Diana Johnstone
15 avril 2005
La Constitution qu'on propose est remplie d'expressions de bonne volonté qui n'engagent à rien, accompagnées d'engagements concrets qui vont dans le sens opposé.
Exemple significatif: selon l'Article I-3, l'Union "a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples".
La paix est le but proclamé par tous les guerriers. Après ce voeux pieux, en termes pratiques il n'y a aucune mesure prévue pour promouvoir la paix: par exemple, une politique internationale en faveur du désarmement mutuel progressif, notamment nucléaire, ou pour la création de nouvelles dispositions capables de fournir une résolution pacifique des conflits.
Par contre:
La politique étrangère est dès le début définie comme la "politique étrangère et de sécurité commune". Non pas comme "la politique étrangère et de paix internationale", par exemple. Cette préoccupation sécuritaire, déjà dominante, est renforcée par la première phrase de l'Article I-41: "La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune." Et cette politique est sous l'influence de l'Otan, et donc des Etats-Unis. L'Article I-41 précise que la politique de l'Union "respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre." Le paragraphe 3 de cet Article I-41, capital, exclut effectivement toute politique de désarmement: "Les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires". Une "Agence européenne de défense" mettra en oeuvre "toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense". Et quels seront les buts de cette amélioration des capacités militaires? Il ne s'agit pas de la "défense" dans le sens classique du terme. Au lieu d'un engagement de courir à l'aide d'un voisin agressé, on trouve cette curieuse "Clause de solidarité", l'Article I-43, qui désigne l'ennemi potentiel comme le "terrorisme":
"L'Union et ses Etats membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un Etat membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine. L'Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les Etats membres, pour:
a) - prévenir la menace terroriste sur le territoire des Etats membres; - protéger les institutions démocratiques et la population civile d'une éventuelle attaque terroriste; - porter assistance à un Etat membre sur son territoire, à la demande de ses autorités politiques, dans le cas d'une attaque terroriste"... (Le point b) parle des catastrophes naturelles.) Dans la Partie III de la Constitution, sur les politiques et le fonctionnement de l'Union, on revient sur la menace terroriste dans l'Article III-309, qui énumère les missions dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune qui "incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaire et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur terriitoire." Bien qu'on y mentionne le désarmement, le contexte indique qu'il s'agit du désarmement des autres, et non pas un désarmement mutuel. Ce sont en effet toutes des missions "hors zone", dans les pays plus ou moins lointains considérés comme sources des conflits et du "terrorisme".
Quand on considère que l'Article I-41 lie l'Union, via l'Otan, à la politique de sécurité et de défense des Etats-Unis, il devient clair que cette Constitution souscrit à la paranoia internationale de Washington qui militarise "le terrorisme" comme prétexte pour l'intervention tous azimuths.
Les auteurs de ce texte semblent vouloir faire de l'Union Européenne le "bon flic" à côté du "méchant flic" américain dans la croisade militaire pour une mondialisation néolibérale.
Cette mondialisation néolibérale est impliquée dans l'Article III -292, qui promet une action visant à "promouvoir dans le reste du monde" ses valeurs, entre autres, e) "d'encourager l'intégration de tous les pays dans l'économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international". En pratique, cela veut dire priver les pays pauvres des mesures de protection de jeunes industries et des services publics sans lesquels aucun développement indépendant n'est possible.
Notons qu'il n'y a aucune procédure pour une déclaration de guerre.
Ainsi cette Europe suit la pratique des Etats-Unis dont l'exécutive ne demande plus au Sénat, comme il est stipulé dans leur Constitution, de déclarer la guerre, mais se permet de faire la guerre un peu partout sous prétexte de "valeurs" ou de "lutte contre le terrorisme".
Au Congrès américain, on peut toujours, si l'on veut, mener un vrai débat sur la politique étrangère à tout moment. Selon cette Constitution (Article III-304), le Parlement européen "procède deux fois par an à un débat sur les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune". Cela est particulièrement dérisoire quand on sait qu'il n'y a jamais de vrai débat au Parlement européen, mais plutôt des interventions en série préparées à l'avance et soigneusement minutées (normalement deux ou trois minutes) selon l'importance de chaque groupe politique, et tenues dans la langue nationale de l'orateur à l'intention du public de son pays.
Il est tout à fait logique que cette Constitution, tout en démolissant les protections sociales en faveur de la "concurrence libre et non faussée" et un "marché hautement compétitive" (Article I-3 et alia), tente d'encadrer l'Europe dans le carcan d'une politique d'augmentation d'armement et d'intervention militaire, pour promouvoir l'extension au monde entier de "ses valeurs et ses intérêts", à l'instar des Etats-Unis.
La grande différence avec les Etats-Unis est que les politiques sociales rétrogrades et les politiques agressives militaires ne sont pas inscrites dans la Constitution des Etats-Unis comme elle le seraient dans celle-ci. Par ailleurs, contrairement aux procédures plus ou moins claires pour amender d'autres constitutions, dans ce cas, la procédure d'amendement est particulièrement tordue (Article IV-443): le Conseil convoque une Convention qui peut adopter par consensus une recommendation à une Conférence des repésentants des gouvernements des Etats membres qui peut "arrêter d'un commun accord les modifications à apporter au présent traité".
Puis il faudrait que les modifications soient "ratifiées par tous les Etats membres". Bref, on ne peut amender cette Constitution que par l'unanimité de tous les Etats membres -- autant dire, impossible.