Ben Cramer
30 juin 2007
Tous les ingrédients sont désormais réunis pour revisiter à trente ans d’intervalle la crise des euromissiles.
La croisade anti-terroriste après le 11 septembre, et ses ramifications en Afghanistan, les lubies anti-nucléaires de l’administration Bush en Irak ont favorisé quelques alignements - dont celui de la Pologne.- L’arrogance de l’hyperpuissance intimide-t-elle ceux qui avaient eu l’audace de s’y opposer ?
La Belgique peut être rangée dans cette catégorie. Lors du sommet de l’Otan à Riga, Bruxelles a voté tout à fait à l’opposé de la résolution de la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense du Sénat (dont le retrait des armes nucléaires entreposées à Kleine Broghel, eu égard à l’article VI du TNP). Pourquoi ce profil bas après un débat haut en couleur et des dizaines d’auditions ? En raison de son opposition à la guerre en Irak, expliquait récemment Arnaud Ghys (de la CNAPD).
Mais la situation n’est pas pareille à Berlin. Les Allemands, inclus par Rumsfeld dans la ’Vieille Europe” depuis la mise en scène anti-nucléaire en Irak, ne sont plus disposés à n’importe quel sacrifice pour la solidarité atlantique, ni à tolérer que leurs voisins à l’Est expérimentent une technologie US pour régler des comptes avec Moscou. Quoi que l’on pense du coup de poing sur la table de Poutine à la Wehrkunde en février, et n’en déplaise à la myopie française sur le sujet, (électoralisme oblige), le débat à venir sur la sécurité européenne passe aussi par une réflexion sur les rapports entre la Russie et l’Europe. Pour y voir un peu plus clair, et remettre les pendules à l’heure depuis l’affaire des euromissiles, il n’y a pas de raison que le débat soit faussé - encore moins enterré - en raison de l’adhésion précipitée de pays disons mal européanisés, dont la fonction centrale semble être de déstabiliser l’ensemble européen au nom du maximalisme transatlantique...
L’aventure afghane n’a rien à voir avec l’OTAN. L’aventure nucléaire iranienne non plus d’ailleurs. Mais les Etats-Unis sont tentés une fois de plus d’embarquer les alliés dans leur ’vision globale.’ On assiste ici à quelques répétitions.
Ce n’est pas la peine de philosopher sur le distinguo subtil entre “alliance globale” et “alliance ayant des partenaires globaux”. Si le “hors zone” (out of area) fait l’objet de toutes sortes de contorsions depuis les années 70, il n’est pas de bon ton de rappeler, surtout depuis le 11 septembre 2001, que le Traité de l’Atlantique Nord affirme que l’action de l’Otan est limitée au territoire des membres ; tout le monde préfère oublier que les articles 5 et 6 présentent un projet d’autodéfense collective, une réponse collective “en cas d’attaque armée survenant en Europe ou en Amérique du Nord”. Les alliés les plus européistes espèrent que l’OTAN ne prenne pas le large en convoitant les Japonais, les Australiens et demain les Israéliens. Tel est du moins le souhait exprimé au Quai d’Orsay, elle figure dans la tribune de Jacques Chirac le 28 novembre, mais la position française est délicate. Et pour cause. “Il y a davantage de soldats français sous le drapeau de l’OTAN que de soldats américains” rappelait récemment M. Duqué, représentant permanent de la France auprès de l’OTAN, en ajoutant “ce qui est un peu paradoxal”. Si l’on songe à l’implication dans le bourbier afghan, le paradoxe risque de coûter cher. “Avec le temps, les forces de l’OTAN risquent d’apparaître comme une armée d’occupation » pronostique le ministre belge de la défense . A l’heure où le triomphalisme US n’est plus de mise en Irak, certains alliés cherchent une « stratégie de sortie » en Afghanistan, un pays qui a constitué le plat de résistance du sommet de Riga. (contrairement aux prévisions).
De Kaboul à Téhéran
A trente ans d’intervalle, les dés sont pipés. Aussi pipés qu’hier. Aujourd’hui, les Européens risquent d’être embarqués malgré eux dans une campagne anti-ADM (armes de destruction massive), celle-là même qui, on l’a vu avec l’Irak, relevait du fantasme plus que de la réalité. La France a rejoint depuis 1995 le commandement intégré de l’Otan. Mieux encore, Paris co-préside une commission anti-prolifération nucléaire de l’OTAN. Dans le débat sur les euromissiles, Paris avait tenté de fausser le dessous des cartes. On se rappelle le fameux slogan « les missiles sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest » . Si les responsables français laissent entendre demain que la menace principale vient de Téhéran, ils feront écho à cette thèse mitterrandienne qui enchanta Reagan mais ne dupa personne. Aujourd’hui, les Polonais affirment que les antimissiles n’ont rien à voir avec les Russes, mais ils ajoutent sans peur de ridicule que ce déploiement leur donnera une garantie de sécurité “à l’égard de Moscou”. A l’époque, les missiles installés à Comiso n’étaient pas destinés au Moyen-Orient même si leur portée ne pouvait atteindre Moscou. Si un missile iranien qui existe surtout dans l’imaginaire du Pentagone va demain viser les peuples d’Europe de l’Est..., il faut espérer qu’il y ait des dirigeants européens pour rappeler qu’un anti-missile destiné à intercepter un missile iranien peut être reprogrammé contre un missile russe !
Réouvrir un débat escamoté
Dans le rapport du Sénat belge sur l’avenir de l’OTAN - dont les sénateurs français feraient bien de s’inspirer - un seul paragraphe concerne l’opportunité ou non de déployer pour 2011 des systèmes antibalistiques en Europe centrale (Pologne ou Tchéquie ) pour intercepter une attaque de missiles NBC iraniens. Pourquoi tant de discrétion ? En attendant la suite, dont le réarmement russe, la remise en question du traité INF, du TNP, les dirigeants polonais (et tchèques) semblent oublier que leur territoire est situé sur le continent européen. Et les autres alliés ? Tandis qu’ils tergiversent depuis Riga au sujet du financement commun des opérations US, une autre facture se profile : le prix de la contre-prolifération nucléaire chère à Washington.
Bref, ce n’est pas la première fois que cette coalition hétéroclite, destinée officiellement à protéger l’espace européen, s’invente de nouvelles missions et ne remplit pas celles pour lesquelles elle a été créée. Avec en toile de fond le fiasco d’IDS remis au goût du jour, y a-t-il un nouveau risque de “découplage” ? L’expression n’est plus d’actualité, même si le “couple” transatlantique survit à coup de scènes de ménage rituelles. L’expression ne figure plus nulle part, et pourtant...
Si la première crise a débouché sur le traité INF (d’il y a vingt ans) , la crise actuelle aura peut-être l’avantage de déboucher sur un débat escamoté, reporté, étouffé : celui de l’identité européenne. Dans l’ensemble des 27 pays membres, l’opinion à l’égard de l’OTAN est passée de 69% en 2002 à 55% en 2006 . En Pologne, par exemple, les opinions favorables chutent de 64% en 2002 à 48% en 2006.
publié le 18/04/2007
CIRPES - Centre Interdisciplinaire de Recherches sur la Paix et d’Etudes Stratégiques
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