M K Bhadrakumar
25 décembre 2021
Le son de la glace qui se brise entre l’Inde et la Chine va déclencher une nouvelle campagne médiatique d’inspiration US pour exciter les faucons. Armé d'images satellite US, et pimenté par des remarques en roue libre d’ex- généraux et universitaires indiens bavards, le Washington Post a attiré l'attention sur la région du Ladakh.
Un article vedette du Washington Post de mercredi, concernant en apparence le chantier de 600 millions de $ de la construction des tunnels ‘Zoji La’ dans le Ladakh, est illustré par des images de Maxar, connu pour être "le partenaire de mission indispensable" du gouvernement US, qui fournit images satellites et renseignement d'experts.
Les Américains savent d'expérience qu'il suffit de 3 minutes pour soulever la poussière à Delhi, comme le disait le célèbre diplomate Robin Raphel il y a un quart de siècle. Au plus fort de l'impasse au Ladakh l'année dernière, des experts indiens avaient reçu gracieusement des images satellite de l'Australian Strategic Policy Institute (ASPI).
Mais l'ASPI est relégué au second rang maintenant. Il a les mains pleines de « thèmes de recherche » assignés par ses sponsors concernant la Chine. L'ASPI est financé par le ministère australien de la Défense et par des agences de renseignement et des industries de la défense et par le Département d'État étatsunien – et, incidemment, son mandat comprend le « recrutement de talents ».
L'ingérence des États-Unis dans les relations sino-indiennes est vieille comme le monde. Dans la période à venir, il y aura beaucoup d'activité sur ce front. Inciter l'opinion publique belliciste en Inde est le meilleur moyen de prévenir tout modus vivendi dans les relations indo-chinoises.
La divulgation le 15 décembre par un haut responsable du Kremlin que le président russe Vladimir Poutine avait discuté avec le président chinois Xi Jinping du sujet d'un sommet Russie-Inde-Chine, a dû sonner l'alarme dans les cercles étatsuniens.
Entre temps, il y a eu d'autres signes que l’on commençait de repenser à Delhi sur la sagesse d'atteler les wagons indiens au QUAD, à un moment où la politique US devient très instable et où l'efficacité de la stratégie indo-pacifique de l'administration Biden est sérieusement mise en doute. .
L'avenir politique de Biden fait l'objet de discussions animées aux États-Unis. La stratégie indo-pacifique est réduite à de la rhétorique par le département d'État. Bien sûr, le secrétaire d'État Blinken est doué pour la rhétorique hyperbolique, mais qu'y a-t-il là-dedans pour l'Inde ?
(…) Avec des signes sérieux que les États-Unis sont à nouveau en train de se brouiller avec les généraux pakistanais et les talibans au sujet de l'Afghanistan et de l'Asie centrale, quelle option l'Inde a-t-elle, si ce n’est de travailler à la création d'un environnement extérieur pacifique qui lui permette de soutenir sa stratégie de développement ? Contrairement aux indications précédentes, le système de défense antimissile russe S-400 va être déployé au Pendjab.
Le fond du problème est que la paix règne au Ladakh depuis près d'un an et demi. Les prédictions apocalyptiques se sont évanouies. Il est clair maintenant que la Chine tient à ce que les choses restent en l’état, et qu’elle ne cherche pas à créer de nouveaux incidents sur le terrain, afin que, les tensions étant retombées et les émotions calmées, les diplomates et les dirigeants politiques puissent commencer à travailler sur les causes profondes de l'impasse, qui résultent de ce que Pékin appelle la « politique prospective » de l'Inde.
Les commentateurs chinois se sont immédiatement réjouis à la nomination de PK Rawat comme prochain envoyé de l'Inde à Pékin. Un grand penseur chinois, Liu Zongyi, secrétaire général du Centre de recherche sur la coopération entre la Chine et l'Asie du Sud aux Instituts d'études internationales de Shanghai, qui connait apparemment bien Rawat, a écrit dans le Global Times :
« Rawat comprend la Chine bien mieux que certains dilettantes, prétendus spécialistes de la Chine (…) Une raison importante de la nomination de Rawat est sa compréhension de la Chine, et la perspective de promouvoir une communication efficace face à l'impasse actuelle (…) L'administration Modi a pris la décision de nommer un spécialiste de la Chine comme ambassadeur, ce qui est en soi un signal. L'Inde cherche sans doute une percée. »
Je ne connais pas Rawat personnellement, mais, franchement, la remarque caustique de Liu sur les «dilettantes, prétendus spécialistes de la Chine » de l'Inde semble convaincante. La meilleure partie de l'opinion des experts chinois sur la diplomatie indienne, en général, doit être leur vision perspicace du marais de ce qui passe être de l’"observation de la Chine" dans notre pays.
De fait, il y a des signes qu'il y a des frémissements dans le discours sino-indien. L’enjeu ne pourrait être plus important pour la stratégie indo-pacifique de l'administration Biden, si l'Inde se mettait, dans les circonstances présentes, à suivre une politique étrangère indépendante et non alignée envers la Chine. Les signes sont bien présents.
L'Inde est restée à l'écart du récent conclave G7+Five Eyes+UE à Liverpool et de son programme explicite de dénigrement de la Russie et de la Chine. C'était le seul pays QUAD à être absent.
Egalement, au Conseil de Sécurité de l'ONU, la Russie, la Chine et l'Inde ont présenté un projet de résolution sur la sécurité au Sahel après que la sanglante intervention de l’Occident dans la région se soit retournée contre lui (comme en Afghanistan). Et le déploiement des S-400, bravant frontalement l’opposition US, parle d’elle-même.
Est-ce une coïncidence si, dans ce contexte complexe, Blinken a désigné lundi l'une de ses sous-secrétaires d'État adjoints, Uzra Zeya, pour servir également de coordinatrice spéciale des États-Unis sur les questions tibétaines ?
Le compte-rendu du département d'État affirme que Mme Zeya « favorisera un dialogue substantiel, sans conditions préalables » entre Pékin et le Dalaï Lama, « ses représentants, ou des leaders tibétains démocratiquement élus, pour soutenir un accord négocié sur le Tibet ».
Et sa charge inclus de répondre aux « besoins humanitaires des réfugiés tibétains et des communautés de la diaspora » et de veiller à ce que les diplomates US aient accès à la région du Tibet.
Soit dit en passant, Uzra Zeya, qui a autrefois servi à l'ambassade américaine à Delhi, était soupçonnée d'avoir été impliquée dans le fameux incident de l'arrestation et de l’expulsion du diplomate indien Devyani Khobragade, en 2013, sur base d‘accusations fabriquées. Bref, Zeya, une courageuse diplomate indo-américaine, sera les yeux et les oreilles de Blinken à Delhi et à Dharamshala.
Après Hong Kong et le Xinjiang, le Tibet est également mis sous les projecteurs pour la stratégie indo-pacifique des États-Unis. Un groupe de législateurs US a appelé le président Biden à recevoir le Dalaï Lama à la Maison Blanche. Washington signale à Delhi qu'il peut compter sur le soutien américain dans tout ‘grand jeu’ face à la Chine. Delhi ne doit pas tomber dans le piège.