Pierre Piérart
30 juin 2005
L’Europe est la zone la plus nucléarisée du monde si l’on prend en compte les 480 armes nucléaires de l’OTAN déployées sur son territoire, les arsenaux russe, britannique et français et les nombreux sous-marins nucléaires qui sillonnent l’Atlantique et la Méditerranée.
Depuis quelques temps l’AMPGN à lancé l’idée de se débarrasser en Europe des 480 bombes nucléaires B-61 entreposées en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie, qui font de ces cinq pays, qui ont accepté de partager l’arme nucléaire avec les Etats-Unis, des puissances nucléaires absolument illégales. En effet, l’article II du TNP interdit à tout pays de partager l’arme nucléaire avec une puissance qui la détient. En Europe et en Turquie les 480 bombes B-61 sont réparties dans une dizaine de bases de l’OTAN dont celle de Kleine Brogel en Belgique.
La campagne lancée par de nombreuses associations pacifistes a connu un certain succès auprès de autorités politiques, notamment de l’Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas. Dans notre pays environ 240 bourgmestres, dont une soixantaine en Wallonie et à Bruxelles, ont adhéré à la campagne des « Maires pour la Paix » initiée par le maire d’Hiroshima, Tadatoshi Akiba. Ce dernier a prononcé une communication très remarquée en compagnie de 90 confrères lors des journées de la 7ème Conférence de révision du TNP qui s’est tenue au mois de mai à New York. Cette intervention de plus de 200 communes belges pour réclamer le désarmement nucléaire n’a eu aucun écho auprès de la presse belge ni du gouvernement. Faut-il penser que ce dernier estime que les pouvoirs locaux n’ont pas à se mêler de compétences fédérales ?
Que penser de ces manifestations importantes des ONG et pouvoirs locaux réclamant un désarmement nucléaire. Malgré l’intervention du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense de l’Allemagne, malgré des résolutions des députés néerlandais et des sénateurs belges en faveur du désarmement nucléaire, malgré des réactions locales en Italie, la presse et les gouvernements en général sont restés quasiment muets ; plus grave, les déclarations faites par des responsables français en faveur d’une mise à la disposition de l’Europe de la force française n’a soulevé aucune réaction de la part des 25 membres de l’Union Européenne dont 6 membres ne font pas partie de l’OTAN. Tout se passe comme si 24 états membres trouvaient normal d’enfreindre l’article II du TNP. Il est courant d’entendre ou de lire des avis d’hommes politiques, de diplomates ou de stratèges militaires qui insidieusement envisagent à moyen ou long terme la nucléarisation de l’armée européenne en méconnaissance totale du droit international et de l’avis de la Cour Internationale de Justice, prononcé en juillet 1996. Ces considérations doivent-elles nous faire penser que les défenseurs de la Constitution européenne acceptent sans hésiter le maintien d’un parapluie nucléaire sur l’Europe, qu’il soit américain ou français?
Face à cette anesthésie générale de la presse européenne l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » fait exception et nous fournit , dans son édition du 23 mai, des renseignements très intéressants. Il nous rappelle notamment que les armes nucléaires ont été introduites par l’OTAN en Allemagne fédérale en mars 1955. En 1957 le chancelier Konrad Adenauer avait demandé de nouvelles armes parmi lesquelles de l’artillerie nucléaire et des missiles ayant respectivement une portée de 30 et 700 km. A partir de 1969 le chancelier allemand a eu le droit d’être informé et consulté sur les conditions d’utilisation de ces armes. Au cours de manœuvres régulières, des exercices étaient organisés en Allemagne avec la participation, notamment, d’artilleurs belges. Aujourd’hui les stratèges de l’OTAN estiment que les bombes B-61 sont obsolètes. Rappelons qu’en 1986 les Américains avaient retiré des milliers de mines nucléaires, de missiles et de bombes du théâtre européen. Il semble que l’OTAN compte équiper en 2013 les nouveaux avions de combat « Eurofighter » de bombes plus performantes malgré les dénégations du ministre allemand de la Défense. Actuellement les bombes B-61 sont véhiculées par des avions de combat « Tornado » (en Belgique par des F-16). Au mois de mai de cette année les ministres des Affaires étrangères Fischer et de la Défense Struck, se proposaient de demander le retrait des bombes B-61 du territoire allemand à l’occasion de la réunion du Groupe de Planification Nucléaire de l’OTAN qui doit se tenir à Bruxelles le 9 juin. Malheureusement la chancelier Gerhard Schröder ne semble pas acquiescer car, s’il devait déplaire aux Etats-Unis, l’Allemagne perdrait probablement la possibilité d’acquérir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Décidément le 60è anniversaire de la tragédie d’Hiroshima et de Nagasaki ne semble pas avoir réveillé la conscience de nos dirigeants politiques occidentaux. L’arme nucléaire constitue, semble-t-il, pour eux un credo qu’ils répètent à tout bout de champ en estimant que la bombe nucléaire nous a préservés d’une troisième guerre mondiale. Quant au représentant de la politique étrangère de l’Union Européenne, Monsieur Solana Haut représentant pour la PESC, au Commissaire aux Relations extérieures et au Président du Conseil européen, ils semblent également vouloir ignorer l’existence du TNP. Il a en été de même dans le texte du projet de Constitution européenne qui ne dit pas un mot à ce sujet décidément tabou. En attendant, l’OTAN refuse toujours de retirer les bombes ce qui justifie le maintien des bombes tactiques en Russie. Plus grave encore, l’Administration américaine relance la course aux armements avec des armes tactiques destinées à détruire les abris souterrains.
En conclusion, malgré l’opinion publique et l’avis de nombreux pouvoirs locaux qui se sont prononcés en faveur du désarmement nucléaire, les responsables nationaux restent très conciliants face aux desiderata américains, ce qui explique, probablement, l’échec lamentable de la 7ème Conférence de révision du TNP où on a perdu beaucoup de temps à discuter de l’agenda et des priorités sans s’attaquer aux problèmes de fond. Résultat : pas de déclaration finale ni de confirmation des décisions qui avaient été prises en 1995 et en 2000. La seule riposte possible proposée par les ONG, dont l’IPPNW, serait de travailler à une Convention des armes nucléaires. Maigre consolation !