Roland Marounek
30 septembre 2007
"Les soldats hollandais avaient été envoyés initialement en Afghanistan en soutien à une politique de reconstruction et de stabilisation. Mais ils se retrouvent finalement dans une mission de combats de haute intensité, qui en fait n'était pas le mandat original de l'Otan"1. La soudaine 'découverte' de la nature de la mission de l'Otan en Afghanistan par un expert en sécurité à l'Institut Néerlandais pour les Relations Internationales reflète bien le désarroi actuel des gouvernements alliés pris dans l'enlisement face à la catastrophe qui se précise.
Il est quand même assez peu vraisemblable que le glissement progressif de la mission otanienne dans la guerre US 'Liberté Immuable' se soit produit à leur insu. Rappelons-nous aussi à la suite de quelles pressions amicales cet engrenage a eu lieu : "Des décisions doivent être continuellement prises par le gouvernement US, par le Congrès, qui influencent les intérêts économiques néerlandais. Il n'est pas difficile d'imaginer que des décisions pourraient être prises qui ne seraient pas dans les intérêts des Pays-Bas"2, avait brutalement déclaré Paul Bremer à la veille de la décision hollandaise d'envoyer des troupes dans le Sud afghan en proie à la guerre.
Les choses dans les zones d'agression US en Asie centrale ne se déroulent en effet pas exactement comme prévu par les dirigeants états-uniens et leurs alliés. Ce qui était impensable il y a 4 ans est en train de prendre doucement forme : la déroute des forces occidentales en Irak et en Afghanistan, et cette perspective sème manifestement la panique et la division dans les rangs alliés. L'échec de la "pacification" de l'Afghanistan occupé ne parvient plus à être maquillé. Les témoignages se multiplient sur le chaos, l'anarchie, et les succès corolaires de la résistance à l'occupation, assimilée systématiquement aux Taliban. Ce n'est plus le seul sud du pays qui n'arrive pas a être 'pacifié', la rébellion s'est étendue au nord et à l'est. Et inévitablement le cercle vicieux de la répression s'enclenche: les pertes alliées sur le terrain, entrainent les troupes de l'Otan à plus de bombardements aveugles, qui à leur tour entrainent d'avantage de haine de la population envers l'occupant et d'avantage de soutien aux 'Taliban', ou quel que soit le nom collé aux 'insurgés'. Même le fantoche Karzaï est obligé de s'en émouvoir: "Les incidents d'avant-hier [22 juin 2007], selon les informations locales se sont déroulées ainsi: Une unité des forces de l'OTAN a été pris pour cible dans un village au lever du jour et a bombardé ce même village à 10 heures du soir. La question est de savoir pourquoi? ... Nous voulons coopérer avec la communauté internationale et nous sommes reconnaissants de l'aide apportée à l'Afghanistan mais cela ne signifie pas que les vies afghanes sont sans valeur!"3
Selon les seules estimations de l'ONU, plus de 300 civils ont été tué par les alliés au cours des 6 premiers mois de 2007, soit d'avantage que les morts civiles attribuées aux 'Taliban'…
Les pertes dans les rangs des pays de l'Otan commencent elles aussi à devenir difficile à présenter à l'opinion publique : en première ligne le Canada avec 70 morts , la Grande Bretagne (73 morts), mais aussi l'Allemagne (21 morts), la France, les Pays-Bas et l'Italie (une dizaine de morts chacun). Le débat dans les pays concernés s'enfle parallèlement, et de plus en plus de personnes réclament ouvertement le retrait immédiat des forces engagées dans ce bourbier pour des résultats et des intérêts de plus en plus douteux. Les constats désabusés se succèdent dans les médias.
"Les forces de l'OTAN assistent, comme le veut leur mission, un gouvernement corrompu et incapable de fournir des services réguliers à la population… L'Afghanistan a le privilège d'être le seul narco-Etat au monde soutenu par la communauté internationale", écrit ainsi le Monde début août4.
En Belgique, ce débat n'a pas encore commencé. 300 militaires belges sont essentiellement dévolus à la défense de l'aéroport de Kaboul, et 4 d'entre eux ont été blessés récemment dans une attaque. Notre pays doit prendre le commandement de l'aéroport en octobre, et 80 militaires supplémentaires doivent être envoyés pour cette période. Mais toute l'attention est braquée sur les problèmes communautaires. On attend les premiers morts?
Comment vendre la guerre ?
Un récent sondage d'opinion montre que plus de 60% des Allemands, Italiens Français et Britanniques, et près de 50 % de Canadiens reconnaissent que la mission militaire en Afghanistan est un échec (contre 22% qui y voient un succès)5. La population est de plus en plus en décalage avec les options atlantistes de leurs gouvernants, quels que soit les efforts déployés les conseillers en communications.
Hors Otan, les pays de la 'coalition de volontaires' commencent à quitter le navire, et dans l'OTAN peu se montrent empressés de s'enfoncer un peu plus dans le bourbier. Les uns et les autres sont confrontés aux échéances électorales, et le départ des uns risque d'entraîner en cascade celui des autres. Le gouvernement néerlandais a remis à plus tard un débat parlementaire, qui pourrait décider le retrait des 1200 militaires du Sud Afghan d'ici 2008; l'Australie (un millier d'hommes) a déjà annoncé qu'ils ne resteraient pas en Afghanistan si les Pays-Bas décidaient de quitter; la polémique sur l'engagement a été un thème majeur de la campagne pour les élections partielles au Québec qui viennent d'avoir lieu, et les opposants du Nouveau Parti Démocratique qui réclament le retour immédiat des soldats canadiens y ont remporté une victoire "historique".
En Allemagne, la chancelière a beau clamer le "total engagement" de l'Allemagne en Afghanistan, les parlementaires, dont des membres de la coalition gouvernementale, viennent de rejeter la proposition du ministre de la défense de redéployer les troupes dans le Sud, certains réclamant également le retour immédiat des 3000 hommes déployés dans le Nord.
Seule la Grande-Bretagne annonce le renfort de soldats - mais ce sont ceux qu'elle tente d'extirper d'Irak.
Enfin, le nouveau gouvernement français vient lui d'annoncer le transfert de 6 Mirages dans le Sud afghan en soutien aux troupes de l'Otan, et d'autre part son intention de réintégrer l'Otan à part entière. Sarkozy semble tenté par la place laissée vacante par Tony Blair comme allié le plus fidèle des États-Unis, alors que les tensions deviennent patentes avec le nouveau gouvernement britannique. Le transfert des bombardiers français vers la frontière iranienne pourrait bien être une des mesures prises pour "se préparer au pire".
Le France en touchera t'elle les dividendes pétroliers qui lui avaient échappés lors de son opposition à l'invasion de l'Irak ? "Début août [2007], la compagnie américaine Chevron a accepté que Total prospecte avec elle le champ pétrolifère de Majnoun, attribué à Elf du temps de Saddam Hussein, dont les réserves sont estimées à 12 milliards de barils".6
1 Int. Herald Tribune, 13 sept., "Cracks appear in allied coalition in Afghanistan"
2 mathaba.net
3 RFI, 24 juin, "Coup de gueule du président"
4 Le Monde, 3 août 2007, "Dérive afghane"
5 La Presse, "La mission renvoie une image d'échec"
6 Interview de Gilles Munier au journal 7 Jours