de quelques centaines de soldats des forces spéciales et se concentrer à la place sur l’entreprise sérieuse d’étendre son influence régionale en Syrie et au Liban. En effet, il est également peu probable que les USA défient directement la Russie ou l’Iran dans la Syrie orientale.
Ce qui importe sera les nouveaux faits sur le terrain. Les forces du gouvernement syrien (soutenues par les milices iraniennes et du Hezbollah, ainsi que par la puissance aérienne russe) ont un avantage sur la poussée emmenée par les USA depuis le nord de Deir ez-Zor. L’autoroute reliant Damas à Deir ez-Zor est ouverte pour la première fois depuis des années. Les forces syriennes occupent les points culminants stratégiques de la région. Par contre, les USA n’ont aucun allié local fiable autre que la milice kurde syrienne, qui combattra à partir de maintenant dans des régions habitées par des tribus arabes sunnites, lesquelles se trouvent encore plus loin des frontières de leur patrie traditionnelle au nord de la Syrie.
Par conséquent, dans l’analyse finale, la sagesse finira tôt ou tard par apparaître au Pentagone, à savoir qu’il est imprudent de rêver de sculpter une « zone d’influence » à l’intérieur de la Syrie. Avec l’Arabie Saoudite et le Qatar qui baissent le rideau en Syrie, et la Jordanie qui conclut un accord avec le régime syrien, les USA découvrent qu’ils sont assez seuls dans cette région désolée au milieu de nulle part. Des reportages iraniens laissent entendre que même le bulldog britannique se retire.
[1] WINEP : très influent think-tank néoconservateur nord-américain.
Traduction : JEAN-FRANÇOIS GOULON
Source:Blog QUESTIONS CRITIQUES