29 octobre 2004
David Frost : C’est comme dans les romans d’espionnage : un bel agent, un enlèvement dramatique et des secrets d’Etat – l’histoire de Mordechai Vanunu retint l’attention internationale lorsqu’il révéla, 18 ans plus tôt, l’existence du programme nucléaire d’Israël.
Il paya le prix fort pour ce qu’il décrit comme ayant été un acte de conscience.
Mordechai Vanunu a été libéré de prison le 21 Avril de cette année mais la permission de quitter Israël lui a été refusée et de nombreux interdits lui sont imposés, y compris celui de communiquer avec des étrangers, que ce soit en personne ou même au téléphone. En dépit de ces interdits, il se joint à nous de Jérusalem pour sa première interview télévisée depuis qu’il a été libéré.
Mr Vanunu, merci de vous joindre à nous. Bonjour.
Mordechai Vanunu : Bonjour Londres. Je suis très heureux de vous parler.
David Frost : Nous sommes très heureux aussi de parler avec vous. Dites moi, l’histoire que nous avons tous entendu sur la manière employée par les Israéliens pour vous récupérer, votre enlèvement entre Londres et Rome – dites nous avec vos propres mots ce qui s’est passé.
Mordechai Vanunu : A propos du kidnapping ? Cela a commencé à Londres, le 30 Septembre 1986, j’avais décidé de quitter Londres parce que le Sunday Times avait reporté la parution de mon article et j’ai voyagé de Londres à Rome avec une femme US, son nom est Cindy, et nous sommes arrivés à Rome.
Et de Rome nous avons été conduits chez elle par un chauffeur Italien et immédiatement en arrivant à la maison, j’ai été attaqué par deux hommes et une femme. Une femme m’a drogué, les deux hommes étaient un Israélien et un Français.
Après environ une demie-heure, ils me conduisirent à un bord de mer, à un petit bateau, un yatch, et là j’ai été enchaîné et ramené en Israël après sept jours de mer. Dans le bateau je leur ai demandé « qui êtes-vous à bord de ce bateau ? » et ils m’ont répondu qu’ils étaient Britanniques, Français et Israéliens – cela veut dire que derrière cet enlèvement se trouvaient l’espionnage Britannique, Français, et Israélien. De mon point de vue, ces trois états étaient aussi ceux qui se trouvaient derrière la prolifération nucléaire pendant la guerre froide et mes révélations les mettaient en danger, et ils ont essayé de m’arrêter et de me réduire au silence et m’ont renvoyé en Israël par ce kidnapping à Rome qui s’est terminé par 18 ans de prison.
Mais maintenant je suis libre, je parle et j’espère que le monde sera beaucoup plus intéressé et impliqué dans la non-prolifération des armes de destruction massive de n’importe quel état, y compris celui d’Israël.
David Frost : Et c’était dans les termes de cette situation, n’est-ce pas, que vous étiez venu à Londres pour donner les secrets de la centrale de Dimona, centrale nucléaire, au Sunday Times – c’était à cause de votre croyance en la non-prolifération ?
Mordechai Vanunu : Oui parce que j’ai décidé que le monde devait savoir ce que ce petit état de cinq millions d’habitants Israéliens fabriquait en secret et que, ce que ce petit état peut faire, tout petit état du monde peut le faire. C’est beaucoup plus important que ces petits états, cinq millions de personnes, aient produit de tels stocks d’armes nucléaires, à peu près 200 bombes atomiques, avec les nouvelles bombes atomiques plus puissantes, la bombe à hydrogène et la bombe à neutrons.
Et ce n’était pas une réelle justification pour Israël que tout le monde sache qu’ils avaient la bombe atomique, mais personne n’a réalisé la puissance et le nombre d’armes fabriquées, et bien plus encore la bombe à hydrogène, qui n’a aucune justification dans ces très petits états du Moyen Orient, et autour d’Israël vous ne pouvez utiliser aucune bombe à hydrogène ni aucune bombe atomique.
Et c’est pourquoi je suis venu, pour informer le monde et essayer d’arrêter cette prolifération nucléaire, et j’avais aussi l’espoir que la révélation du secret nucléaire Israélien serait un nouveau pas vers la paix réelle au Moyen Orient et l’abolition des armes nucléaires dans tout le Moyen Orient.
David Frost : Et dites-moi quelque chose, vous avez fait cela comme un acte de conscience mais beaucoup de gens en Israël, la majorité des Israéliens probablement, vous regardent encore comme un traître. Pouvez-vous comprendre cela ?
Mordechai Vanunu : Bien sur que je les comprends, mais les Israéliens n’étaient exposés qu’aux seuls médias Israéliens, au lavage de cerveaux des médias d’Israël, au biais des médias d’Israël contre moi. Pas eux, ils n’étaient pas ouverts pour voir toute l’histoire et tout le danger d’avoir des armes nucléaires en secret dans un si petit état, Israël.
Et aussi que ces gens n’ont pas été exposés à l’idée que les gens d’Israël envoyaient beaucoup de propagande, ce qu’ils appellent industrie de l’holocauste, pour savoir et comprendre que les armes nucléaires sont le réel holocauste et le peuple Juif n’a aucun droit et aucune justification pour utiliser la bombe atomique.
Et le peuple Israélien a été exposé uniquement aux médias d’Israël et pour cette raison ils suivent la propagande d’Israël selon laquelle je suis un traître mais les traîtres réels sont au gouvernement d’Israël qui ne leur a pas dit la vérité au sujet de la bombe atomique en Israël.
David Frost : Et que voulez-vous qu’il arrive maintenant ? J’ai lu que vous envisagiez de vous marier, voulez-vous aussi quitter Israël aussitôt que vous le pourrez ?
Mordechaï Vanunu : Oui, absolument, je veux me sentir libre, je ne suis pas libre ici, j’ai été relâché de prison mais je suis sous restrictions et menacé et mis en danger par les Israéliens qui n’aiment pas ce que j’ai fait et qui n’aiment pas non plus ma Chrétienté.
C’est une autre trahison pour eux, ma Chrétienté. Donc le seul chemin vers la liberté, pour apprécier la liberté et démarrer ma nouvelle vie d’être humain libre, sera quand je pourrai quitter Israël et vivre ma vie à l’étranger aux Etats Unis ou en Europe ou à Londres, et c’est cela que j’attends, quand le gouvernement d’Israël dira que c’est assez, 18 ans en prison, et que je devrais partir et démarrer ma nouvelle vie.
David Frost : Démarrer votre nouvelle vie. Est-ce que vous sentez qu’on vous a pris les meilleures années de votre vie ?
Mordechaï Vanunu : Absolument, mes meilleures années, de l’age de 32 à 50 ans étaient les meilleures années dont dispose tout être humain, c’est le meilleur temps de sa vie.
Mais j’ai survécu à ce traitement très cruel et barbare de l’isolement en Israël et maintenant j’espère que je peux vivre, à l’age de 50 ans, je peux démarrer une nouvelle vie, et profiter de la vie, je peux avoir ma famille et ma liberté et aussi contribuer à la paix et à l’abolition des armes nucléaires – pas seulement en Israël mais aussi dans le monde, y compris en Angleterre, en France et partout.
David Frost : Mr Vanunu, merci beaucoup vraiment de vous être joint à nous. Nous avons réellement apprécié.
Mordechaï Vanunu : Je suis très heureux d’avoir parlé avec vous et j’espère que la prochaine fois nous pourrons nous rencontrer à Londres – vous aujourd’hui avez fait l’histoire par cet entretien en direct avec Londres et j’espère que la prochaine fois la situation sera bien meilleure et que je pourrai parler dans votre studio et dans beaucoup d’autres endroits autour du monde. Merci beaucoup.
NB : cette transcription a été saisie à partir d’un enregistrement, et non copiée à partir d’un manuscrit original. /A cause des possibilités de mauvais-entendement et de la difficulté, par moment, d’ identifier clairement les voix, la BBC ne peut garantir son exactitude./
Story from BBC NEWS:
http://news.bbc.co.uk/go/pr/fr/-/1/hi/programmes/breakfast_with_frost/3949051.stm
Published: 2004/10/24 11:32:01 GMT