Qui veut nucléariser la défense européenne ?

Pierre Piérart
26 mars 2005

Lors du débat sur la « Constitution européenne » sur la chaîne 2 de la télévision française, ce jeudi 17 février, Monsieur Strauss-Kahn a déclaré que la défense européenne sera dans l’avenir une défense basée sur la dissuasion nucléaire. Ce que Chirac avait insinué il y a une dizaine d’années environ est confirmé par un responsable socialiste !!! Strauss- Kahn a lâché le morceau sur un sujet tabou et cela à trois mois de la révision du TNP dont apparemment il se fiche éperdument. Ainsi donc la France (ni Chevènement ni le journaliste modérateur n’ont manifesté le moindre étonnement) se croit autorisée à imposer l’armement atomique aux 25 membres de l’Union européenne parmi lesquels la Suède, l’Irlande, la Finlande, l’Autriche, Chypre et Malte, six pays qui ne sont pas membres de l’Alliance (OTAN).

Cette vision de nucléariser l’armée européenne fait partie de la philosophie des états-majors des pays membres qui planchent sur l’avenir de la Politique Européenne en matière de Sécurité et de Défense (PESD).Ainsi donc, une armée annoncée comme devant soutenir les «interventions humanitaires» ou intervenir dans la prévention des conflits pourrait devenir une machine de guerre, de surcroît dotée de l’arme nucléaire.

Ce concept du parapluie nucléaire est également partagé par plusieurs de nos hommes politiques en Belgique. Rappelons-nous les déclarations faites à la Chambre lors du débat sur la reprise des essais nucléaires à Moruroa décidée par Chirac. Le président de la Chambre de l’époque déclarait de façon très sincère et inconsciente qu’il ne voyait pas comment l’on pourrait éviter la dissuasion nucléaire pour l’Europe !!!

Dans le domaine des armes nucléaires, une étude du Natural Resources Defense Council estime qu’il y a encore 480 bombes nucléaires B61 hébergées en Allemagne, Belgique, Italie, Pays- Bas et Turquie et certains responsables européens veulent les garder! Quelle serait la position de la Cour de Justice européenne si on lui posait la question de la compatibilité d’une Europe de la dissuasion avec le TNP et plus particulièrement les articles I et II ?? On peut présumer que les juristes de Luxembourg répondraient que l’U.E. n’a pas cru nécessaire de signer le TNP et que par conséquent la question ne doit pas être posée. Preuve supplémentaire que le TNP n’est pas la tasse de thé de nos responsables politiques. Connaissent-ils seulement le contenu de ce traité ?

Il est donc devenu indispensable de secouer nos parlementaires pour exiger qu’ils posent, avant la révision du TNP en mai, quelques questions au gouvernement qui , nous l’espérons, répondra suffisamment clairement pour prendre des disposition favorables à l’élimination des B61.

Quelques questions :

- Le gouvernement a-t-il signé des accords secrets avec l’OTAN? Quand ont-ils été signés et en quoi consistent-ils ? Pour combien de temps ces accords sont-ils d’application ?

- Le gouvernement a signé un ou plusieurs accords concernant l’hébergement de bombes nucléaires à gravité à la base américaine de Kleine Brogel dans le cadre des missions de l’OTAN ; ces missions comportent des exercices ou simulations de bombardements nucléaires. Où et quand s’effectuent ces missions ? Combien de pilotes et de F16 sont-ils affectés à ces simulations criminelles ?

- La base de Kleine Brogel disposerait de 11 bunkers pouvant contenir chacun 4 bombes B61. Combien de bombes nucléaires la Belgique détient-elle sur son territoire en infraction avec l’article II du TNP qu’elle a signé ?

- Pourriez vous préciser la position juridique de la Belgique vis-à- vis du droit international ainsi que vis-à-vis de la déclaration de la Cour Internationale de La Haye de juillet 1966 ?

- Le gouvernement belge est-il prêt à adhérer à l’article VI du TNP dans son application la plus rigoureuse c’est-à-dire les 13 points proposés par la New Agenda Coalition et repris par le réseau international des villes et des municipalités ayant déclaré leur solidarité avec le maire d’Hiroshima ( à ce jour plusieurs dizaines de bourgmestres de Flandre et de Wallonie ont marqué leur solidarité avec le maire d’Hiroshima et la campagne continue.).

- Le gouvernement belge est-il prêt à demander avant le mois de mai le départ des bombes nucléaires B61? Cette demande nous semble évidente suite à la déclaration faite au New York Times par le commandant du SACEUR (Supreme American Command in Europe), le général Jones, disant qu’il est possible de retirer ces bombes. En vertu des articles II et VII du TNP la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie peuvent exiger le retrait des bombes B61 et déclarer leurs territoires dénucléarisés à l’instar de l’Amérique du Sud (Traité de Tlatelolco) et de la zone dénucléarisée du Pacifique Sud (Traité de Rarotonga).



Le général belge Briquemont semble ignorer, lui aussi, l’existence du TNP.

Dans un article « Quelles capacités pour l’Europe », (paru dans La Libre Belgique du 4 mars 2005), le général Francis Briquemont nous expose ses conceptions sur la future armée européenne. Il ne tourne pas autour du pot et met les points sur les « i » avec sa franchise habituelle…

Selon lui, l’Europe doit être dotée d’une armée puissante, basée sur l’autonomie, l’influence et la dissuasion. Pour le général Briquemont donc, il ne faut pas tenir compte de l’Article I-41 de la future Constitution européenne, dès que l’outil de défense est autonome. Le mot dissuasion apparaît une douzaine de fois dans son article. Il s’agit bien d’une dissuasion nucléaire, d’origine française. La France « seule puissance nucléaire réellement indépendante au sein de l’UE » se prépare activement à la réalisation d’un programme nucléaire qu’elle mettra à la disposition de l’Union Européenne.

Ainsi donc, Briquemont, comme Strauss-Kahn, à deux mois de la révision du TNP à New York, propose à l’UE de considérer ce Traité comme un simple chiffon de papier, puisqu’il invite les cinq puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, à poursuivre leurs recherches de prolifération verticale (= modernisation de leurs arsenaux nucléaires).

Au passage, le noyau dur de la forteresse européenne (et le général Briquemont…) se foutent éperdûment des six membres de l’UE qui ne sont pas membres de l’OTAN et feront appel aux grandes banques européennes pour subsidier ce type de Recherche et Développement de l’Agence européenne de Défense (AED) ! Un bel avenir pour les criminels de guerre en puissance !