Milosevic à La Haye : plus c'est intéressant, moins on en parle

Diana Johnstone
30 août 2005

L'accusation, selon laquelle Milosevic serait coupable de tous les crimes commis au cours des guerres de désintégration de la Yougoslavie en tant que meneur d'une prétendue "entreprise criminelle collective" pour créer "la Grande Serbie", est en train de fondre encore plus rapidement que la glacière arctique. Le 25 août, le procureur adjoint Geoffrey Nice a dû admettre une évidence: que le Président Milosevic n'avait pas cherché à créer une "Grande Serbie".


Le procès de Slobodan Milosevic à La Haye devant le "Tribunal Pénal International pour l'ancienne Yougoslavie (TPI)" fut annoncé comme un grand moment de la justice internationale. Trois ans plus tard, il a réussi à mériter sa place dans l'histoire judiciaire. Il devra sans aucun doute figurer parmi les procès restés célèbres, tels que celui de Socrate, de Jeanne d'Arc, du capitaine Dreyfus, de Boukharine, qui doivent leur notoriété aux abus flagrants des droits élémentaires de la défense.

Au début, on aurait cru que la télévision et les journaux nous serviraient régulièrement les épisodes du procès-spectacle de celui qu'ils avaient nommé "le boucher des Balkans". Mais la pertinence et la solidité de la défense menée par Milosevic lui-même ont vite fait taire les médias. Aujourd'hui, il se tient pratiquement à huis clos. Et pour cause.

L'accusation, selon laquelle Milosevic serait coupable de tous les crimes commis au cours des guerres de désintégration de la Yougoslavie en tant que meneur d'une prétendue "entreprise criminelle collective" pour créer "la Grande Serbie", est en train de fondre encore plus rapidement que la glacière arctique. Le 25 août, le procureur adjoint Geoffrey Nice a dû admettre une évidence: que le Président Milosevic n'avait pas cherché à créer une "Grande Serbie". En effet, Vojislav Seselj venait de soutenir pendant plusieurs jours de témoignage détaillé que son propre Parti Radical serbe était le seul à prôner la "Grande Serbie" et que Milosevic et son Parti socialiste y étaient toujours opposés. Cela ne faisait que confirmer les témoignages qui, depuis plus d'un an, démolissent systématiquement l'accusation lancée contre Milosevic en mai 1999, en plein bombardement de son pays par l'Otan.

Les trois juges ne pouvaient cacher leur perpléxité. Ils sont là pour trouver Milosevic coupable, mais ils commencent à se demander: de quoi?

Heureusement que les médias sont là pour ne pas rendre compte de leur embarras. Ils doivent partager leur gêne. On peut croire que pour Le Monde, en particulier, un jugement de "non coupable" dans le procès Milosevic serait une catastrophe encore pire que le "non" au référendum du 29 mai. Déjà au début des années 90, Florence Hartmann, en tant que correspondante du Monde à Belgrade, avait accusé Milosevic de tous les torts, avant de devenir porte-parole du procureur du TPI, Carla del Ponte.

Ce prétendu "tribunal des Nations-Unies" fut créé sur une initiative de Washington pour faciliter la restructuration de l'ancienne Yougoslavie en écartant, grâce aux inculpations, les dirigeants serbes récalcitrants. Le TPI est financé en premier lieu par le gouvernment des Etats-Unis et des donateurs privés tel que George Soros, ainsi que des pays de l'Otan. Le personnel est "prêté" par les ministères des Etats-Unis (pour les deux tiers) et de leurs alliés. Le ministre des affaires étrangères de Clinton, Madeleine Albright, qui porte la plus grande responsabilité dans la guerre contre la Yougoslavie en 1999, a personnellement choisi, entre autres:

Louise Arbour, le procureur qui eut l'obligeance de lancer l'accusation hâtive contre Milosevic pendant les bombardements, sur la seule base de renseignements fournis par les services américains et britannique. Sa récompense: un siège à la Cour suprème du Canada avant d'être nommée à la tête de la Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies.

Gabrielle Kirk McDonald, juge au Texas, présidente du Tribunal au moment de l'inculpation de Milosevic, qui appella la Serbie "un état voyou".

Paul Risley, porte-parole de Mme Arbour.

Carla del Ponte, procureur en chef actuel.

Les trois juges au procès Milosevic viennent du Royaume-Uni, de la Jamaïque et de la Corée du Sud. Tous au goût de Washington. Deux des trois suffiront pour condamner l'accusé; il n'y a pas de juré, et la seule cour d'appel... c'est le TPI lui-même.

Dans cette situation, à quoi bon fatiguer le public avec les détails d'un procès jugé d'avance?

Seuls quelques curieux peuvent en savoir quelque chose, en consultant le procès verbal du TPI sur le site http://www.un.org/icty/

Il y est donc difficile, mais non pas impossible, d'apprendre que:

Le "dictateur" Milosevic n'était en réalité qu'un chef d'état aussi démocratiquement élu que les autres, dans un état à peu près comme les autres, avec des lois et des hiérarchies et des prises de décisions parfois malheureuses mais en conformité avec la pratique habituelle des Etats, telle que celle d'écraser un mouvement armé séparatiste qui assassinait des policiers et des citoyens (l'UÇK, "l'armée de libération du Kosovo),.

Les officiers et fonctionnaires de cet Etat, documents à l'appui, ont pu systématiquement démontrer que le Président Milosevic n'avait ni planifié ni approuvé la "purification éthnique" des Albanais du Kosovo, encore moins le "génocide" (qui n'eut pas lieu). Il a par contre insisté sur la nécessité de protéger la population civile, albanaise ou autre.

Le nombre des morts au Kosovo pendant la guerre menée par l'Otan se situe entre 2 500 et 4 000, toutes ethnies et toutes causes du décès confondues..

Les causes de la fuite massive des Albanais du Kosovo étaient multiples -- tout comme la fuite des autres ethnies, ignorée des médias -- y compris la peur toute naturelle des bombardements et des combats entre Serbes et l'UÇK, ainsi que les ordres donnés par l'UÇK de fuire en accusant les Serbes, pour mieux justifier l'agression de l'Otan.

Devant l'absence trop flagrante de "génocide" au Kosovo, le TPI a élargi l'inculpation originelle pour inclure les évènements de la Bosnie, dans l'espoir d'établir un lien, aussi tenu soit-il, entre Milosevic et le massacre de Srebrenica, qualifié par des arguments psycho-sociologiques d'un rare sophisme, de "génocide" (malgré le fait que femmes, enfants et vieillards furent épargnés). En effect, le TPI se permet de changer les règles du jeu comme bon lui semble pour faciliter le travail du procureur.

La stratégie de l'UÇK, qui consistait à provoquer les Serbes pour fournir le prétexte "humanitaire" à l'agression de l'Otan, en collusion avec les services anglo-américains, a été solidement établie par des témoins sur place et bien informés, tel l'Allemand Dietmar Hartwig, chef de la Mission de Contrôle Européen au Kosovo entre novembre 1998 et mars 1999.

Dans un procès plus ou moins normal, on s'attendrait à l'acquittement de l'accusé pour absence de preuves. Mais dans un procès "historique", c'est-à-dire conçu par les grandes puissances pour justifier leur action, un verdict juste tiendrait du miracle. Le préjugé des juges est flagrant; ils ne cessent de harceler les témoins de la défense après avoir traité les accusateurs les moins crédibles avec indulgence. La condamnation de Milosevic est nécessaire pour justifier à la fois l'Otan et le détachement de la province de Kosovo de la Serbie. Plus généralement, la guerre "humanitaire" exige toujours un méchant, un "nouvel Hitler", qu'il faut condamner pour préserver l'ordre manichéen du monde.

Ce Tribunal n'est pas fait pour rendre la justice. Pourtant, à la longue, il peut la servir. Le procès verbal de ces étranges procédures constitue un document qui pourra être étudié à l'avenir par des chercheurs authentiquement indépendants et qui découvriront un scandale judiciaire semblable à la condamnation de Dreyfus (mélange de préjugés et de "défense de l'honneur militaire") mais sur une échelle bien plus grande et avec les implications graves et multiples.

(Article pour "Le Manifeste", Paris.)