L’Ukraine et les leçons de dignité de l’Amérique Latine

Vladimir Caller
1 mars 2023

Alors que les dirigeants européens, les porte-étendards autoproclamés des grandes « valeurs », sont engagés dans une course effrénée pour remporter le concours de vassalisation envers les diktats de l’OTAN, voici qu’un vent de liberté et de dignité nous arrive du tiers-monde, plus exactement de l’Amérique latine où les dirigeants les plus éclairés ont su répondre avec un niet bien sonore aux pressions visant à les aligner dans le camp des va-t’en guerre.

La générale de l’armée étasunienne Laura J. Richardson, la cheffe du « SouthCom », le Commandement Sud de l’armée des USA actif en Amérique du sud et aux Caraïbes, s’est adressée aux responsables de la Défense de plusieurs pays d’Amérique latine leur demandant d’envoyer leurs équipements militaires d’origine russe pour soutenir l’armée ukrainienne[1]. En échange, ces pays recevraient des équipements américains équivalents flambant neufs ou, s’ils le préféraient, l’équivalent de leur prix sur le marché en dollars.

« Nous préférons que ces armes deviennent de la ferraille plutôt que de nourrir et prolonger cette guerre » fut la réponse peu diplomatique, mais si expressive, du Président colombien Gustavo Petro dont le pays connaît, pourtant, de sérieuses difficultés sur le plan économique.

Pas de chance non plus pour le chancelier allemand Scholz qui est allé faire un tour fin janvier en Amérique du Sud pour, à la fois, chercher à garantir des approvisionnements de lithium de ces pays et que ceux-ci s’associeraient aux positions de l’Occident concernant la guerre en Ukraine. Pèlerinage au cours duquel il était accompagné de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, la plus radicale des va-t’en guerre du gouvernement, pourtant du parti des Verts, chargée de s’assurer que Scholz reste strictement dans sa ligne dure.

La désillusion fut sévère pour le chancelier et sa ministre et elle fut provoquée par le président brésilien Lula da Silva sollicité par le gouvernement allemand pour envoyer du matériel militaire en Ukraine. Ce dernier n’a fait que confirmer sa condamnation des politiques occidentales visant à aggraver le conflit au lieu d’encourager des négociations de paix. Pendant sa campagne électorale en 2022, il avait déjà annoncé la couleur lorsqu’il commentait les problèmes d’approvisionnement en lait des enfants aux Etats-Unis : « Comment - s'est-il demandé - la plus grande puissance économique du monde peut-elle dire qu'elle n’a pas de lait pour les enfants après que le président Biden a annoncé 40 milliards de USD pour acheter des armes destinées à la guerre en Ukraine ? ». Confirmant son indépendance d’esprit, il avait également déclaré en mai 2022 au magazine Time que le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky « est aussi responsable que Poutine de la guerre. Parce que dans la guerre, il n'y a pas qu'un seul coupable »[2]. Déclarations qui avaient évidemment choqué la bien-pensance médiatique qui n’accepte que la diabolisation univoque du président russe.

Des armes et des morts

Le chancelier allemand était persuadé que, dans son pèlerinage politico-commercial, il aurait plus de chance de convaincre le président argentin Alberto Fernandez de livrer ses matériaux militaires d’origine russe à l’Ukraine. Pays en situation économique particulièrement difficile, avec un endettement envers le Fonds Monétaire International de 44 milliards de dollars, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il cède, vu sa vulnérabilité, aux pressions conjointes de la SouthCom et de la diplomatie allemande. Mais ce fut encore un échec pour ces démarcheurs, le président argentin Alberto Fernández déclarant en conférence conjointe avec le chancelier allemand que « l'Argentine et d'autres pays d'Amérique latine ne prévoient pas de fournir des armes à l'Ukraine, ni à aucune autre zone de conflit ». Il avait raison d’inclure dans sa déclaration d’autres pays d’Amérique latine parce que c’est une évidence. Outre la Colombie, le Brésil et l’Argentine, la Bolivie, Cuba, le Honduras, le Nicaragua, le Venezuela ont exprimé clairement leur condamnation des politiques ultra-militaristes des dirigeants occidentaux.

L’ancienne présidente brésilienne, Dilma Rousseff, a bien résumé cet état d’esprit en disant que la « doctrine Monroe » était définitivement enterrée en Amérique latine[3]. La démonstration de cet enterrement peut être attribuée au président mexicain Lopez Obrador lorsque, sollicité également pour soutenir les aventures militaristes en Ukraine, il donna une leçon d’éthique politique condamnant l’hypocrisie des politiques occidentales qui n’ont rien fait, bien au contraire, pour éviter la guerre en Ukraine. Pour eux, selon Lopez Obrador, « le plus facile c’est toujours d’envoyer des armes et de l’argent pour les armes. Leur politique immorale peut se résumer à ceci : ‘Je fournis les armes et vous fournissez les morts’ »[4].


[1] Ce même officier de l’armée américaine a fait, en juillet 2022, l’inventaire des richesses de l’Amérique latine en pétrole, gaz, or, cuivre, terres rares et plus particulièrement en lithium (en mentionnant concrètement le « triangle du lithium », Argentine, Bolivie, Chili) pour affirmer que « le moment est venu pour intensifier nos projets concernant cette riche région ». https://www.dvidshub.net/video/850912/southcom-leader-talks-about-latin-america

[2] https://time.com/6173232/lula-da-silva-transcript/

[3] Doctrine formulée par le président étatsunien James Monroe (1817-1825), selon laquelle l’Amérique latine est le domaine réservé des USA.

[4] https://www.aubedigitale.com/le-president-mexicain-denonce-le-caractere-immoral-de-la-guerre-par-procuration-menee-par-lotan-en-ukraine/