19 février 2004
Traduit Par Persa Aligrudic
Deux ans après le début du « procès du siècle », presque tous les acteurs sont toujours là, sauf le juge Richard May, malade, qui a jeté l’éponge. Pourtant, l’atmosphère n’est plus la même qu’au début. Autour de la salle d’audience, on note beaucoup de nervosité, et ceux qui prétendent tout savoir à l’avance sont de moins en moins nombreux.
Par le reporter de Vreme à La Haye
La Procureure générale Carla del Ponte ne donnera pas d’interviews aux médias belgradois jusqu’à nouvel ordre. Sa porte-parole Florence Hartmann l’a dit ouvertement à ceux qui attendaient dans la file : « mais que voulez-vous, vous n’avez même pas de gouvernement ! »
Si la formation du gouvernement est une condition pour que Carla donne une interview aux médias locaux, Vojislav Kostunica pourrait bien éviter de se presser pour le former. Après la dernière déclaration de la Procureure, qui a dit que Radovan Karadzic et Ratko Mladic étaient surement à Belgrade (sans preuves à l’appui), le professeur Vojin Dimitrijevic fait remarquer que Carla del Ponte ne se calmera pas tant que Belgrade n’aura pas obtenu un gouvernement de droite qui refusera toute collaboration avec elle. Donc, pas d’interview en perspective.
Ni pour Belgrade, ni pour le Guardian
Aucune chance non plus pour le Guardian de Londres d’obtenir une entrevue avec la Procureure de La Haye (même si les Britanniques ont un gouvernement), car ce journal a estimé d’une manière plutot sévère que le procès contre l’ancien Président Slobodan Milosevic s’était transformé en une sorte de « parodie de la justice internationale ». L’auteur, Neal Clark, qui était défavorable à l’extradition de Milosevic, reproche à Carla Del Ponte de n’avoir pas bien travaillé : elle a d’abord accusé Milosevic puis, au cours du procès, elle a essayé de trouver les preuves à l’appui des 66 points de l’acte d’accusation. Clark accumule les reproches : trop de faux témoins non convaincants, insuffisamment de preuves établissant que ce sont les dirigeants de Belgrade qui ont ordonné le massacre de Srebrenica, l’affront de faire comparaitre Wesley Clarke comme témoin, le silence sur les crimes commis par l’OTAN lors des bombardements de 1999... Finalement, selon lui, le TPI travaille dans l’intérêt des grandes puissances, alors que l’idéal de la justice internationale qui devrait être la même pour tous n’a jamais été si éloigné qu’aujourd’hui.
À propos du génocide
Le 12 février dernier, le général français Philippe Morillon comparaissait comme témoin à l’audience du Tribunal. Il parle en détail du « cercle infernal du sang et de vengeance », et de la haine et qu‘on ne voit « qu’entre frères et voisins ». Le général Morillon affirme que Milosevic avait grandement influencé le général Ratko Mladic en 1993 en l’empêchant de conquérir la zone protégée autour de Srebrenica. D’après les allégations du général français, au moment du massacre de Srebrenica en 1995, Mladic agissait en solitaire et n’obéissait à personne. En soulignant les mérites de Milosevic pour une « solution pacifique » de la situation autour de Srebrenica en 1993 et son influence déterminante sur les Serbes de Bosnie, le parquet a essayé néanmoins de l’accuser de « complicité de génocide ».
Il semble que le point le plus important, sur les 66 contenus dans l’acte d’accusation, celui de la responsabilité directe du génocide imputé à Milosevic et que le Parquet essaie depuis deux ans de mettre sur son dos, soit assez difficile à tenir à la veille de la deuxième partie du procès. Même la Procureure Del Ponte, dans un entretien avec AFP la semaine dernière, se voulant apparemment très satisfaite de l’avancée du procès, a remarqué qu’elle savait depuis le début qu’il serait très difficile de prouver le génocide, car « c’est toujours diablement difficile de prouver l’intention ». Interrogée pour savoir si elle allait considérer comme une défaite personnelle un éventuel échec à fournir les preuves sur ce point crucial de l’acte d’accusation, la Procureure générale a souri en disant que la décision revenait maintenant aux juges.
Retours sur l’affaire Plavsic
La fin de la première phase du procès contre l’ancien président yougoslave et l’annonce que des témoins importants comparaitront à l’audience ont fait revenir à La Haye certains envoyés spéciaux. La plupart s’attendait à voir apparaître Biljana Plavsic comme témoin à charge contre Milosevic. Elle était arrivée la semaine dernière de Suède, où elle purge sa peine de onze années de prison, après avoir reçu une convocation à témoigner. Au bout de quelques jours, Biljana Plavsic a eté ramenée en Suède, et la seule explication fournie par Carla del Ponte a été que l’ancienne Présidente de la Republika Srspka n’avait pas eu le temps de témoigner car il ne restait que deux jours pour interroger les témoins de l’accusation.
Il est fort possible que l’accusation ait pensé que le témoignagne de cette femme pouvait être nuisible sur le cours du procès de Milosevic, alors qu’on avait compté qu’il serait grandement profitable.. Biljana Plavsic avit dit dans sa déposition que Milosevic était l’architecte de la politique de séparation ethnique de la population en Bosnie-Herzégovine, qu’il avait mise en oeuvre avec Karadzic, Krajisnik et Mladic. Elle mentionnait aussi la participation du ministère de l’Intérieur de Serbie (MUP), des dirigeants politiques et de la direction militaire de Belgrade dans l’accomplissement du plan de séparation des communautés ethniques et de l’expulsion forcée de la population non serbe des territoires que les Serbes voulaient garder. Ces aveux auraient dû faire de Milosevic un coupable, car il était au centre des agissements mentionnés dans l’acte d’accusation comme « le plan criminel commun ». En l’absence de comparution de Plavsic, le texte de ses aveux devient quasiment nul dans le procès de Slobodan Milosevic, et il ne sera pas classé dans les documents judiciaires.
Quelques jours avant la fin de la première phase du procès, Milosevic a reçu du renfort. On a de nouveau entendu les membres du Comité international pour sa défense, dont l’un des membres, le professeur Velko Valkanov de Bulgarie, a fait remarquer qu’en moins d’un an, 24 personnes avaient été condamnées lors du procès de Nuremberg, alors que le procès d’un seul homme dure plus de deux ans devant « un tribunal illégal et faux ». Bien sur, cela ne signifie pas que le procès de Nuremberg était parfait du point de vue juridique, et encore moins que Milosevic est innocent, comme l’affirment Valkanov et ceux qui partagent son avis.
Mais il semble bien que les discussions au sujet de la crédibilité du TPI soient de plus en plus fréquentes. Les capitales mondiales ont de plus en plus d’objections sur le travail de la procureure générale de La Haye, à qui l’on attribue une influence négative sur la stabilité de la région à cause de ses déclarations. Par exemple, en deux jours, Carla del Ponte a déclaré que la communauté internationale « avait certainement la volonté » d’arrêter Karadzic et Mladic, et que cette même communauté internationale « n’avait pas, semble-t-il,la volonté » de s’occuper des crimes de guerre des Albanais du Kosovo. Or, il faudrait que tous se souviennent que jusqu’à une époque récente, la Procureure générale répétait que les pressions politiques ne l’intéressaient pas, car elle ne faisait que son travail...
Belgrade aura finalement son gouvernement. Il se pourrait alors que Carla del Ponte dise enfin quelque chose en première main à notre opinion. Evidemment si elle en a la volonté.