John Laughland
16 février 2002
À cause des fondations douteuses sur lesquelles il est établi, le Tribunal International de l'ancienne Yougoslavie cherche à se présenter comme le successeur du tribunal international qui a jugé les leaders nazis à Nuremberg en 1946. Comme dans le cas de nombreuses institutions à la recherche de légitimité - le tribunal de la Haye a été créé par le Conseil de Sécurité, un organisme de l'ONU qui est aussi peu habilité à créer un tribunal qu'à percevoir des impôts - ses défenseurs pensent vraisemblablement qu'une référence rapide à Hitler peut régler ce problème. Cependant, le tribunal de La Haye n'incorpore aucun des principes légaux établis et consolidés à Nuremberg. Au contraire, il contient le germe de leur complète destruction.
Il peut sembler indélicat de s'étendre sur les faiblesses les plus évidentes qui marquent les différences entre La Haye et Nuremberg, à savoir: un obscur juge des Midlands (centre de l'Angleterre) et un avocat quelconque qui ne traitait que des affaires de Douanes et Accises en Angleterre peuvent difficilement passer pour les successeurs crédibles des géants du droit de Nuremberg tels que le juge de la Cour Suprême Robert H. Jackson et le ministre de la justice Sir Hartley Shawcross , mais la qualité médiocre de ceux qui passent pour les cerveaux juridiques à la Haye est la cause même de la perversion et de la destruction des éléments remarquables de la noble jurisprudence bâtie à Nuremberg.
Nous pensons habituellement à Nuremberg comme au procés de l'Holocauste. Ce n'etait pas la vision des architectes de Nuremberg. Exténués par six ans d'une guerre qui les avait consumé, les Alliés étaient surtout préoccupés par le fait que l'Allemagne Nazie avait plongé toute la planète dans un conflit.
Quand le Juge Kackson se leva pour s'adresser au tribunal, ses premiers mots n'étaient pas dirigés contre les crimes contre l'humanité mais concernaient plutôt son "privilège d'ouvrir le premier procés de l'Histoire contre les crimes contre la paix du monde". Pour les juges de Nuremberg, le premier de tous les crimes de guerre consiste en premier lieu à déclarer la guerre, d'oú découlent tous les autres crimes de guerre. Bien que l'agression délibérée ait toujours été illégale selon la loi coutumière internationale - comme en témoignent de nombreuses justifications légales et , sans aucun doute falsifiées, établies à travers l'histoire par les états belligérants au sujet de leurs actions - Nuremberg innovait par une formulation juridique claire du caractère criminel, selon le droit international, de la planification et de l'éxécution d'une guerre d'agression. Ce fut pour ce crime, et non pour les crimes contre l'humanité, que tous les Nazis furent jugés à Nuremberg.
De plus, dans l'esprit des architectes de Nuremberg, la meilleure façon de préserver la paix était de fortifier le profil du concept de souveraineté d 'un État. La logique souverainiste rigoureuse du tribumal de Nuremberg est clairement énoncée dans sa charte . En réalité, le tribunal de Nuremberg, à l'inverse du tribunal de la Haye, n'était pas du tout un tribunal international. Les juges avaient spécifiquement déclaré que la promulgation de la Charte de Nuremberg constituait "l'exercice du pouvoir souverain et législatif des pays auxquels le Reich allemand s'était inconditionellement rendu".
Il n'existait aucune prétention d'une "communauté internationale" qui jugeait des Allemands.
Pour comforter cette réalité, d'autres pays qui désiraient participer au procés de Nuremberg se sont vu répondre que cela ne les regardait pas.
Ceux qui arguent aujourd'hui que les chefs d'états doivent répondre de leurs crimes oublient que la poursuite et le chàtiment d'actes criminels est un attribut important de la souveraineté d'un état, dans la mesure oú l'on ne peut punir des criminels à moins d'avoir les pouvoirs policiers et judiciaires pour les attraper et les emprisonner. Même dans le cas oú la création d'un état mondial était possible pour administrer globalement la justice, la question serait alors : comment soumettre ce nouveau pouvoir de l'état mondial à des contrôles démocrratiques et juridiques ?
En d'autres mots "qui garderait les gardiens eux-mêmes ?"
Les juristes de Nuremberg savaient que toute discussion au sujet d'un juridiction universelle conduirait à la création d'une nouvelle souveraineté au niveau mondial. Par conséquent, il s'en tinrent rigoureusement aux lois existantes de la guerre et à leur juridiction soigneusement définie. Aucun des actes commis avant l'attaque contre la Pologne le 1er septembre 1939, ne fut passible de poursuite.
Les juges de Nuremberg avaient aussi une raison philosophique primordiale pour insister sur la souveraineté de l'état comme fondation juridique principale de la paix:
Les Nazis eux mêmes avaient contesté la notion de souverainté. D'aprés la théorie nazie des "grands espaces", élaborée par de nombreux géopoliticiens, économistes et juristes allemands, la souverainté de l'état était une invention bidon du libéralisme matérialiste. Comme les mondialistes d'aujourd'hui , les Nazis arguaient que les réalités économiques avaient changé cette notion et que, par conséquent, les grandes puissances avaient juridiquement le droit d'interférer dans les affaires intérieures des nations plus petites présentes dans leur sphère d'influence
Nuremberg et la Charte des Nations Unies, qui est aussi basée sur la souveraineté des états et la non-agression et dont les toutes premières lignes se réfèrent à la détermination de "sauver les futures générations des fléaux de la guerre, peuvent donc être comprises comme rien de mojns qu'une tentative d'institutionaliser une théorie anti-fasciste des relations internationales.
Le 13 Juin 2000, le tribunal criminel international pour l'ancienne Yougoslavie a, de façon formelle, coupé le tronc de cette logique, quand le procureur refusa d'ouvrir une enquête sur les crimes de guerre de l'OTAN en Yougoslavie (il a été faussement propagé que le procureur avait ouvert un dossier et n'avait pas trouvé matière à poursuite). La décision de ne pas poursuivre l'OTAN était basée, entre autre, sur le fait que le tribunal "n'avait aucun juridiction sur des crimes commis contre la paix."
Par le refus même de ne pas examiner la légalité, selon les lois criminelles internationales, de la guerre de l'OTAN en tant que telle, le tribunal de la Haye a confirmé que le Nouvel Ordre Mondial a pris la décision d'abandonner la seule chose qu'avait accomplie le tribunal de Nuremberg.
Il a toujours été évident que les attaques de l'OTAN contre la Yougoslavie étaient illégales selon le système juridique mis en place par les Nations-Unis aprés la 2 ème guerre mondiale. Non seulement ces attaques n'étaient pas approuvées par le conseil de sécurité, mais cette institution ne fut même pas consultées.
D'ailleur, les discours des leaders mondiaux - y compris le discours de Blair sur la "doctrine de la communauté internationale" donné à Chicago le 22 Avrill 1999- expose clairement que le but véritable des attaques de l'OTAN était le renversement le vieux système international et de le remplacer par un nouveau. Au même moment, l'OTAN se métamorphosait d'une organisation consacrée à défendre la souveraineté nationale et l'intégrité territorial de ses membres en une force de police mondiale au mandat illimité. En refusant de poursuivre l'OTAN, La Haye a donné, tacitement, à tout ceci, son approbation légale.
Comme le tribunal de La Haye, la cour Internationale de Justice a remis pour une durée indéterminée, toute tentative destinée à définir "les crimes contre la paix".
Par conséquence, la prudence la plus stricte qui doit entourer les circonstances dans lesquelles une guerre peut être menée, "ius ad bellum" (1) , a maintenant été remplacée par une série d'innombrables double-standards, malléables à l'infini qui ne concernent que la façon de mener la guerre "ius in bello" (2). Selon l'admission même de Jamie Shea (3) en 1999, ces standards sont mis en place pour servir les commanditaires de La Haye, les états de l'OTAN. Le monde s'est transformé, d'un système international basé sur la multiplicité des souverainetés en un système dans lequel certains états sont plus égaux que d'autres. La jurisprudence de la paix, établie à Nuremberg a été abandonnée en faveur d'une décision de La Haye qui consiste à octroyer , du moins aux puissants états occidentaux, une licence de tuer.
Le livre du Dr John Laughland, The International Criminal Tribunal: Guardian Of The New World Order, sortira cette année aux Editions des Syrtes, Paris
(1) ius ad bellum, le droit de faire la guerre
(2) ius in bello, le droit sur la conduite d'une guerre en cours
(3) Porte parole de l'Otan que l'on voyait constamment à la télé, lors des bulletins de guerres de l'OTAN pendant la guerre contre la Serbie.