25 janvier 2007
M. Josy Dubié (ECOLO). - Selon des informations parues récemment dans la presse, le dernier conseil des ministres aurait décidé d'accroître substantiellement la présence militaire belge en Afghanistan, en y déployant notamment des avions de combat de type F16.
La même source indique que le nombre de militaires belges engagés sur le terrain pourrait aussi augmenter sensiblement et passer de 310 aujourd'hui à 420, soit une augmentation de 35% de notre effectif militaire présent en Afghanistan.
Le ministre peut-il confirmer ces informations ? Si celles-ci sont exactes, qu'est-ce qui motive l'augmentation de notre contingent ?
À quelles tâches nos nouveaux militaires sur place seront-ils affectés ?
La dégradation rapide de la situation militaire face à l'activisme croissant d'opposants armés au régime du président Hamid Karzaï a-t-elle été prise en compte ?
Quelle analyse le gouvernement fait-il de la dégradation de cette situation militaire et quelles mesures préconise-t-il pour y faire face ?
Le gouvernement ne craint-il pas l'enlisement des forces armées étrangères - donc, belges également - dans la défense d'un gouvernement afghan de plus en plus impopulaire ?
Quelle limite dans le temps le gouvernement prévoit-il pour la présence de nos soldats sur place ?
Enfin, quel sera l'impact budgétaire de la décision d'augmenter notre présence militaire en Afghanistan ?
Mme Els Van Weert, secrétaire d'État au Développement durable et à l'Économie sociale, adjointe au ministre du Budget et des Entreprises publiques. - Je vous lis la réponse du ministre.
Vous faites référence à la note d'orientation « Engagement opérationnel en 2007 » qui figurait à l'agenda du conseil des ministres du 12 janvier 2007. Cette note ne contient que des propositions de planification. Pour chaque opération en cours, un dossier séparé sera soumis au conseil des ministres.
L'effort principal de l'engagement opérationnel en Afghanistan durant l'année 2007 restera axé sur la sécurisation et le fonctionnement de l'aéroport international de Kaboul, élément central et point d'accès et de passage unique pour tous les acteurs à la reconstruction.
Les événements récents - tirs de roquettes - démontrent par ailleurs l'importance de cette mission de sécurisation.
De plus, la participation à la PRT - Provincial Reconstruction Team - de Kunduz, dans la région Nord, et le déploiement de moyens aériens font de la Belgique un acteur important de l'effort visant à créer les conditions de reconstruction et de développement du pays et cela, soulignons-le, pratiquement sans discontinuité depuis le début de la mission de l'ISAF.
Cet engagement pourrait se concrétiser de la façon suivante : poursuite de la mission de protection de l'aérodrome de Kaboul par le maintien d'une compagnie de protection, entraînement et encadrement d'unités afghanes dans le but de leur transférer à terme la mission de protection de l'aérodrome de Kaboul, poursuite de la participation au fonctionnement de l'aéroport de Kaboul durant toute l'année, reprise du commandement de l'aérodrome international de Kaboul pour une période de six mois, prolongeable une fois, à partir du mois d'octobre 2007, tout en assurant la formation et le monitoring d'éléments afghans susceptibles d'assurer à terme la gestion des installations aéroportuaires.
L'engagement pourrait aussi prendre la forme suivante : maintien de la participation à la PRT Kunduz/Faïzabad et à la structure de commandement de la région Nord de l'Afghanistan, déploiement d'un C-130 jusqu'à la fin du mois de février 2007 pour le transport logistique intra-théâtre, déploiement éventuel d'un détachement de quatre F-16 à partir du mois d'octobre pour des missions de présence dissuasive et d'appui feu en vue de la protection des troupes de l'ISAF et plus particulièrement des PRT.
Le nombre de militaires belges engagés en Afghanistan sera d'environ 310 en moyenne, en fonction des décisions à venir, et peut passer à environ 420 durant le dernier trimestre de 2007.
Les coûts liés à cet engagement en Afghanistan pour l'année 2007 sont estimés à 27,4 millions d'euros.
Cette planification est basée sur les éléments suivants :
* Le conseil des ministres a décidé de contribuer à l'effort de stabilisation de la situation au travers de l'opération de l'OTAN en Afghanistan, sous mandat ONU.
* Le commandement et le fonctionnement de l'aéroport de KAIA - Kabul International Airport - est assuré par une nation-cadre, sur la base d'un système de rotation. Différentes nations OTAN ont déjà assuré ce commandement, mais pas encore la Belgique. L'acceptation de ce rôle implique la reprise de différentes fonctions clés dans la structure et surtout de différentes fonctions dans les services aéroportuaires.
* Voulant d'une part répondre aux besoins exprimés par ISAF et, d'autre part, faire preuve de solidarité avec nos partenaires, le déploiement d'un détachement BEL de quatre F-16 est envisagé pour une période de quatre mois à partir de novembre 2007, comme ce fut déjà le cas en 2005. Cet engagement est encore en phase de planification et sera soumis au conseil des ministres, au moment opportun.
* Reprise du commandement et du fonctionnement de l'aéroport de KAIA et, si la décision est prise, dissuasion aérienne et appui feu aux troupes au sol. Cette augmentation de nos effectifs permettrait donc d'exécuter des missions complémentaires à celles actuellement réalisées.
* L'engagement de Pers en opérations fait toujours l'objet d'un dossier transmis au conseil des ministres. Une annexe de ce dossier consiste en un avis sécuritaire rédigé par le Service de renseignement de la Défense, de la zone d'opérations dans laquelle les militaires belges sont ou seront engagés. Il est toujours tenu compte de cet avis.
* L'engagement de l'ISAF crée les conditions dans lesquelles le gouvernement afghan, appuyé par la communauté internationale, doit trouver des solutions aux nombreux problèmes du pays. Cela demande du temps et l'aide de la communauté internationale sera sollicitée durant encore une longue période.
* Aucune limite de temps n'a été envisagée à ce jour. Notre présence jusque fin 2007 est confirmée et les engagements pour les années futures feront l'objet, en temps voulu, d'appréciations politico-militaires.
* Le coût brut qui serait lié à l'augmentation de notre présence en Afghanistan jusque fin 2007 peut être estimé à cinq millions d'euros. Une grande partie de ce montant serait compensée par les frais de fonctionnement de la Défense.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Je relève donc que la note d'orientation prévoit une augmentation de nos effectifs de 310 unités à 420 à la fin de l'année, ce qui correspond bien à une augmentation de 35% de notre effectif militaire sur place, sans compter les quatre F-16.
Je suis très surpris de cette réponse extrêmement contradictoire avec une interview publiée dans Le Vif/L'Express, il y a deux mois, le 24 novembre 2006. Sous le titre : « Flahaut :"on est piégé !" », le ministre dénonçait « l'explosion des dépenses causées par le bourbier afghan ». « La fuite en avant m'inquiète », disait le ministre.
Deux mois plus tard, il propose au conseil des ministres une augmentation de 35% de nos effectifs militaires.
Dans l'article susmentionné, il disait pourtant : « Les opérations de l'Alliance en Afghanistan sont déjà moins aisées à justifier ». Je suis d'ailleurs un de deux qui s'interrogent. Il poursuivait : « Si la situation sur le terrain tournait mal, c'est moi, ministre de la Défense, qui serait mis en cause », ce qui me semble assez évident.
Mais je relève surtout ceci : « J'ai demandé des explications à propos de l'augmentation énorme du budget affecté à la mission en Afghanistan. On se contente de me répondre que l'on ne peut pas tout prévoir quand on lance ce genre d'opération. On est piégé, car les projections budgétaires sont inexistantes ou imprécises. Faute de "stratégie de sortie", comment la Belgique peut-elle planifier son engagement ? »
Ces affirmations du ministre au regard des éléments de réponse que je viens de recevoir sur l'augmentation substantielle de nos forces créent une contradiction extrêmement inquiétante.
La situation en Afghanistan est en train de se détériorer rapidement. Le ministre précise d'ailleurs, et cela me semble important, que « la situation se dégrade et, avec le temps, les forces de l'OTAN risquent d'apparaître comme une armée d'occupation ». J'avais lancé cet avertissement voici quelques mois et c'est maintenant le ministre qui le reconnaît. Comment comprendre alors que, dans le même temps, la Belgique augmente ses forces en Afghanistan ?
Monsieur le Président, chers collègues, je pense qu'il s'agit là d'un sujet extrêmement préoccupant dont la commission de la Défense du Sénat devrait se saisir. Je rappelle qu'au moment même où le Sénat américain s'oppose à la décision du président Bush de renforcer les forces militaires en Irak, la Belgique décide d'accroître ses forces en Afghanistan de manière plus importante encore et que cela se passe dans un silence assourdissant. C'est inquiétant. Je vais donc demander aux présidents des commissions de la Défense et de la Justice que nous examinions en profondeur la politique de la Belgique en Afghanistan et l'évolution de notre engagement militaire dans ce pays. J'espère que d'autres collègues me suivront.