Roland Marounek
1 avril 2022
Le 10 mars passé, interrogée sur le coût terrible que les sanctions contre la Russie aura en retour sur l’économie et la population belge, notre ministre des Affaires étrangères a répondu que « le prix de la liberté, ça coûtera aussi à l’Europe »[i].
Elle plagiait directement Joe Biden, « défendre la liberté coûtera cher », ou encore Emmanuel Macron, « l'Europe doit accepter de payer le prix de la paix, de la liberté, de la démocratie », et certainement toute une pléiade d’autres personnes animées d’aussi nobles et courageux sentiments. Nous nous en souviendrons avec émotion et fierté lorsque nous payerons nos prochaines factures de gaz et d'électricité.
Bon, Sophie Wilmès c'est dans les 20.000 Euros par mois quand même, ça rend tout de suite le « prix de la liberté » un peu plus léger à supporter...
Mais ... en fait ça nous aurait coûté combien, si les pays de l’Otan ne s'étaient pas ingérés dans les affaires intérieures de l'Ukraine en 2014 ? Si l'Union Européenne, à la suite des Etats-Unis n'avait pas soutenu le renversement armé d’un gouvernement légitimement élu, ce qui en temps usuel s’appelle un coup d'état, réalisé grâce à des milices armées ouvertement néo-nazies? Oui, mais « l'Ukraine voulait rentrer dans l'Otan et l’Union Européenne ! » (ce qui semble curieusement revenir au même).
...En est-on bien sûr? On l'avait demandé aux Ukrainiens ? Un sondage de 2012[ii] montrait que seuls 19% des Ukrainiens étaient favorables à une adhésion à l'Otan. En 2014, le président élu (et pas beaucoup moins corrompu que ses successeurs littéralement placés par les Etats-Unis), un président représentant donc l’Ukraine, selon les normes démocratiques usuelles, avait rejeté l’« accord d'association avec l'Union européenne », lequel accord contraignait en fait – et c’est là tout son intérêt- de renoncer à l’Accord de Libre échange signé au sein de la Communauté des Etats Indépendants, réunissant une partie des républiques de l’anciennes URSS.
Le président élu n’agissait pas par amour de Poutine, mais par pragmatisme : c'était juste plus avantageux pour l'Ukraine de se tourner vers la future Communauté économique eurasiatique[iii]. Mais l'intégration économique autour de la Russie, voilà précisément la hantise de l’Otan, ce qu’il fallait empêcher, quel qu’en soit le prix... : n’est-ce pas plutôt ce prix là que « l’Europe » est en train de payer ?
Quel aurait été ‘le prix’ d’honnêtement reconnaître qu’il est inacceptable pour n’importe quel pays, d’avoir une coalition militaire hostile directement à ses frontières? De simplement admettre que les préoccupations de sécurité de l'autre sont légitimes ? Quel aurait été, vraiment, ‘le prix’ pour l'Europe, Ukraine comprise, d'avoir des relations économiques normales et mutuellement profitables avec la Russie?
Ce n'est pas du tout "le prix de la paix et de la liberté" que le peuple européen est en train de payer lourdement: c'est uniquement le prix de la soumission et de la subordination de nos pays aux calculs géopolitiques des Etats-Unis et de l'Otan, c'est le prix payé à un taux démentiel pour des intérêts qui ne sont absolument pas les nôtres.
[i] Sophie Wilmès à Jeudi en Prime : à propos des sanctions contre la Russie, "le prix de la liberté, ça coûtera aussi à l’Europe" Rtbf, 10/03/2022
[iii] Voir l’excellent résumé sur YouTube « Ukraine : Comment en est-on arrivé là ? »