20 février 2004
En 1998, le président yougoslave Slobodan Milosevic ne détenait pas d'« armes de destruction massives ». Selon Bill Clinton, il organisait le nettoyage ethnique du Kosovo. Prenant acte de l'incapacité de l'ONU à empêcher un nouveau génocide en Europe, l'OTAN déclara la première « guerre humanitaire » de l'Histoire. Après la victoire de l'Alliance atlantique, un tribunal pénal international fut chargé de condamner Milosevic, le nouvel Hitler. Mais à l'issue de deux ans d'audience, le procureur a dû admettre que le génocide de 500 000 Kosovars n'était qu'un artifice de propagande et ne parvient pas à démontrer l'existence d'un projet d'extermination.
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C'est le 29 juin 2001 que Slobodan Milosevic a été transféré de la République fédérale de Yougoslavie et placé sous la garde du Tribunal pénal international ad hoc pour l'ex-Yougoslavie(TPIY). Il faisait l'objet de trois actes d'accusation distincts relatifs aux crimes commis au Kosovo, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Les trois affaires ont finalement été confondues pour ne donner lieu qu'à un seul méga-procès qui s'est ouvert le 12 février 2002. Il devait clore une décennie de barbarie et manifester le triomphe des démocraties.
Deux ans plus tard, le procureur, malgré des moyens propres démesurés (262 millions de dollars de budget pour la période et 1881 salariés) auxquels s'ajoutent tous les moyens militaires de l'OTAN, et après l'audition de près de 300 témoins, est dans l'incapacité de démontrer le bien-fondé de ses accusations. On évoque désormais un possible acquittement de Slobodan Milosevic, au moins des chefs d'accusation les plus graves portés à son encontre, notamment celui de génocide.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a été créé, le 25 mai 1993, par la résolution 827 du Conseil de sécurité. Un second tribunal fut créé peu après pour le Rwanda (résolution 955 du 8 novembre 1994). Cet effort s'est prolongé plus tard avec la création d'une Cour pénale internationale (TPI), non pas consacrée à juger les acteurs d'un conflit particulier, mais avec compétence universelle. Pour renforcer son autorité, le Conseil de sécurité entendait doter l'ONU d'une instance judiciaire capable de sanctionner les individus ayant violé ses résolutions.
Cet objectif paraît simple et évident, mais il est en fait incohérent car les résolutions du Conseil s'adressent aux États, tandis que les tribunaux internationaux jugent des individus.
Rapidement ce système hybride a posé plus de problèmes aux membres permanents du Conseil de sécurité qu'ils n'en a résolu. Au point que des États-Unis, après avoir joué un rôle actif, ont essayé par tous les moyens de saboter la création de la Cour pénale internationale.
La résolution 827 fonde le TPIY sur le chapitre VII de la Charte des Nations unies qui ne porte pas sur le pouvoir judiciaire, mais sur l'action exécutive de défense de la paix. En droit, le TPIY n'a donc de tribunal que le nom, puisqu'il est un prolongement de l'exécutif. Il ne s'appuie pas sur une loi, ni une procédure préexistants dans un traité international, mais les invente lui-même selon ses besoins. Le président peut les modifier en cours d'application et n'a besoin pour cela que de l'approbation des autres juges transmise par fax. D'une manière générale, le TPIY s'est aligné sur les normes états-uniennes les plus dures : détention prolongée jusqu'à 90 jours des suspects en attente d'inculpation, acceptation de témoignages de repentis, voire de personnes anonymes, acceptation de preuves d'origine secrète et donc non-soumise à contestation par la défense.
L'activité du TPIY s'est d'abord heurtée à la raison d'État des grandes puissances dont il est la manifestation. Celles-ci ont refusé d'exécuter nombre de mandats d'arrêt qui leur étaient transmis. Elles continuent de protéger certains acteurs du drame ou de craindre leurs révélations. Dix-huit accusés, dont Radovan Karadzic et Ratko Mladic, courent toujours.
Juges et parties
Au demeurant, le TPIY ne donne aucun des gages d'impartialité que l'on attend d'une telle juridiction. Son budget n'est pas seulement abondé par des États dans le cadre de l'ONU, mais aussi par des donateurs privés, principalement les Fondations Carnegie, MacArthur, Rockefeller et Soros. Les procureurs successifs ont été choisis sur proposition des États-Unis et avaient pris position publiquement, avant leur nomination, sur la culpabilité de Milosevic. Plusieurs juges entretiennent des contacts avec des parties au conflit, au vu et au su de tous.
Surtout, le TPIY souffre de maux anciens, comme ses prédécesseurs, les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo : ils rendent la justice des vainqueurs. À Nuremberg, le procureur soviétique était l'organisateur des grandes purges staliniennes, tandis que les juges états-uniens s'efforçaient de faire oublier les crimes contre l'humanité d'Hiroshima et Nagasaki. Au TPIY, le procureur a écarté d'emblée toute mise en accusation des responsables de l'OTAN.
Condamner les vaincus pour justifier l'action des vainqueurs
Au moins, à Nuremberg et à Tokyo, les vainqueurs avaient veillé à garantir les droits des accusés à se défendre. Il est vrai que cela ne comportait aucun risque, puisque leur culpabilité était établie. La justice était sélective, mais ses décisions étaient impartiales. Elle avait un rôle pédagogique pour les peuples vaincus. Au contraire, le TPIY ne vise pas à faire connaître a posteriori des crimes à l'opinion publique, mais à établir l'authenticité de crimes dont l'évocation avait emporté des décisions politiques. Il doit condamner les vaincus pour justifier l'action des vainqueurs.
Or, Slobodan Milosevic est poursuivi pour des crimes commis en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, notamment le « génocide » de la population de Srebrenica, en juillet 1995, alors même que les États-Unis et l'Europe lui demandèrent d'être le principal garant des Accords de paix de Dayton, le 21 novembre 1995. En d'autres termes, on lui reproche aujourd'hui des crimes, y compris le plus grave de tous, le génocide, dont on le considérait innocent à l'époque. Ce qui a changé, c'est qu'entre temps, il est devenu l'adversaire de l'OTAN et a perdu la guerre du Kosovo. On lui reproche donc également des crimes commis au Kosovo. Mais sachant que l'OTAN a assené pendant des mois que Milosevic était un nouvel Hitler et qu'il fallait intervenir militairement pour arrêter le nettoyage ethnique du Kosovo, la barre a été placée beaucoup trop haute. Que Slobodan Milosevic ait sa part de responsabilité dans une décennie de barbarie, nul n'en doute. Qu'il ait commis un génocide et se soit préparé à en perpétrer un second, voilà qui reste à établir et que le procureur Carla del Ponte ne parvient pas à étayer.
Si les puissances de l'OTAN rechignent à arrêter certains suspects, ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire comparaître Slobodan Milosevic. Au point que les États-Unis ont apporté une aide d'un million de dollars à la Serbie en échange de sa remise. Or, la Cour constitutionnelle yougoslave s'étant opposée à son extradition, le Premier ministre Zoran Djindjic l'a fait enlever et transférer.
Le tribunal n'arrive pas à prouver la culpabilité de Milosevic dans les crimes dont l'accusait l'OTAN
En définitive, Madame Del Ponte et ses 400 enquêteurs n'ont toujours pas réussi à étayer l'accusation selon laquelle Milosevic aurait poursuivi un dessein continu, à travers trois guerres successives, pour créer la Grande Serbie. Pour le moment, les documents et témoignages ont montré un Milosevic réagissant aux événements au coup par coup, avec la plus grande brutalité.
Ils n'ont pas non plus étayé qu'il ait été le donneur d'ordre de différents massacres, y compris celui de Srebrenica. Au contraire, il est apparu que Milosevic avait une influence, mais pas d'autorité réelle sur les Serbes de Bosnie et de Croatie.
Pire, les enquêtes du TPIY sur le nettoyage ethnique du Kosovo ont montré que le massacre de centaines de milliers de Kosovars, évoqué par le président Bill Clinton dans son discours d'entrée en guerre et repris à satiété par les médias atlantistes, n'a jamais existé.
À l'issue de deux ans d'audiences, le tribunal a montré que la partie la plus importante des crimes reprochés à Milosevic n'a pas plus existé que les armes de destruction massive irakiennes. Et qu'il n'était qu'un dirigeant de faible envergure, ayant provoqué bien des cataclysmes sans jamais les maîtriser, et ne pouvant donc qu'avoir une responsabilité partielle dans la décennie d'atrocités qui a meurtri la Yougoslavie. Le TPIY qui devait manifester le triomphe des démocraties sur la barbarie aura surtout démontré que, pour l'OTAN, la justice n'était qu'un alibi et qu'il n'existe d'autre droit que celui du plus fort.