Roland Marounek
1 juillet 2022
Adolf Heusinger, de commandant de l'Operationsabteilung à la présidence du Comité militaire de l’OTAN (source https://www. lantidiplomatico.it) |
« (...) quand la Crimée vit tout entière dans la nostalgie de l'URSS, la Galicie, naguère polonaise et intégrée aujourd'hui à l'Ukraine, très nationaliste, est quant à elle nostalgique de son allégeance à l'occupant nazi, ce qui devrait nuancer cette terminologie "pro-occidentale" qui ne recouvre sans doute pas là-bas le même type de "valeurs". C'est si vrai que le 27 juillet, la ville de Lviv, ancienne Lemberg, capitale de la Galicie, organisait en partenariat avec la télévision locale une grande manifestation en l'honneur de l'UPA, le courant nationaliste ukrainien qui avait collaboré avec les nazis (avant de se retourner contre eux) et... de la SS Galicia, une unité supplétive de la SS constituée de nazis ukrainiens ayant commis des massacres de civils, notamment en ex-Yougoslavie.
Il fallait voir la ville portant fièrement les couleurs de l'unité SS, et les affiches annonçant l'événement, frappé de la croix gammée, au cœur de ce qui sera la future Europe ! Cette manifestation éclaire d'une lumière opaque les prétendues "valeurs communes" que nous partagerions avec les pro-occidentaux ukrainiens. Car en Ukraine, choisir le camp occidental, c'est souvent s'identifier à l'UPA et à la SS Galicia, tant l'opposition entre "prorusses" et "pro-occidentaux" se plaque sur les antagonismes radicaux issus des catastrophes du XXe siècle. (...)»
Ce texte a été écrit en 2008 par le Monde, que l‘on peut difficilement soupçonner de faire dans la propagande russe. Il montre en particulier que l’Europe et les Etats-Unis savaient pertinemment à quoi ils avaient à faire lorsqu’ils ont grossièrement soutenu la prétendue ‘révolution pro-européenne’. Il montre également que l’Otan doit savoir vers qui vont aujourd’hui les flots d’armes qui se déversent actuellement en Ukraine.
Le nazisme, allié de l’Otan dès sa création
Cette collaboration de facto entre l’Otan et les nazis (néo ou non) ne date pas d’hier : Le recyclage des nazis par les Etats-Unis (et les pays de l’Otan) est un fait établi, à l’instar de Reinhard Gehlen, passé de fondateur du service de renseignement militaire hitlérien à celui du service fédéral de renseignement ouest-allemand (BND). Pendant des décennies, d'anciens nazis et criminels de guerre ont ainsi recyclés aux plus hauts échelons de l’Otan. On ne compte pas moins de 6 anciens officiers de l’armée hitlérienne qui se retrouveront au commandement suprême des Forces alliées d'Europe centrale de l’Otan jusqu’au début des années 80[i]. Comment trouver de meilleurs collaborateurs pour l’Alliance Militaire « dressée contre le péril rouge » que des personnes nourries de haine contre le communisme, l’Union soviétique - et plus généralement tout ce qui était associé à la Russie ?
Une grande partie des collaborateurs ukrainiens des Nazis ont trouvé après guerre refuge et impunité dans les pays de l’Ouest[ii]. Les plus célèbres d’entre eux sont Stepan Bandera collaborateur de la première heure de l’Allemagne nazie, et Yaroslav Stetsko qui se réfugient tous deux en Allemagne fédérale après la guerre, où ils collaborent avec le BND et les services britanniques. Ils servent là de base à ceux qui, en Ukraine même, continuent à commettre sabotages et attentats terroristes contre l’état soviétique, recevant soutien en armes et renseignement des services occidentaux. Ce n’est qu’en 1954 que les derniers dirigeants sont capturés, contraignant les résidus de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) à mener une existence plus discrète.
Leurs descendants ont pu prospérer et proliférer en pleine lumière après le démembrement de l’URSS. Leur haine viscérale des Russes en fait d’excellents partenaires pour l’Otan.
Cacher, minimiser, regarder ailleurs...
Dès fin 2014, la milice paramilitaire Azov, qui ne cachait alors nullement son idéologie néo-nazie, était intégrée officiellement à la garde nationale ukrainienne. Azov est loin d’être la seule milice d’extrême droite en Ukraine, mais c’est celle dont la réputation, le pouvoir d’attraction et les moyens sont les plus puissants. Elle s’était illustrée lors des premiers combats oubliés à Marioupol où, en 2014, elle avait écrasé les insurgés de la ville russophones. Le président Porochenko en avait fait des héros nationaux : « ce sont nos meilleurs guerriers ».
Azov a mis à profit ces 8 années pour se renforcer considérablement à travers tout le pays, propager son idéologie, et recruter massivement : « Azov occupe un rôle central dans un réseau de groupes extrémistes s'étendant de la Californie jusqu'à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Europe, selon les autorités policières sur les trois continents » écrivait le Time en janvier 2021.
Dans un article de juin 2020, « Comment le conflit ukrainien est devenu le laboratoire du terrorisme d'extrême droite »[iii], le journal en ligne Slate.fr décrivait comment l'idéologie d’Azov constituait « un pôle d'attraction pour de nombreux militants suprémacistes blancs occidentaux, ouvertement nazis » :
« Nombre de ceux qui ont rejoint les rangs d'Azov considèrent la guerre civile ukrainienne comme un terrain d'entraînement en vue de la guerre raciale qui viendrait pour la défense de l'Europe blanche. «On a là des individus qui sont des combattants endurcis, probablement plus radicalisés qu'au moment de leur départ. On a aussi désormais affaire à un réseau international de suprémacistes blancs violents qui peuvent facilement dialoguer entre eux via différentes plateformes puis revenir chez eux, diffuser leur propagande, organiser des entraînements ou passer au prochain combat», expliquait en juin 2019 à Vice Mollie Saltskog, analyste renseignement au sein du cabinet de conseil stratégique Soufan Group. »
L’article cite notamment un ‘vétéran’ norvégien, admirateur auto-proclamé d'Anders Behring Breivik :
«C'est un peu comme un laboratoire du fascisme. Les conditions sont optimales. (...) Ils [le régiment Azov] ont réellement la ferme intention d'aider le reste de l'Europe à reprendre les terres qui lui appartiennent de droit.»
Ses propos font écho à ceux de la « responsable de la sensibilisation internationale » du mouvement Azov, rapportés dans l’article du Time, selon lesquels sa mission était de former une coalition de groupes d'extrême droite à travers le monde occidental, dans le but ultime de prendre le pouvoir dans toute l'Europe.
Cela n’a pas empêché le Canada de contribuer à la formation des soldats du bataillon Azov, au point où cette unité se targue maintenant de pouvoir former ses propres militaires selon les normes de l'OTAN, comme le révélait en avril Radio Canada[iv]
Aujourd’hui, face à l’évidence de l’omniprésence et de la puissance du bataillon, il est devenu difficile de soutenir que les Azov (et autres milices) sont un élément marginal, insignifiant, dont l’importance serait exagérée par les propagandistes pro-russes
On assiste dès lors à un blanchiment express dans les médias occidentaux: Ce ne sont plus que d’héroïques patriotes, et c’est affirmer leur nature néonazie qui est de la propagande russe. D’ailleurs, Zelenski lui-même l’a affirmé début mai, « Azov n’a rien à voir avec la politique » ! Les journaux reprennent sans le moindre recul les affirmations des membres d'Azov, et vont jusqu’à les présenter comme des protecteurs de l’Europe ; Le Soir écrivait en édito pendant le siège d’Avostal « C’est pour faire barrage à cette barbarie [russe], qui peut nous frapper tous un jour soudainement, que l’Europe doit accroître l’aide à ceux qui, là-bas, en ce moment même, refusent de se rendre et vont mourir »[v]. Radio France renchérissait, citant directement un officier du régiment Azov : « De Marioupol, où, avec le régiment Azov, il s'efforce de contenir les assauts russes, Illya Samoylenko témoigne de la barbarie de l'envahisseur (...). Selon lui, la résistance ukrainienne est un rempart pour l'Europe. »[vi]
On recommence allégrement la folie des années 80 en Afghanistan. Dans sa volonté de détruire la Russie quelles qu’en soient les conséquences, l’Otan est en train de préparer les ‘Breivik’ de demain.
[ii] notamment et singulièrement au Canada : plusieurs politiciens canadiens, dont l’actuelle vice première et ex-ministre des Affaires étrangères, sont des descendants directs de cette vague d’immigration nazie ; comment s’étonner de l’activité diplomatique particulièrement intense de ce pays poussant depuis longtemps à une rupture entre l’Ukraine et la Russie ?
[iii] http://www.slate.fr/societe/au-nom-de-la-race-blanche/episode-4-terrorisme-extreme-droite-conflit-ukrainien-laboratoire-creuset-militarisme
[iv] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1873461/canada-regiment-ukrainien-lie-extreme-droite-azov
[v] Le Soir, 20 avril