Les États-Unis à la conquête de l'Eurasie et du monde

Jean-Marie Chauvier
16 juin 2004

 

 

LES ETATS-UNIS A LA CONQUETE DE L'EURASIE ET DU MONDE.

 

La Russie et l'espace ex-soviétique dans le collimateur, mais pas seulement…

 

 

Depuis la fin de l'URSS et du bloc soviétique en 1989-91, la conquête (ou néo-colonisation) de l'Eurasie, en ordre essentiel la Russie et l'espace post-soviétique, est à l'ordre du jour. Non seulement d'un point de vue étroitement politico-militaire. Il s'agit d'un espace immense qui, depuis la révolution de 1917 en Russie, et depuis les bouleversements de 1945-48 en Europe centrale et orientale et en ex-RDA, fut partiellement soustrait à la domination du système capitaliste mondial tel qu'incarné dans "son" marché mondial, "sa" division internationale du travail, ses firmes transnationales et ses grandes institutions financières. Contre ce système, il n'y eut pas seulement une "guerre froide", mais une mobilisation permanente et polymorphe du monde capitaliste, dès 1917-18 avec le blocus de la Russie soviétique et les interventions des corps expéditionnaires de 14 pays, plus tard avec la tentative hitlérienne d'abattre le monstre "judéo-bolchévique", et après 1945, au travers de guerres froides et chaudes, illustrées par une panoplie d'interventions, opérations militaires, sabotages, campagnes psychologiques de déstabilisation et, last but not least, une course aux armements dans laquelle l'URSS épuisa ses forces. La question posée après 1991 et aujourd'hui n'est pas seulement d'instaurer sur ces territoires l'hégémonie états-unienne, de les intégrer progressivement à l'Union Européenne et à l'OTAN, au système financier mondial et à l'OMC, d'y combattre les vestiges d'idéologies socialistes. Plus précisément, cette hégémonie et cette intégration doivent servir à la fois des objectifs géostratégiques classiques - comme la mainmise sur les ressources pétrolières et sur un marché important de main d'œuvre assez qualifiée et sous-payée - et des objectifs de nature systémique: modifier les structures de propriété, les rapports sociaux, substituer aux relations de types bureaucratique, paternaliste, clanique et semi-féodal des relations authentiquement marchandes et capitalistes, devant imprégner la culture de travail, les comportements quotidiens, le "way on life" et l'ensemble des relations humaines. La globalisation, ou mondialisation dans ces pays n'est donc pas tout à fait identique à celle qui s'opère au Brésil ou en Indonésie, plus avancées que l'ex-URSS dans la voie du Marché, mieux intégrées au système mondial, bien qu'y subsistent également des modes de production pré-capitalistes et de fortes "singularités" culturelles. La destruction de ces "singularités" est part intégrante de la globalisation.

L'un des stratèges états-uniens à avoir le mieux compris l'ampleur de cette tâche, et la centralité de l'Eurasie, de la Russie, dans cette entreprise de refonte de l'ordre mondial est Zbig Brzezinski. Cet ancien conseiller du président Carter avait initié (et s'est vanté d'avoir réussi) la captation des mouvements islamistes pour déstabiliser l'URSS, en l'entraînant dans "le piège afghan". Il avait soutenu l'UCK au Kosovo. Il place tous ses espoirs dans la conquête euro-atlantique de l'Eurasie.

Mais la pensée de ZBIG déborde largement les objectifs géostratégiques centrés sur l'Eurasie. C'est la planète entière qui doit être hégémonisée, policée, séduite par l'Amérique, dont l'attractivité culturelle est irrésistible mais qui, du fait de sa puissance sans rivale, doit agir en concertation avec ses alliés et non de manière unilatérale à la Bush. Elle ne peut décevoir les espoirs immenses qu'elle soulève !

 

Pensées de ZBIG

Ou comment l'Amérique triomphante  nous conduit vers le meilleur des mondes.

 

 

Quelques passages éloquents et significatifs de la pensée du stratège démocrate états-unien Zbigniew Brzezinski.

Extraits de

Zbiegniew Brzezinski "The Grand Chessboard" 1997, en français "Le grand

Echiquier", Bayard ed.1997.

Zbigniew Brzezinski "Le Vrai Choix" ed.Odile Jacob, 2004

 

En résumé:

 

Zbiegniew Brzezinski, "Zbig" pour ses familiers, expose sur les ambitions impériales des Etats-Unis des idées qu'on n'oserait énoncer à Paris sous peine de se faire traiter d'"anti-américain". Sous nos plumes, les objectifs stratégiques et les manipulations des nations qu'il préconise seraient taxées de "grand complot". C'est pourtant le discours élémentaire de tout stratège américain qui se respecte, "Zbig" étant loin d'être le plus extrémiste, son messianisme étant obsédé par le souci de l'alliance avec l'Europe, évitant aux Etats-Unis l'isolement et la situation d'"assiégés".

Hostile à l'"unilatéralisme" de George Bush, "le Polonais" qui joua un rôle-clé dans la déstabilisation du bloc soviétique en Pologne et en Afghanistan, dans le soutien américain aux réseaux islamistes et à l'UCK albanaise au Kosovo, montre aujourd'hui les perspectives d'une action concertée des Etats-Unis et de l'Europe en vue d'investir "l'échiquier eurasien", l'ex-URSS, d'intégrer tout en la désagrégeant la puissance russe, de coloniser la Sibérie et les "Balkans eurasiens" (Caucase, Caspienne, Asie centrale) riches en réserves d'hydrocarbures et, plus généralement, de contrer le chaos des "Balkans mondiaux" où "Zbig" inclut tant les ex-républiques soviétiques que l'ensemble du Moyen-Orient. Le tout, sous l'hégémonie des Etats-Unis, qui doivent "conduire" les nations et leur servir de modèle, assurer leur transformation marchande démocratique et leur sécurité, mais sans les "dominer". La suprématie économique, militaire et culturelle des Etats-Unis et leur force d'exemple doivent suffire à faire accepter leur leadership.

Celui-ci est déjà une réalité, quoique fragile: "Zbig" craint les dérives (y compris américaines) qui installeraient le chaos dans le monde et l'état de siège aux Etats-Unis, face à un anti-américanisme croissant, celui que véhiculent les adversaires de la mondialisation, que "Zbig" n'est pas loin d'assimiler aux terroristes et aux héritiers mal repentis du communisme, sans compter les Russes qui restent russes.

Ce qui frappe tout de même le plus dans sa vision, c'est l'optimisme quant aux capacités et aux qualités intrinsèques qui font de la société américaine le modèle de l'"avenir radieux" auquel nous sommes tous conviés. Or, si la politique d'un Bush et sa guerre en Irak sont désormais très contestés, les idées d'un "Zbig", et les guerres qu'elles impliquent également, rencontrent en Europe un consensus beaucoup plus large, comme du temps de Clinton, un consensus allant de la droite chiraquienne à la gauche post-communiste en Italie, en passant par les Verts de Cohn-Bendit et Joschka Fischer, sans oublier le vaste monde des organisations mobilisées, derrière Bernard Kouchner, pour le droit d'ingérence militaro-humanitaire. Ne nous voilons donc pas la face: les "excès" et les échecs de Bush dérangent, mais fondamentalement, les Etats-Unis sont "les nôtres", et tout, dans nos modes de vie et de pensée, appelle à soutenir les projets qui, grâce aux Etats-Unis et à leurs forces armées, permettent de perpétuer et d'étendre la domination, la colonisation qui nous assurent pétrole, matières premières et main d'œuvre à bas prix, confort et sécurité face aux "barbares" révoltés des bas-fonds de la planète. De ce point de vue, "Zbig" montre la voie à suivre. Il est la source, d'où jaillit la lumière.

Jean-Marie CHAUVIER

 

Dans les extraits qui suivent, nos propres liaisons et résumés sont en italiques, de même que nos commentaires, placés entre parenthèses.

 

 

"Ma thèse centrale".

 

Ma thèse centrale quant au rôle de l'Amérique dans le monde est simple: la puissance de l'Amérique, qui lui sert à affirmer d'une façon dominante la souveraineté de la nation, est aujourd'hui l'ultime garant de la stabilité internationale; dans le même temps, la société américaine est à l'origine de grandes tendances mondiales qui diluent la notion même de souveraineté nationale. La conjugaison de la puissance américaine et de sa dynamique sociale pourrait favoriser l'émergence graduelle d'une communauté d'intérêts partagés à l'échelle planétaire. La collision de ces deux facteurs ou leur usage inapproprié est susceptible de jeter le monde dans le chaos, laissant l'Amérique en état de siège"

( "Le Vrai Choix" p.7)

 

Sur l'hégémonie de fait et légitime des Etats-Unis.

 

"La position unique qu'occupe l'Amérique dans la hiérarchie mondiale est aujourd'hui largement admise. La surprise initiale, voire la colère, suscitées à l'étranger par l'affirmation explicite du rôle hégémonique de l'Amérique ont laissé place à des efforts plus résignés (…)

Les Russes eux-mêmes, qui, nostalgie aidant, ont été les plus réticents à reconnaître l'ampleur de la puissance et de l'influence américaines, ont accepté le fait que, dans la période actuelle, les Etats-Unis ont vocation à jouer -seuls- un rôle décisif dans les affaires mondiales" (…)

La proclamation relayée par toute la planète - "Nous sommes tous des Américains" (au lendemain du 11 septembre 2001) - traduisait une authentique empathie. Au-delà, elle servait aussi à réaffirmer une loyauté politique sans réserve. Le monde actuel n'apprécie pas nécessairement la pré-éminence américaine. Qu'il s'en défie, s'en irrite, voire conspire à y échapper, il ne peut, en pratique, la contrer ouvertement."

("Le Vrai Choix" pp.15-16)

 

La prépondérance américaine: pas seulement militaire.

 

La guerre du Golfe, en 1991, puis l'intervention au Kosovo, en 1999, établirent l'avance toujours plus grande des Etats-Unis dans l'exploitation militaire des nouvelles technologies et démontrèrent sa capacité de frapper ses adversaires avec une relative impunité. La prépondérance américaine était reconnue au-delà du seul domaine militaire. Elle s'affirmait avec autant d'évidence dans les dimensions "douces" de la puissance, l'innovation scientifique, l'adaptation technologique, le dynamisme économique et, de façon plus indiscutable encore, dans l'expérimentation socio-culturelle". (Ainsi) l'Etat (américain) s'appuyant sur sa position dominante, remplit sa mission de vigie de la stabilité internationale, tandis que la société diffuse ses modèles avec une rapidité et un impact facilités par la mondialisation? Transcendant ainsi frontières et contrôles territoriaux, elle dissout l'ordre social traditionnel"

( "Le Vrai Choix"p26)

 

Vulnérabilité des Etats-Unis.

 

"Les nouvelles technologies réduisent les obstacles géographiques. Elles facilitent les projets des acteurs hostiles aux Etats-Unis, multiplient leurs moyens et étendent leur rayon d'action. Cela, alors même que les réactions à la mondialisation désignent ce pays comme la cible évidente des ressentiments (…) Les organisations terroristes internationales, par exemple, jouissent d'un accès toujours plus facile à des armements toujours plus destructeurs"

("Le Vrai Choix"p.27)

 

Les risques d'Apocalypse.

 

"Pour la première fois dans l'histoire, il est possible d'envisager un scénario de "fin du monde" sans connotation biblique ni intervention divine, sous la forme d'une réaction en chaîne cataclysmique et mondiale, déclenchée par l'homme.

L'épisode décrit dans le dernier Livre du Nouveau Testament, Révélation 16, fournit la description fidèle d'un suicide nucléaire et bactériologique planétaire" (Suit l'énumération, par "Zbig", des scenarii catastrophes plausibles. En résumé :

1)     Guerre stratégique centrale de destruction massive "peu probable dans la période", Etats-Unis- Russie, Etats-Unis-Chine, Chine-Russie.

2)     Guerres régionales majeures. Inde-Pakistan, Israël-Iran.

3)     Guerres de dislocation ethnique: Inde, Indonésie.

4)     Mouvements de libération: Tchétchènes, Palestiniens.

5)     Attaques surprises, y compris de frappes anonymes, contre les Etats-Unis.

6)     Attentats terroristes sur le modèle du 11 septembre.

7)     Cyber-attaques terroristes ou anarchistes plongeant le monde civilisé dans le chaos.)

("Le Vrai Choix" pp 27-30)

 

(A noter: les agressions des Etats-Unis et de l'OTAN ne sont pas mentionnées comme périls. L'obsession du danger, de la menace, voire de l'Apocalypse illustre bien la paranoïa qui s'empare des mentalités. Or, "Zbig" lui-même dénonce la "culture de la peur" développée aux Etats-Unis)

 

 

"Une Europe vraiment "européenne" n'existe pas.

C'est notre tête de pont stratégique.

 

"L'Europe est la tête de pont stratégique fondamentale de l'Amérique (…) Une Europe vraiment "européenne" n'existe pas. C'est une vision d'avenir, une idée et un but; ce n'est pas une réalité(…)Pour le dire sans détour, l'Europe de l'Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses états rappellent ce qu'étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires.(…) Même la sensibilité anti-américaine, quoique très minoritaire, alimente un certain cynisme: les Européens déplorent "l'hégémonie" des Etats-Unis, mais ils se satisfont de la protection qu'on leur offre" (…) Laissés à eux-mêmes, les Européens courent le risque d'être absorbés par leurs problèmes sociaux internes (…) La crise (européenne) trouve ses racines dans l'expansion de l'Etat-Providence, qui encourage le paternalisme, le protectionnisme et les corporatismes."

 

(Zbiegniew Brzezinski "The Grand Chessboard" 1997, en français "Le grand échiquier", Bayard ed.1997, ch.3 "La tête de pont de la démocratie")

 

L'Europe et l'OTAN élargies:  agir ensemble.

 

"Ensemble, les Etats-Unis et l'Union européenne constituent le noyau de la stabilité politique mondiale et de la richesse économique. En agissant de concert, les deux entités jouiraient d'une omnipotence planétaire (Mais le risque existe d'une autonomie européenne et d'une rivalité "destructive" tant pour l'Europe que pour les Etats-Unis. Dès lors) les Européens seraient bien inspirés de se montrer plus pondérés dans l'expression de leurs récriminations (…) Mais, vu l'absence d'unité politique et la faiblesse militaire de l'Europe " ces rodomontades n'ont guère de conséquences. Mieux que les Américains, les Européens savent qu'une véritable remise en cause de la relation atlantique serait fatale au destin de l'Europe (…) L'Union Européenne et l'OTAN n'ont pas le choix: elles doivent travailler à leur élargissement ou perdre le bénéfice de la victoire qui a conclu la guerre froide"

( "Le Vrai Choix" pp 122-133)

 

L'Eurasie, enjeu principal.

 

Pour l'Amérique, l'enjeu géopolitique principal est l'Eurasie (…)On dénombre environ 75% de la population mondiale en Eurasie, ainsi que la plus grande partie des richesses physiques, sous forme d'entreprises ou de gisements de matières premières. L'addition des produits nationaux bruts du continent compte pour quelque 60% du total mondial. Les trois quarts des ressources énergétiques connues y sont concentrées (…) L'Eurasie demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l'Amérique pourrait éventuellement apparaître. (L'auteur songe principalement à la Russie et à la Chine. Dans ce contexte…) L'Ukraine, l'Azerbaidjan, la Corée, la Turquie et l'Iran constituent des pivots géopolitiques cruciaux" (Plus tard, on ajoutera la Géorgie !) (ch 2 L'échiquier eurasien) La longévité et la stabilité de la suprématie américaine sur le monde dépendront entièrement de la façon dont ils manipuleront ou sauront satisfaire les principaux acteurs géostratégiques présents sur l'échiquier eurasien (…)

("Le Vrai Choix" conclusions)

 

 

L'ex-URSS et la Russie: "le trou noir"

"Jamais il n'était entre dans les intentions des Etats-Unis de partager leur prééminence mondiale (avec la Russie) La Russie n'a accompli qu'une rupture partielle avec son passé (…) A Moscou, sur la Place Rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l'ordre soviétique. Imaginons un instant une Allemagne gouvernée par d'anciens gauleiters nazis, se gargarisant de slogans démocratiques et entretenant le mausolée d'Hitler au centre de Berlin (…)

("Le Grand Echiquier" ch.4 "Le trou noir").

(L'auteur dénonce également les tentations néo-impériales de la Russie et estime qu'il faut empêcher toute reconstitution d'une puissance autour d'elle)

 

"Décentraliser" ou démembrer la Russie ?

 

"Une Russie plus décentralisée aurait moins de visées impérialistes. Une confédération russe plus ouverte, qui comprendrait une Russie européenne, une république de Sibérie et une république extrême-orientale, aurait plus de facilités " (avec l'Europe, les nouveaux états, l'Orient, les Etats-Unis)

 

Cette option pour "décentraliser" la Russie, qu'on retrouve à l'époque (1997-1998) dans des appels américains à développer les "relations directes" avec les régions plutôt qu'avec Moscou correspond à une situation donnée: plusieurs régions russes étendent leur autonomie, voire établissent des frontières commerciales et traitent directement avec l'étranger. La Russie vient d'essuyer une défaite en Tchétchénie (1996) où les oléoducs transportant les pétroles de la Caspienne vers la Russie sont sabotés et où prennent place les groupes islamistes armés. La voie semble ouverte d'un démantèlement de la Fédération de Russie. Poutine n'est pas encore arrivé…

( Zbiegniew Brzezinski "The Grand Chessboard" 1997, en français "Le grand échiquier", Bayard ed.1997)

 

L'anti-américanisme de l'élite russe.

 

"Dans sa grande majorité, cette élite (russe) est antiaméricaine d'instinct, mais elle ne dispose pas d'une formulation systématique susceptible de justifier et de canaliser cette hostilité (…) La Russie n'est pas en mesure de rivaliser avec l'Amérique sur le terrain économique, mais le contraste entre la pauvreté russe et l'abondance américaine peut servir de symbole de la platitude culturelle, de la rapacité matérialiste et de la vacuité spirituelle de l'Amérique, aux antipodes de la Russie. Cette démarche a l'avantage d'associer la Russie aux divers courants de l'antimondialisation présents dans le monde."

("Le Grand Choix" ch.3)

 

(On est en 2003-2004: "Zbig" a pu constater, comme tout le monde, le discrédit des politiques ultralibérales en Russie, le ressentiment envers les experts occidentaux, le retour de méfiance envers les Etats-Unis, malgré l'alliance "antiterroriste" officiellement nouée entre Poutine et Bush.)

 

Objectif transnational: coloniser la Sibérie.

 

"Un effort transnational pour développer et coloniser la Sibérie serait susceptible de stimuler la relation euro-russe(…) Avec une présence européenne plus marquée, la Sibérie deviendrait en quelque sorte un bien eurasien commun, exploité par accord multilatéral (qui) offrirait à la société européenne rassasiée ke défi d'une "nouvelle frontière". (Mais) la coopération avec la Russie doit s'accompagner d'initiatives complémentaires destinées à mieux asseoir le pluralisme géopolitique."

 

L'Ukraine, prochaine étape de l'UE et de l'OTAN.

 

"La défaite et la chute de l'Union Soviétique ont parachevé l'ascension rapide des Etats-Unis comme seule et, de fait, première puissance mondiale réelle. (...) Ils sont devenus du même coup la première et la seule vraie puissance globale"(...) Pour l'Amérique, l'enjeu géopolitique principal est l'Eurasie.(...)

 

D'expliquer que l'Ukraine y occupe une position cruciale, du fait même qu'elle peut permettre ou empêcher la reconstitution au coeur de l' Eurasie et autour de la Russie d'une puissance contestant la suprématie des Etats -Unis.

 

"L'indépendance de l'Ukraine modifie la nature même de l'Etat russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l'échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire en Eurasie"

 

L'Asie centrale, le Caucase, les "Balkans eurasiens" et leurs ressources énergétiques sont au coeur de la stratégie états-unienne, mais

 

"L'Ukraine constitue cependant l'enjeu essentiel. Le processus d'expansion de l'Union Européenne et de l'OTAN est en cours. A terme, l'UKraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l'une et l'autre de ces organisations"

 

( Zbiegniew Brzezinski "The Grand Chessboard" 1997, en français "Le grand échiquier", Bayard ed.1997)

 

"L'Union européenne et l'OTAN n'ont donc pas le choix : elles doivent travailler à leur élargissement ou perdre le bénéfice de la victoire qui a conclu la guerre froide (…)"L'extension de l'orbite euro-atlantique rend impérative l'inclusion des nouveaux états indépendants ex-soviétiques et en particulier l'Ukraine"

 

(Zbigniew Brzezinski "Le Vrai Choix" ed.Odile Jacob, 2004)

 

Après l'élargissement de l'UE à 25 puis à 27, de l'OTAN à 26 membres "la définition d'un processus adapté, qui encouragerait l'Ukraine à préparer son adhésion (peut-être envisageable avant la fin de la décennie) apparaît, en toute logique, comme l'étape suivante. Dans une certaine mesure, les mêmes considérations valent aussi pour le très volatil Caucase. "

 

Outre le détachement de l'Ukraine et du Sud Caucase de l'influence russe

"la responsabilité de la stabilisation du Caucase pourrait bien échoir- comme elle le devrait - pour une part déterminante, à l'OTAN"(…) Une fois que la Russie se résignera à l'inévitable - à défaut du désirable- c'est-à-dire à la poursuite de l'élargissement de l'OTAN(…) les obstacles à un prolongement du rayon d'action de l'OTAN jusque dans l'espace ex-soviétique s'effondreront".

 

L'auteur loue le "réalisme" de Vladimir Poutine depuis le 11 septembre, mais indique clairement les enjeux de la bataille pour l'Eurasie: les ressources énergétiques de la Caspienne et de la Sibérie actuellement sous contrôle ou sous influence russes.

 

 

Principal objectif: l'or noir. Gros danger: la Russie.

 

"Au cours des prochaines décennies, la région la plus instable et la plus dangereuse- au point de pouvoir plonger la planète dans le chaos- sera celle des Balkans mondiaux" (L'auteur inclut dans cette notion assez floue le Moyen-Orient, l'Iran et les territoires d'ex-URSS compris comme "Balkans eurasiens". Il souligne que cette région contient les plus grandes réserves de pétrole et de gaz, qu'elle est très instable et que les Etats-Unis "n'ont pas le choix", ils doivent ) maintenir une stabilité minimale dans une région structurée par des Etats chancelants (…) Du point de vue des intérêts américains, la configuration géopolitique actuelle dans la principale zone productrice d'énergie laisse à désirer.(…) Au nord, soit dans le sud du Caucase et en Asie centrale, les nouveaux Etats indépendants exportateurs de pétrole vivent encore les premières phases de leur consolidation politique (Mais) la Russie poursuit une politique agressive afin de s'assurer un monopole d'accès aux ressources d'énergie (En attendant que le nouvel oléoduc BTC exportant les pétroles de la Caspienne hors des contrôles russe et iranien soit construit) la région est exposée aux manœuvres de la Russie et de l'Iran (…) Jusqu'à présent, la Russie ne s'est pas mise en travers des projets militaires américains, visant à modifier les réalités stratégiques de la région. (Mais le "tremblement de terre" du Golfe persique pourrait tout remettre en question et si les Etats-Unis n'y prennent garde) "la Russie accentuerait ses efforts visant à saper une présence militaire et politique durable des Etats-Unis en Asie centrale"

 

("Le Vrai Choix" ch.2 "Le nouveau désordre mondial et ses dilemmes" passages soulignés par nous)

 

Caucase: vers la désagrégation de la Russie et de l'Iran ?

 

"Placée naguère sous le contrôle impérial exclusif de la Russie, la région comprend aujourd'hui trois états indépendants, dont la sécurité est mal assurée (la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaidjan), ainsi qu'une constellation de petites enclaves ethniques dans la partie septentrionale toujours sous domination russe." (Souligné par nous.  L'auteur parle des républiques nord-caucasiennes membres de la Fédération de Russie !)

("Le Vrai Choix" p.135)

 

(Les termes employés, "enclaves" et "toujours", indiquent la volonté de détacher ces pays de la Russie, autrement dit d' amorcer par le Caucase la désagrégation de la Russie telle que l'envisageait déjà "Zbig" dans "Le Grand Echiquier". Or, "Zbig" anime le Comité pour la Paix en Tchétchénie et est connu comme le co-auteur, avec le ministre des affaires étrangères séparatiste tchétchène Akhmadov, du "Plan Akhmadov" en vue d'établir sur la Tchétchénie un mandat de l'ONU prélude à l'indépendance. Cette idée d'un "Kosovo caucasien" est soutenue par le parti radical transnational qui en assure la promotion à travers l'Europe, par les Verts européens et de nombreux parlementaires, personnalités et militants politiques, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, et avec l'appui de plusieurs mouvements pacifistes (Pax Christi) et des Droits de l'Homme russes et internationaux.

 

 

L'Azerbaidjan ex-soviétique: une pièce maîtresse.

 

"L' Azerbaidjan (…) recouvre une zone névralgique, car elle contrôle l'accès aux richesses du bassin de la Caspienne et de l'Asie centrale(…)Un Azerbaidjan indépendant, relié aux marchés occidentaux par des pipe-lines qui évitent les territoires sous influence russe (souligné par nous) permet la jonction entre les économies développées, fortes consommatrices d'énergie, et les gisements convoités des républiques d'Asie centrale"

("Le Grande Echiquier, p.75)

 

"La région demeure, en outre, le point de rencontre et de confrontation entre la Russie, l'Iran et la Turquie. A ces frictions traditionnelles (ethniques, religieuses) est venue s'ajouter, depuis le début de l'ère post-soviétique, la compétition vigoureuse pour la répartition des ressources en énergie de la mer Caspienne. A terme, il est par ailleurs probable que la très importante population azérie du nord-ouest iranien voudra obtenir la réunification de son territoire avec l'Azerbaidjan indépendant et relativement prospère, allumant un nouveau foyer d'incendie dans la région." (souligné par nous)

 

(Zbig constate donc la "possibilité" d'un éclatement de l'Iran. Remarquons que, très vigilant envers les déficits démocratiques de nombreux pays, ne semble pas excessivement préoccupé par ceux du régime allié d'Azerbaidjan, pourtant l'un des plus répressifs de la région.

Notons aussi qu'un pays azéri (turc) réunifié pourrait devenir un espace considérable d'influence pour la Turquie)

 

 

Les Balkans eurasiens" selon ZBIG

 

L'expression "Balkans eurasiens" pour désigner la partie non-russe (méridionale) de l'ex-Union Soviétique est employée par le célèbre stratège US  Zbignew Brzezinski dit "Zbig" qui entend par là, à l'instar des Balkans européens, une vaste région exposée au morcellement et aux interventions des grandes puissances dont celle, contestable, de la Russie, et celle, jugée prioritaire et légitime, des Etats-Unis.

Cette région instable va de l'Ukraine orientale à l'Asie centrale, en passant par le Caucase et la Mer Caspienne. Le riche bassin d'hydrocarbures de la Caspienne et les voies d'exportation du pétrole et du gaz sont le lieu de rivalités entre l'ancienne puissance dominante, la Russie (l'ex-URSS "dégradée" en CEI) et les Etats-Unis, qui revendiquent la prédominance en Eurasie, en raison de leur vocation à diriger le monde. C'est du moins la façon de voir des stratèges américains, qu'ils soient proches de Bush ou adversaires, libéraux et démocrates, tel "Zbig". La Transcaucasie  (ou Caucase du sud ou Caucasie méridionale) est la région la plus avancée dans la voie du basculement dans le camp des Etats-Unis et de l'OTAN. Elle comporte trois états: l'Azerbaidjan, où est extrait le pétrole de la Caspienne, la Géorgie, où il transite, et l'Arménie, qui échappait jusque récemment à ce basculement, en raison de ses sympathies pro-russes et, surtout, de ses conflits avec l'Azerbaidjan et la Turquie voisine. Cette situation géopolitique est en train d'évoluer rapidement. Comme l'Azerbaidjan et la Géorgie, l'Arménie pourrait être candidate à l'OTAN. Les échecs russes en Tchétchénie pourraient amener "la communauté internationale" à s'en occuper activement, du moins dès que les Etats-Unis le jugeront opportun.

 

 

 

Face aux "anti-mondialistes".

Le contenu moral de la mondialisation reste vague et ses plus ardents promoteurs n'ont qu'un intérêt très relatif pour la justice sociale. Certains virent là deux bonnes raisons de stigmatiser la mondialisation comme nouvelle doctrine mondiale de l'exploitation (…) Ces accusations devaient ranimer la flamme chez les marxistes inguérissables ou désillusionnés, séduire les courants populistes ou anarchistes, environnementalistes ou écologistes et attirer sectes religieuses ou extrême-droite nationaliste (…) L'antimondialisation occupe l'espace laissé vacant par l'effondrement du communisme.

("Le Vrai choix", pp 204-206)

 

 

 

 

L'Amérique, modèle culturel irrésistible.

 

Les 2,7 milliards d'humains âgés de 10 - 34 ans montrent une remarquable uniformité dans leur intérêt pour les tout derniers CD, leur fascination pour les films ou les séries télévisées américaines, leur attirance pour la musique rock et les jeux vidéo ou les jeans (…) L'extraordinaire pouvoir de séduction de la culture de masse américaine tient à son enracinement dans la conception nationale (américaine) de la démocratie (…) L'Amérique est devenue, en dehors de toute intention politique, un véritable attracteur culturel. Elle influence, absorbe et redéfinit les comportements et les modes de pensée d'une part croissante de l'humanité (…) Internet contribue aussi à l'identification virtuelle immédiate avec l'Amérique(…) L'influence de l'Amérique s'étend jusqu'aux usages alimentaires, privilégiant dans ce domaine la facilité et la rapidité (…) Même dans l'univers politique, les attitudes évoluent sous l'influence du modèle américain (il y a) contagion par les méthodes du marketing de masse américain (…) et d'une présentation manipulatrice des dirigeants politiques et de leur profil (…) La diffusion rapide de l'anglais comme lingua franca planétaire facilite la reproduction de ces traits culturels (…) L'Amérique pourvoit à la formation des futures élites d'Asie, du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Amérique latine (…) Les esthètes peuvent bien condamner la culture de masse, leurs propres préférences ne sont pas contagieuses. Aucun décret politique n'est susceptible de mettre un terme à la séduction culturelle qui se propage depuis l'Amérique (…) La fascination du monde entier à l'égard de l'Amérique ne laisse aucune place pour la neutralité ou l'indifférence(…) Elle est admirée ou détestée et parfois les deux à la fois, avec une intensité qui n'a d'égale que sa domination"

(L'auteur souligne aussi les déceptions que peut semer l'Amérique, et ses propres fragilités face aux attentes et aux exigences qu'elle suscite. Il lui faut donc la suprématie, c'est même sa responsabilité face au monde, mais aux méthodes de domination, elle doit préférer "une communauté mondiale d'intérêts partagés". C'est ainsi que l'Amérique pourra exercer sa puissance et sa responsabilité de l'ordre planétaire )

 

("Le Vrai choix", pp 240 à 252)