Pierre Piérart
30 septembre 2005
Il y a soixante ans une bombe à l’uranium, « Little Boy », est larguée par l’Enola Gay sur Hiroshima , à 8h15. Toute la ville brûle, il y aura 145.000 morts à la fin de 1945 pour une ville qui comptait à ce moment là encore 300.000 résidents après l’évacuation d’une partie des civils. Cette deuxième explosion atomique avait été précédée par celle d’Alamogordo du 16 juillet préparant la destruction de Nagasaki avec la bombe « Fat Man » qui provoquera la mort de 70.000 habitants. Aujourd’hui le risque de conflagration nucléaire est toujours d’actualité malgré la fin de la guerre froide. Des milliers de têtes nucléaires sont toujours braquées sur des centaines de villes d’Europe et d’Amérique.
Le projet de la bombe atomique américaine appelé « programme Manhattan » prévoyait, à titre préventif, la fabrication de 3 ou 4 bombes atomiques utilisant la réaction en chaîne de la fusion de l’uranium et du plutonium. En principe il s’agissait de dissuader les Allemands d’une utilisation de la bombe qu’ils auraient fabriquée dans le plus grand secret. Les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki furent prêtes à l’emploi fin juillet ’45, au moment où le Japon, dont les forces étaient considérablement réduites, demandait la fin des hostilités.
A la fin de 1944 les Américains étaient arrivés à la conclusion que les Allemands n’avaient jamais songé sérieusement à fabriquer un engin nucléaire étant donné les efforts de guerre considérables exigés par le Front de l’Est et la fabrication et la production d’armes secrètes plus conventionnelles. Déjà en septembre 1944 Roosevelt et Churchill étaient conscients que l’Allemagne ne possédait pas l’arme nucléaire et ils envisagèrent d’utiliser la bombe, qui avait coûté à l’époque deux milliards de dollars et mobilisé 130.000 travailleurs, contre les Japonais. Le projet Manhattan devait se poursuivre dans le plus grand secret (le professeur Bohr faillit être emprisonné sur proposition de Churchill suite à la demande du savant danois d’informer les Soviétiques sur la nature du projet Manhattan). Cette méfiance devait immanquablement déclencher la guerre froide avec l’inévitable course aux armements accompagnée d’une prolifération nucléaire qui se manifestera par des essais d’explosions nucléaires d’abord en URSS (août 1949) et se poursuivra avec la Grande Bretagne (1952), la France (1960) et la Chine (1964).
Cette prolifération nucléaire a rapidement atteint des proportions incroyables. Les prévisions de Szilard qui prophétisait l’escalade nucléaire avec des milliers de bombes, s’est réalisée. Ainsi les Etats-Unis disposaient de 9 bombes en juin 1946, de 32 en 1947, de 110 en 1948 et, en 1959, de 15.468 !!! Cette prolifération de l’arme suprême, va mobiliser environ deux millions d’emplois entre 1960 et 1990, chiffre que l’on peut facilement extrapoler sur la base des 600.000 officiellement reconnus aux Etats-Unis.
Ces cinq puissances nucléaires officialisée en 1968 par le Traité de Non Prolifération (TNP) disposent d’un poids politique énorme vu qu’elles disposent également non seulement d’un siège permanent au Conseil de sécurité mais, par dessus le marché, d’un droit de veto.
Le concept de dissuasion nucléaire est toujours présent dans le cerveau de nombreux Chefs d’Etat occidentaux. Il consiste à déclarer que l’arme atomique rend impossibles des conflits de grande importance. Ce concept est faux ; s’il a permis d’éviter de justesse, pendant le guerre froide, un conflit nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS il a favorisé des guerres très meurtrières comme celles de Corée et du Vietnam. Grâce à leur hégémonie nucléaire au début des années 50 les Etats-Unis ont pu intervenir massivement sur le territoire coréen. En effet l’arme nucléaire leur permettait de garder un front occidental dégarni et de mettre le maximum de leurs forces dans le conflit du Nord-Est Asiatique. Cela n’empêcha pas MacArthur et son successeur Ridgway de réclamer un bombardement massif des grandes villes chinoises. Il en fut de même pendant la guerre du Vietnam où plusieurs généraux réclamèrent également l’emploi du feu nucléaire. En bref, la dissuasion nucléaire – c’est-à-dire l’intimidation atomique, la menace de la destruction massive ou le chantage par la terreur - principalement prônée par les puissances nucléaires est généralement acceptée par une société politiquement peu informée.
Les 2055 essais nucléaires illustrent bien la folie de la dissuasion nucléaire. Un véritable « jeu de mains, jeu de vilains » s’est engagé entre Américains et Russes ; ainsi, en 1958 , 77 essais américains et 35 russes sont perpétrés, en 1962 , 96 américains contre 71 russes. Durant les années ’61 et ’62 les Américains feront exploser 245 mégatonnes d’équivalent TNT soit l’équivalent de 1633 Hiroshima, tandis que l’URSS déchaînera une puissance explosive équivalente à 26.700 Hiroshima. Une telle situation devait conduire au Traité de Non Prolifération (TNP), entré en vigueur en 1970. Ce Traité permet aux cinq puissances nucléaires de continuer leur prolifération verticale (nouvelles générations de bombes) et interdit aux autres pays d’en faire de même !!!
Tous les cinq ans a lieu une Conférence de révision du TNP. Alors que celle de l’an 2000 s’annonçait sous d’excellents augures avec l’engagement des 5 puissances « de jure » à respecter l’article VI (c’est-à-dire réaliser un désarmement nucléaire sous contrôle international très stricte), la 7ème Conférence de 2005 s’est soldée par un échec, à savoir, la volonté des Etats-Unis de maintenir leur stratégie nucléaire.
Une telle obstination a provoqué la réaction de nombreuses ONG et d’instances politiques locales. Déjà en 2004 le maire d’Hiroshima, Tadatoshi Akiba, avait lancé une campagne internationale « Mayors for Peace ». Celle-ci a connu un vif succès et spécialement en Belgique où 235 communes flamandes, bruxelloises et wallonnes ont apporté leur soutien de solidarité à leur collègue japonais. A ce jour, plus de trente bourgmestres se sont déjà déclarés co-signataires d’une lettre du maire d’Hiroshima, réclamant un programme de désarmement nucléaire qui devrait paraître dans la presse néerlandaise et francophone de Belgique.
Malgré ces manifestations, les déclarations du sénat en Belgique, les interventions dans divers Parlements (Belgique, Hollande …) et la prise de position des eurodéputés, les positions des gouvernementaux occidentaux ont été quasi nulles. L’Allemagne, qui s’était proposée de demander à l’OTAN le retrait des 480 bombes B-61 de l’Europe et de la Turquie, a du abandonner son projet vu l’absence de collaboration de ses partenaires de l’Alliance.
Bien que l’Europe soit le continent le plus militairement nucléarisé au monde, les négociations entre Américains et Russes sont au point mort, précisément à cause du déploiement d’armes nucléaires tactiques américaines en dehors de leur territoire. Ce constat est utilisé par la Russie pour refuser toute discussion sur le désarmement nucléaire tactique ; il a été communiqué à la presse par le ministre Serguei Ivanov au centre spatial de Baïkonour en ces termes : « la Russie déploie ses armes nucléaires tactiques sur son propre territoire ce qui ne peut être dit pour d’autres pays ».
En bref, l’apocalypse nucléaire est toujours présente, d’autant plus que des milliers d’armes nucléaires sont toujours maintenues en état d’alerte, ce qui constitue un risque de lancement accidentel et une menace pour les centres stratégiques et les villes importantes. Nous attendons des responsables nationaux et européens une interprétation plus correcte et plus cohérente du TNP que le projet de constitution européenne ne prend pas en compte. Pourquoi une telle discrétion sur un sujet aussi fondamental ?