Roland Marounek
28 juin 2006
L'aide états-unienne au Soudan
20 août 1998 : les Etats-Unis lancent depuis le Golfe 19 missiles qui pulvérisent l'unique usine de médicaments du Soudan. Le prétexte - qu'elle produisait des armes chimiques - était totalement fantaisiste. Par contre, l'usine produisait 60% des médicaments disponibles au Soudan. On n'évaluera sans doute jamais le nombre de morts et les souffrances qu'a provoqués directement la destruction de cette usine, et qu'elle continue à provoquer, les Etats-Unis n'ayant jamais trouvé utile de proposer le moindre dédommagement.
Loin des fantasmes du terrorisme islamiste et d'al-Qaida, c'est la misère et le sous-développement extrême qui est le meilleur moteur pour les conflits régionaux, notamment celui qui ravage le Soudan depuis des décennies, pas seulement au Darfour. Comme vient de le déclarer l'ambassadeur britannique aux Nations Unies, la représentation occidentale du conflit du Darfour est erronée, il s'agit plutôt d'une lutte « pour obtenir le contrôle des ressources nationales limitées »1.. « Il n'y a aucune ressource humaine de base. Les gens boivent aux mêmes sources que les animaux; il y a un manque de routes, d'écoles et d'infrastructures médicales. », déclare un responsable soudanais.2.
Les bombardements et les sanctions économiques contre un pays affamés et exsangue ne contribuent certainement pas à apaiser les tensions et à apporter une solution aux drames humanitaires.
Vers une mission de l'OTAN
Le but affiché des États-Unis est d'arriver à imposer une force dirigée par l'OTAN au Soudan. Cela devrait se faire en deux temps, exactement à l'image de ce qui s'est passé en Afghanistan : D'abord , une mission de l'ONU de maintien de la paix remplace la mission actuelle de l'Union africaine de surveillance du cessez-le-feu; dans un deuxième temps, l'ONU confie 'naturellement' la mission à l'OTAN - Koffi Annan a suffisamment prouvé qu'il n'a rien à refuser aux USA.
« L'OTAN pourra entrer en jeu avec l'aide des Etats-Unis dans le cadre de l'ONU, pour signifier au gouvernement soudanais que nous avons l'intention d'apporter la sécurité à la population et que nous avons l'intention d'aider à trouver un accord de paix durable », déclare ainsi George Bush en mars dernier, relayé par le secrétaire général de l'OTAN de Hoop Scheffer : « Je suis persuadé, comme je l'ai dit au président [Bush], que quand l'ONU sera là, les pays membres de l'OTAN seront prêts à faire davantage pour permettre de déployer une force au Darfour »3.
L'OTAN a déjà un pied au Darfour depuis juin 2005, dans le rôle de support logistique de la mission de l'Union africaine: le président Konare a complaisamment cédé aux pressions états-unienne, et 'demandé' l'aide de l'Alliance, court-circuitant l'opposition de la certains pays de l'OTAN dont la France, dont l'agenda entre en contradiction avec celui des USA.
Effets pervers
La première chose à faire est évidemment de "démontrer" que les forces actuelles l'Union Africaine sont incapables de faire cesser les massacres au Darfour. Ce résultat ne devrait pas être trop difficile à atteindre. il suffit que les groupes rebelles créés, financés et armés par le régime Tchadien rompent le cessez-le-feu négocié; la culpabilité en sera en tout cas attribuée au "régime soudanais et ses milices arabes".4.
Le fait même de brandir la menace de l'intervention humanitaire a donc l'effet paradoxal (mais parfaitement prévisible) d'aggraver le problème humanitaire. Comme naguère en Yougoslavie, les seigneurs de guerre de la région vont espérer une intervention occidentale en faveur de leur cause, et n'ont donc aucun intérêt à des concessions négociées. Le pompier états-unien est en train d'attiser sciemment les flammes dans la région.
Larmes des vautours autour de puits de pétrole
Les choses deviennent beaucoup plus claires lorsqu'on sait que le Soudan possède du pétrole en très grandes quantités - certains parlent de ressources rivalisant avec celles de l'Arabie Saoudite – et que ces ressources pétrolières sont actuellement exploitées non par des compagnies américaines, comme au Tchad, mais principalement par la compagnie chinoise des pétroles.5.
Lorsque les grandes puissances évoquent avec tant d'insistance l'humanitaire, le plus élémentaire réflexe devrait être de se demander qu'est-ce qu'on est en train d'essayer de nous vendre ? Accorder la moindre crédibilité aux Bush et consort aujourd'hui, reviendrait à prendre au sérieux les affirmations de Léopold II qui voulait, main sur le cœur libérer les nègres des esclavagistes arabes, ou celles d'Adolf Hitler dont l'unique préoccupation était de libérer le peuple des Sudètes des exactions tchèques .
La crise humanitaire au Darfour est instrumentalisée par les Etats-Unis dans une tentative de brider la montée en puissance de la Chine, et de la maintenir en état de dépendance pour l'accès au pétrole. L'Irak est (actuellement) fermé, l'Iran est également dans la ligne de mire. Il s'agit d'une question cruciale pour la survie même de l'hégémonie US.
Il est essentiel que le mouvement pour la paix, en particulier dans les pays de l'OTAN, ne retombe pas dans le piège de l'humanitaire. Une intervention de l'Occident au Soudan n'est certainement pas une partie de la solution, mais bien une partie du problème.
1. "Darfour, un conflit mal compris, affirme l'ambassadeur britannique au Conseil de sécurité" – Nations Unies, 15 juin 2006
2. "Sudan: Pas d'accueil enthousiaste pour les casques bleus", Inter Press Service (Johannesburg), 16 Juin 2006
http://www.ipsnews.net/africa/
3. "Bush espère que l'OTAN va prendre la direction des opérations au Darfour", Xinhuanet 20 mars 2006
4. cf "Le chef du Mouvement de Libération du Soudan menace de rompre l'accord de paix avec Khartoum", AP, 17 juin
5 "The Oil Factor About Sudan", John Laughland - The Guardian 3 août 2004http://www.stopusa.be/scripts/texte.php?section=BQ&langue=1&id=22982