P. Piérart et H. Firket
31 mars 2006
L’Assemblée Générale des Nations Unies vote chaque automne, une longue série de résolutions vertueuses destinées à promouvoir des politiques de coordination internationale sur des sujets divers, allant de la paix dans le monde à l’aide à l’éducation des filles dans les pays africains les moins développés. Ces textes sont délibérément rédigés dans un style caractéristique et rébarbatif, tant dans l’exposé des motifs (l’Assemblée, prenant acte que…, consciente que…, soucieuse de…, etc.) que dans la partie plus prescriptive (prie les pays qui…, souhaite que…, en appelle à…, insiste pour…, etc.).
Chaque année, plus d’une centaine de ces résolutions sont soumises à l’Assemblée et votées en fin de session. Elles ne soulèvent aucun intérêt des médias, sauf quand elles sont – rarement - suivies d’effets majeurs. Plusieurs sont de simples variantes répétitives de celles présentées les années précédentes. Jusqu’à un certain point, c’est un exercice futile car les gouvernements, quels qu’ils soient, n’en font jamais qu’à leur tête. Les votes négatifs et les abstentions constituent cependant un baromètre utile qui indique le degré de consensus sur des problèmes sensibles.
Cette année, une douzaine de ces résolutions se référaient aux problèmes de désarmement, nucléaire ou général. Les Etats-Unis ont voté négativement sur la totalité de celles-ci, même les plus anodines. Dans au moins un cas, ils ont été quasi seuls de leurs avis. Ils refusent tout simplement que l’ONU se penche sur les problèmes de paix et de guerre. Mais alors, à quoi servirait-elle ? Un bon nombre de leurs « alliés » (on devrait plutôt dire de leurs « vassaux ») n’osent guère s’opposer trop ouvertement à eux, et votent avec eux ou se réfugient dans une abstention sans gloire.
Nous ne citerons pas toutes ces résolutions et nous centrerons surtout sur l’attitude de la Belgique. Nous sommes - paraît-il - en démocratie et les citoyens ont le droit de savoir ce que ses dirigeants disent en leur nom, et pourquoi ils le font. Que nous n’ayons pas signé quelques résolutions générales, courtes ou imprécises, sur le désarmement conventionnel, et pour lesquelles le nombre d’abstentions était d’ailleurs élevé, ne nous gène pas. Sur certains points, nous n’avons pas hésité à voter autrement que les États Unis, votant oui ou nous abstenant.
Sur deux résolutions, cependant, l’attitude officielle de la Belgique est surprenante et tout à fait inadmissible.
La résolution 60/72 (72ème de la 60ème session) évoque le suivi des obligations en matière de désarmement qui furent approuvées lors des conférences de révision du Traité de Non Prolifération en 1995 et en 2000. On avait, en 2000, adopté à l’unanimité des membres de l’ONU un programme en 13 points à mettre en œuvre pour l’élimination progressive de l’armement nucléaire. Aucun de ces points n’a progressé d’un pouce depuis lors. La Belgique a, avec d’autres membres de l’OTAN, considéré cette fois-ci que ce désarmement n’est plus d’actualité. Elle a dit non. On aimerait savoir pourquoi alors que tant le Sénat que la Chambre ont voté au printemps dernier à de très fortes majorités des textes précis demandant qu’on avance dans ces domaines et dans l’élimination des armes nucléaires illégalement entreposes sur notre sol.
Plus grave encore. La résolution 60/76 demandait qu’on donne une suite à l’avis consultatif donné par la Cour internationale de Justice de La Haye en juillet 1996, sur la licéité (sic) de l’emploi ou de la menace d’emploi des armes nucléaires. Cette Cour est la plus haute instance judiciaire au monde, et ses membres sont des juristes éminents venant de pays très divers (nucléaires ou non). La résolution rappelle que cet avis avait, à l’unanimité des juges, déclaré qu'il existe une « obligation de négociations, parvenant sans tarder à la conclusion d’une convention interdisant (entre autres) … la menace ou l’emploi des armes nucléaires et…imposant leur élimination. » Or depuis 1996, on tarde au contraire. Aucune négociation de ce type n’est engagée.
Notre voisine et alliée, l’Allemagne n’a, fort honnêtement, pas hésité à approuver ce texte. Les autres membres subalternes de l’OTAN, dont la Belgique, ont voté NON. Ils considèrent donc qu’il ne convient pas, même en principe, d’affirmer que le désarmement nucléaire est un obligation juridique pour tous les pays. Nous n’avons même pas eu le courage de nous abstenir.
On aimerait qu’un membre du Parlement interpelle sévèrement M. de Gucht, Ministre des Affaires étrangères sur ce comportement, digne d’un laquais (je suis poli, je préférerais un terme qui évoque plus grossièrement la partie postérieure de notre anatomie) des Etats-Unis. Ce vote ne peut même pas se justifier, comme on avait essayé de faire lors d’occasions précédentes, par une concertation préalable des membres non nucléaires de l’OTAN ; ceux-ci ont en effet voté souvent en ordre dispersé.
Sur l’ensemble de ces résolutions, toutes adoptées à des majorités souvent très larges, les nouveaux membres de l’OTAN ont fait preuve, sur ce point et d’autres, de leur abjecte soumission à la superpuissance.
N.B. Un tableau citant les votes, souvent édifiants, des cinq puissances nucléaires, des alliés européens de l’OTAN et, pour comparaison, de la Suède et de l’Autriche, pays encore relativement indépendants, complète cet article. Il est disponible sur notre site www.csotan.org
Ce texte a été publié dans le Bulletin n° 93 de l’Association Médicale pour la Prévention de la Guerre Nucléaire – 1er trimestre 2006.