M K Bhadrakumar
26 décembre 2021
Un rapport de l'agence Kyodo News cite ce vendredi des sources gouvernementales japonaises selon lesquelles Tokyo et Washington ont élaboré un projet de plan d'opération conjoint qui permettrait la mise en place d'une base d'attaque le long de la chaîne insulaire de Nansei dans le sud-ouest du Japon en cas d'urgence à Taïwan. .
Selon le rapport, la prochaine réunion ministérielle « 2+2 » des chefs des Affaires étrangères et de la défense des États-Unis et du Japon le 7 janvier à Washington devrait « officialiser » le plan d'opération.
Le rapport détaille que dans le cadre du plan, "les Marines US établiront une base d'attaque temporaire" sur les îles Nansei (également connues sous le nom d'îles Ryukyu) initialement dans une chaîne s'étendant vers le sud-ouest en direction de Taïwan, avec environ 40 "sites candidats" parmi environ 200 îles, y compris celles inhabitées.
Le rapport fait suite aux récentes remarques de l'ancien Premier ministre japonais, le faucon Shinzo Abe, selon lesquelles tout événement imprévu à Taiwan serait également une urgence pour le Japon et pour l'alliance sécuritaire nippo-américaine.
Ce rapport intervient seulement un jour après l'approbation par le Parlement japonais vendredi de la plus forte augmentation des dépenses de défense jamais enregistrée par le Japon depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ce qui reste à voir, c'est si le gouvernement japonais va maintenant aller de l'avant avec un amendement constitutionnel qui permettrait au Japon de faire la guerre. La constitution pacifiste actuelle, héritée de la Seconde Guerre mondiale, interdit aux forces armées japonaises de mener des guerres, sauf strictement en cas d'autodéfense.
Il y a sept décennies, les États-Unis ont imposé une constitution pacifiste au Japon – qui a été rédigée en l'espace d'une semaine seulement par une petite équipe d'Américains dirigée par le général MacArthur, le commandant suprême des puissances alliées. Ironiquement, les États-Unis encouragent maintenant activement Tokyo à abandonner les restrictions et à devenir un pays "normal" afin de le recruter en tant que participant à part entière dans son système d'alliance pour mener des guerres en Asie-Pacifique.
Le militarisme japonais est un fait de l'histoire moderne. La Grande Dépression a beaucoup affecté le Japon et a conduit à une montée du militarisme. En simplifiant, le Japon voulait s'étendre afin d'acquérir plus de ressources naturelles et créer son propre empire économique dans le Pacifique. La genèse en remonte à la période où le Japon cherchait à se moderniser rapidement et suivre le rythme du monde occidental.
Les circonstances d'alors et d'aujourd'hui ont à a fois des similitudes et des dissemblances. La principale différence avec le début du 20e siècle est qu’alors le Japon était mécontent de la vague massive de mondialisation moderne par les puissances occidentales, qui avait entraîné la colonisation de nombreux pays à travers le monde dont les ramifications se faisaient surtout sentir en Asie. En somme, le Japon se protégeait de la colonisation des puissances occidentales.
Pour se protéger de ce qu'il percevait comme la possibilité d'une guerre avec les puissances occidentales, le Japon a développé un État de défense nationale, qui était en réalité un gouvernement hautement militarisé dans lequel l'establishment politique prenait les décisions militaristes avec la force de l'économie nationale liée à celle de ses militaires.
Evidemment ça a été de pait avec une revitalisation idéologique, où toute la nation japonaise en est arrivée à croire que servir l'État militant et ultra-nationaliste était un devoir sacré. C'est ainsi que le Japon s'est transformé en une puissance de type impérialiste en l'Asie avec son industrialisation rapide et ses invasions en Chine, en Corée et en Mandchourie.
Pékin et Moscou ne semblent pas excessivement inquiets pour le moment des mesures prises par le Japon. Mais ils surveillent de près, étant donné la réalité géopolitique qui fait que tout renouveau du militarisme japonais sera désormais également ancré sur la stratégie indo-pacifique des États-Unis contre la Chine et la Russie. Ils attendent peut-être encore de voir si le Japon fera son plus grand pas – en modifiant sa constitution anti-guerre pour la première fois.
Les tensions de la Russie avec les États-Unis au sujet de l'Ukraine ont également un vecteur extrême-oriental. De plus, la Russie et le Japon n'ont pas encore signé de traité de paix mettant officiellement fin aux hostilités de la Seconde Guerre mondiale. La Russie voit de plus en plus une congruence d'intérêts avec la Chine.
Le 23 novembre, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a déclaré à son homologue chinois Wei Fenghe que les patrouilles aériennes US près des frontières orientales de la Russie avaient augmenté, avec un total de 22 vols stratégiques au-dessus de la mer d'Okhotsk en 2020 – contre trois l'année précédente – ce qui, a-t-il déclaré, représentait une menace à la fois pour la Russie et pour la Chine. "Dans ce contexte, la coordination russo-chinoise devient un facteur de stabilisation dans les affaires mondiales", a déclaré Shoigu.
Cette conversation s'est déroulée en marge de la signature par les deux ministres de la Défense d'une "feuille de route" pour la coopération militaire. À peine trois jours plus tôt, les forces aériennes chinoises et russes avaient mené une patrouille aérienne stratégique conjointe au-dessus de la mer du Japon et de la mer de Chine orientale. La Chine a envoyé deux avions H-6K pour former une formation conjointe avec deux avions russes Tu-95MC.
Il s'agissait de la troisième patrouille aérienne stratégique conjointe des militaires chinois et russes visant à améliorer "le niveau de coordination stratégique et les capacités opérationnelles conjointes, et à maintenir conjointement la stabilité stratégique mondiale", selon un compte-rendu chinois.
Un mois plus tôt, après avoir terminé un exercice naval conjoint dans la mer du Japon le 17 octobre, dix puissants navires de guerre chinois et russes avaient entrepris une mission sans précédent pour traverser le détroit de Tsugaru dans l'océan Pacifique lors de leur première patrouille maritime conjointe encerclant le Japon.
Le ministère russe de la Défense a déclaré : « Les tâches des patrouilles étaient la démonstration des drapeaux des États russes et chinois comme garants de la paix et de la stabilité dans la région Asie-Pacifique et gardiens des questions des activités économiques maritimes des deux pays ».
La ligne de Moscou s'est clairement durcie ces derniers mois sur le problème des îles Kouriles avec le Japon. Le président Poutine a dévoilé en septembre une nouvelle proposition visant à établir une zone économique spéciale dans les îles contestées en vertu de la loi russe. De toute évidence, la Russie envisage de développer intensivement et rapidement les Kouriles et de renforcer son intégration. Tokyo a protesté.
Moscou craint un éventuel déploiement de systèmes de missiles US sur ces îles si elles sont rendues au Japon, créant une menace militaire directe pour la Russie. Le ministère russe de la Défense a annoncé le 2 décembre le déploiement d’un système mobile avancé de missiles de défense côtière sur les îles Kouriles.
Le ministère russe de la Défense a également annoncé le 21 décembre un plan pour organiser deux exercices stratégiques de commandement et d'état-major, intitulés Vostok (« Orient ») et Grom, l'année prochaine. Les exercices Vostok dans l'Extrême-Orient russe sont prévus comme un événement clé d'entraînement au combat pour toutes les troupes russes.
La divulgation par Kyoto d'un plan d'opération conjoint américano-japonais visant à établir une base d'attaque le long de la chaîne insulaire de Nansei entraînera très certainement une réaction de Moscou. L’Agence Kyodo rapporte que le déploiement US comprendra « un système de fusées d'artillerie à haute mobilité ». La Russie a mis en garde à plusieurs reprises les États-Unis contre le déploiement de missiles à portée intermédiaire au Japon (lire ici et ici). La Chine a également une position similaire et a averti qu'elle « ne resterait pas les bras croisés » si les États-Unis déployaient des missiles au sol en Asie.