Roland Marounek
21 juin 2008
« La mauvaise guerre pour le pétrole a détourné les forces de la bonne guerre contre le terrorisme ».
La guerre d'Afghanistan est généralement présentée comme une juste riposte aux attentats du 11/09 , et comme une nécessité pour l'Occident de lutter contre un terrorism e qui s'attaque sans raison à ses valeurs . Ce genre d'opinions n'est pas seulement le fil conducteur des discours politiques - et particulièrement otanien - , il revient régulièrement dans les articles des médias principaux, et déteint sur une partie du mouvement pour la paix, qui s'est montré, et de loin, bien plus discret dans sa condamnation de la guerre contre l'Afghanistan que de celle contre l'Irak. Jusqu'aujourd'hui, les principales critiques portent d'avantage sur la conduite de la guerre, les dommages collatéraux, le déséquilibre entre les moyens fournis à la guerre et ceux de la reconstruction – que sur les justifications mêmes de cette guerre.
Notre avis c'est plutôt que l'Irak et l'Afghanistan, et demain peut-être l'Iran sont fondamentalement les mêmes guerres, répondant aux même objectifs, qui n'ont pas grand chose à voir avec le Terrorisme et le 11 septembre, sans parler des autres Démocratie, Liberté, Armes de destruction massive, - et tout ce genre de choses.
Une réaction préparée avant que les événements ne se réalisent ?
Quelques informations discrètes, mais tout à fait officielles, indiquent que l'attaque contre l'Afghanistan semble bien avoir été planifiée à l'avance, contrairement à l'image que nous a imposé d'une "réaction" au 11/09.
Ainsi une semaine après les attentats, un diplomate Pakistanais déclarait à la BBC que des officiels américains lui avaient annoncé dès juillet 2001 qu'une action militaire aurait lieu à la mi-octobre1.
En novembre 2001, dans un article du Washington Post tout à la gloire des services spéciaux en Afghanistan, on apprend incidemment que « au cours des 18 derniers mois, la CIA a travaillé avec les tribus et les seigneurs de la guerre au sud de l'Afghanistan, et des unités de la Special Activities Division ont contribué à créer un vaste nouveau réseau dans le bastion des Talibans »2. La "réaction" au 11 septembre était préparée 18 mois à l'avance?
Dans le chapitre coïncidences extraordinaires, ce qui était présenté comme « le plus grand exercice militaire Britannique depuis la Guerre du Golfe, Opération Swift Sword, comprenant 24.000 hommes et beaucoup de matériel lourd »3 devait avoir lieu sur la côte d'Oman à partir du 15 septembre. Le Royaume-Uni commençait à transporter ses troupes et son matériel vers Oman au mois d'août 2001. Quand on voit où est situé Oman par rapport à l'Afghanistan, on peut dire que ça, c'est de la chance.
Bref, tout cela ressemble assez peu à une réaction à un événement imprévu. D'ailleurs, après bientôt 7 ans de réaction, on peut se demander à quoi on est toujours en train de réagir. Le résultat est assez loin des objectifs affichés : Le coupable désigné n'a pas été arrêté, la terreur supposée avoir toute sa source en Afghanistan est toujours à combattre avec de plus en plus de moyens, et question talion, le nombre de morts civils dépasse très largement les morts du WTC et ne fait qu'augmenter.
Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, les Talibans ont bel et bien proposé de remettre Ousama Ben Laden, à condition que les preuves de son implication dans les attentats du 11 septembre 2001 soient fournies. Bush a toujours affirmé détenir ces preuves, il semble même qu'il les a présentées à Tony Blair, qui les a jugées très convaincantes. Pourquoi, si le but était bien de capturer le responsable de la chute des tours, qui n'est quand même pas le peuple afghan dans son ensemble, pourquoi ne pas fournir ces preuves au moins aux Nations Unies? Il est vrai qu'elles semblent si difficiles à exhiber que jusqu'à présent même le FBI n'y a pas droit, à en juger sur leur site officiel, où Ousama Ben Laden est toujours poursuivi pour les attentats de Nairobi et de Dar-Es-Salam de 19984…
Si l'invasion de l'Afghanistan était prévue avant le 11 septembre, et si l'objectif de la capture du coupable semble décidemment bien secondaire, il faut bien se demander quelles pourraient être les raisons de cette invasion et occupation de l'Afghanistan.
Qu'y avait-il derrière le New World Order ?
En 1992, après la guerre du Golfe n°1 censée destinée à montrer que plus aucune agression ne serait désormais possible, un certain Paul Wolfowitz alors conseiller au Pentagone remettait un rapport secret, mais éventé par la presse, Defence Planning Guidance , dans lequel il résume les lignes directrices, que doit suivre selon lui et son équipe, la politique extérieure des Etats-Unis. L'idée générale, répétée clairement, est que les USA doivent tout faire pour conserver leur statut d'unique puissance, et à cette fin, tout faire pour empêcher qu'une puissance indépendante des USA ne puisse se développer.
« Les USA doivent empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d'accéder au statut de grande puissance »
« [Il faut] décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l'ordre politique et économique établi »
On ne parle pas ici en terme de Liberté et de Démocratie, de Bien et de Mal, mais en termes bien plus consistants de domination et de leadership économique . Pol Wolfowitz allait devenir en 2001 le secrétaire adjoint à la défense et conseiller aux questions de sécurité du vice-président, Dick Cheney, et l'un des principaux avocats de la War on Terror
Mais ce n'est pas un texte isolé, issu de la droite américaine la plus extrémiste. Dans ses textes l'ancien conseiller de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski dit fondamentalement la même chose, en mettant l'accent particulièrement sur ce qu'il appelle l'Eurasie.
« Comment en particulier prévenir l'émergence d'une puissance eurasienne dominante qui viendrait s'opposer à eux ? Tels sont aujourd'hui les problèmes essentiels qui se posent aux Etats-Unis s'ils veulent conserver leur primauté sur le monde »
« L'Eurasie demeure (…) l'échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale. ... La tâche la plus urgente consiste à veiller à ce qu'aucun Etat, ou regroupement d'Etats, n'ait les moyens de chasser les Etats-Unis d'Eurasie ou d'affaiblir leur rôle d'arbitre. » (Le Grand Echiquier, 1997)
« On dénombre environ 75% de la population mondiale en Eurasie, ainsi que la plus grande partie des richesses physiques, sous forme d'entreprises ou de gisements de matières premières….. Les trois quarts des ressources énergétiques connues y sont concentrées (…) L'Eurasie demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l'Amérique pourrait éventuellement apparaître. La longévité et la stabilité de la suprématie américaine sur le monde dépendront entièrement de la façon dont ils manipuleront ou sauront satisfaire les principaux acteurs géostratégiques présents sur l'échiquier eurasien » (Le Vrai Choix, 2004)5
Il me semble intéressant de citer cette personne, qui est actuellement conseiller au si sympathique Barack Obama, situé à l'autre bout du spectre politique états-unien. Cela montre comment l'élite américaine dans son ensemble raisonne pour maintenir son pouvoir sur le globe.
Le très bienvenu 11 septembre…
En 1997 est fondée la Think Tank "Projet pour un Nouveau Siècle Américain" qui reproche le manque de volontarisme de l'administration Clinton en matière de politique étrangère, et s'inquiète de la montée en puissance de rivaux potentiels, particulièrement la Chine.
Parmi les membres fondateurs se retrouvent ceux qui allaient diriger le pays quelques temps plus tard : Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle, Dick Cheney, Lewis Libby … Dans leur document "Rebuilding America's Defense, paru en 2000, on lit des propos aussi éclairant que ceux-ci:
« Les États-Unis sont l'unique superpuissance. Aucun rival global ne lui fait face. La stratégie fondamentale a pour but de préserver et d'étendre cette position avantageuse aussi loin que possible dans l'avenir »
« Notre premier objectif est de prévenir l'apparition d'un nouveau rival. C'est une considération dominante qui requiert que nous nous comportions pour prévenir qu'aucun pouvoir hostile de dominer la région dont les ressources seraient, sous un contrôle consolidé suffisantes pour générer une puissance globale »
« Le processus de transformation, même s'il apporte un changement révolutionnaire, sera probablement long en l'absence d'un événement catastrophique et catalyseur - comme un nouveau Pearl Harbor »
A quoi fait écho Donald Rumsfeld le 11 janvier 2001, 8 mois avant l'effondrement des tours :
« La question est de savoir si une attaque improbable contre notre pays et contre notre peuple sera l'événement qui réveillera la nation de son sommeil et incitera le gouvernement américain à l'action . »
Quel que soit ce qu'on pense de la réalité des attentats par ailleurs, le moins qu'on puisse dire, c'est que le 11 septembre va au-devant de leurs espérances.
Enfin, le 30 septembre 2001, le Département de la Défense américaine publiait son rapport quadriannuel, le Quadrennial Defense Review Report , dont il est raisonnable de penser qu'il n'a pas été écrit en 15 jours, même si il y est fait constamment référence au 11 septembre pour justifier les orientations annoncées :
« L'Asie émerge graduellement comme région susceptible de voir se développer une compétition militaire à large échelle… Les distances sont énormes sur le théâtre asiatique. La densité de bases US et d'infrastructure d'appui logistique y est plus faible que dans d'autres régions critiques. Les États Unis y a également moins de garanties d'accès à des facilités dans la région. Cela place en priorité la tâche d'assurer des garanties d'accès supplémentaires et des accords concernant l'infrastructure et de développer des systèmes pouvant soutenir des opérations de longue durée à des grandes distances avec un minimum de support local. »
Contrôler des ressources énergétiques, et imposition d'une présence militaire à long terme au centre de l'Asie, étendant en un point essentiel le réseau des bases militaires US : Voilà à quoi l'attaque et l'occupation de l'Afghanistan comme celle de l'Irak répondent exactement. La stupéfaction du monde après le 11 sept. à permis aux États-Unis d'avancer spectaculairement dans ces objectifs… La guerre à la terreur a concrètement permis une projection de la puissance US à un endroit hautement stratégique. Cela n'a rien à voir avec Ben Laden, 11/09, le terrorisme, Al-Qaida, …mais tout à voir avec ce que les stratèges US indiquent eux-mêmes noir sur blanc. Et ça au moins c'est un peu plus cohérent, raisonnable que d'aller bombarder un pays parmi les plus pauvres du Tiers-Monde pour " combattre la Terreur ".
Les Forces armées, garantes de la puissance économique
Cela n'a rien à voir non plus avec la méchanceté de l'impérialisme américain, ou le désir fou de puissance de quelques néos-cons fanatiques.
La dette des USA représente aujourd'hui 400% de leur PIB. Par une chance extraordinaire, les échanges internationaux sont libellés dans la monnaie nationale US. Autrement dit, les USA impriment le papier qui leur sert de moyen de paiement. Si ils n'avaient pas les moyens d'imposer cette situation, ils seraient tout simplement en situation de cessation de paiement. Ils ne pourrait y prétendre sans leur force militaire précisément. La politique impérialiste menée plus ouvertement depuis 2001 est une question de survie du système.
Donald Rumsfeld qui dit décidément des choses très justes, déclarait le 5 juin 2001 devant les troupes US stationnées au camp Bondsteel, Kosovo : « Combien devrions-nous dépenser pour les forces armées ? Mon opinion est qu'il ne s'agit pas de dépenses mais d'investissements. Vous ne tirez pas sur notre puissance économique, vous la préservez. Vous ne pesez pas sur notre économie, vous êtes le socle de sa croissance. »
L'Afghanistan, aucun intérêt économique ?
Un autre lieu commun, est que "les États-Unis ont abandonné la région à son sort après le départ des Soviétiques jusqu'en 2001 ". Ce n'est pas exactement le cas. En fait, les USA se sont tout de suite très fort intéressé à la région de la Caspienne et à ses grandes richesses énergétique, pétrole et gaz, richesses soudain "libérées" du communisme - et donc bradées au plus offrant, compagnies occidentales en tête. Le problème se pose assez rapidement de trouver le moyen de désenclaver ces ressources, tout en les préservant des puissances régionales "hostiles" (c'est-à-dire indépendantes des USA), particulièrement l'Iran. Vers l'Est et les marchés en pleine croissance de l'Inde et de la Chine, la seule route possible est de traverser l'Afghanistan.
En 1995, des accords de principe sont signés pour un gazoduc et un oléoduc entre le Turkménistan et le Pakistan d'une part, et la société US Unocal. Il reste juste un détail à régler : l'Afghanistan est alors en pleine guerre civile, dans laquelle l'avaient plongé les chefs de guerres fondamentalistes et obscurantistes qui avaient été lourdement armés et financés par l'Occident contre l'URSS. Ce sont eux qui soit dit en passant réinstaurent la charia en Afghanistan en 1992; les Talibans en tant que force militaire organisée n'existent pas à cette époque.
En 1994, apparaît un groupe jusque là inconnu, ouvertement soutenu par le Pakistan, et discrètement mais très efficacement par les USA, qui part du Sud et s'empare en octobre 1996 de Kaboul, et contrôle bientôt une grande partie du pays, semblant promettre une période de stabilité propice aux affaires d'Unocal.
Voilà ce que dit de cette période l'ex-responsable de la CIA pour l'Afghanistan pendant la guerre contre les Soviétiques : « Ces gars [les talibans] n'étaient pas les pires, des jeunes gens un peu fougueux, mais c'était mieux que la guerre civile. Ils contrôlaient tout le territoire entre le Pakistan et les champs de gaz du Turkménistan. Peut-être, pensions-nous, était-ce une bonne idée parce que nous pourrions ainsi construire un gazoduc à travers l'Afghanistan et amener le gaz et les sources d'énergie au nouveau marché. Donc, tout le monde était content. »6 Les Talibans de 1994 à 1997 sont un pion US dans la région. Comme en Arabie Saoudite, le fondamentalisme le plus obtus ne les incommode pas, du moment qu'il serve leurs intérêts.
Mais les Talibans n'arrivent pas à contrôler le pays; les chefs de guerres rivaux s'unissent contre les nouveaux venus, formant l'Alliance du Nord. Fin 1997, le vice-président d'Unocal déclare : « Nous ne savons pas quand ce projet commencera. Pour cela il faut que la paix règne en Afghanistan et qu'un gouvernement avec lequel nous pouvons travailler soit établi. Ce sera peut-être d'ici la fin de l'année, l'an prochain, ou dans trois ans. Ou encore tout peut tomber à l'eau si les combats se poursuivent »7.
C'est en 1998 qu'ont lieu les attentats de Nairobi et Dar-El Salam, et les bombardements de l'Afghanistan (et du Soudan), "en réaction". Ce qui c'est passé exactement, peut-être on le saura dans 50 ans. Toujours est-il qu'un tournant fondamental a eu lieu fin 97, et il est à peu près certain que les USA ont dû élaborer des plans dès cette époque pour remplacer leurs ex-protégés devenus obsolètes.
La guerre au "Pipeline de la Paix"
Parallèlement aux activités fébriles des Etats-Unis dans la région, l'Iran et le Pakistan entament dès 1994 des négociations pour l'ouverture d'un gazoduc qui exploiterait les immenses réserves de gaz de l'Iran, les 2e plus importantes réserves au monde.
En 1995, le gouvernement de Bill Clinton interdit aux sociétés américaines et à leurs filiales à l'étranger de commercer avec l'Iran, et de participer à l'exploitation de ses ressources. En 1996, le Congrès vote le Iran-Libya Sanctions Act, qui menace de sanctions les sociétés non-US qui investiraient en Iran. Ceci, allié aux perspectives alors radieuses du pipeline trans-afghan, a sans doute contribué à décourager le projet iranien.
En juillet 2000 s'ouvre des négociations tripartites pour réaliser un gazoduc allant de l'Iran à l'Inde : c'est le projet IPI (Iran – Pakistan – Inde), appelé également "Pipeline de la paix", car il apporterait la paix entre deux ennemis traditionnels sur base d'intérêts communs. On parlait en 2000 alors de finaliser le projet endéans les 3 ans8.
C'est le projet le plus logique, le plus économique, et le plus avantageux pour les trois parties; l'Inde en pleine croissance économique a un énorme besoin d'énergie, l'Iran échappe ainsi aux tentatives d'asphyxie par les sanctions d'inspiration US. Mais il entre en contradiction directe avec la stratégie des USA dans la région. La 'libération' de l'Afghanistan Enduring Freedom a permis de relancer la perspective du pipeline TAP (Turkmenistan – Afghanistan – Pakistan). Les Etats-Unis ont du exercer des pressions amicales9 ou moins amicales10, et en tout cas apparemment efficaces, pour que l'Inde abandonne le projet IPI au profit du projet TAP.
Le rôle de l'Otan en Afghanistan était la sécurisation du trajet. Mais malgré toute la bonne volonté des Sarkozy et De Crem, le pays reste incontrôlable, et le projet TAP semble en train de disparaître dans le bourbier où s'enfonce l'Otan.
Et ce 28 avril 2008, l'Inde l'Iran et le Pakistan sont arrivé à un accord historique, et ont officiellement relacé le projet IPI, dont la construction devrait commencer en 2009. C'est un revers majeur pour les USA et l'Otan.
Qu'est-ce que ça veut dire, " Guerre contre le Terrorisme " ?
« Comment livre-t-on une guerre contre un substantif abstrait ? Quand et comment sauront-ils qu'ils ont gagné ? Comment “le terrorisme” pourra-t-il capituler ? » se demande Terry Jones, ancien des Monty Python11, et ce non-sense met en lumière l'absurdité et la supercherie fondamentale de la chose. On ne peut tout bonnement pas gagner une guerre avec troupes chars et bombardiers "contre la terreur".
Bien sûr on est et on sera abreuvé de communiqués du genre que Al Qaida est presque vaincu, que le n°2, ou 3, ou 4 d'Al Qaida a été éliminé, etc, etc. Mais dans les faits, la nécessité de poursuivre la Guerre contre la Terreur et l'impossibilité de gagner permet de justifier une guerre sans fin, et l'extension sans fin de la puissance militaire US "partout ou les intérêts occidentaux sont en jeu". En fait, pour que cela fonctionne, la War on Terror doit impérativement être un échec constant.
Il n'existe pas de définition légale, universellement adoptée de 'terrorisme'; les Nations Unies ont échoué à se mettre d'accord sur ce terme. En bref, le terroriste c'est toujours l'autre. C'est terriblement pratique de faire une guerre à quelque chose d'aussi mal défini, car on y met exactement ce que l'on veut. Dans le même sac, Al Qaida et FARC, fanatisme religieux et mouvements de libération nationale.
En 2004 le Secrétaire Général des Nations Unies Koffi Annan avait proposé de définir le terrorisme comme étant « toute action […] qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d'un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d'intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s'en abstenir »
Il y a bien toute une série d'actions qui répond parfaitement à cette définition. Commençons par ce qui nous est enseigné religieusement dans nos écoles, que le largage de la bombe atomique sur Hiroshima aurait permis de faire capituler le gouvernement japonais - en clair, que le fait de passer par le feu, une population civile d'une grande ville, ses écoles, ses hôpitaux, les villages autour, et menacer de le faire encore et encore tant que le gouvernement ne capitule pas, on nous enseigne que c'est bien efficace.
Un autre exemple particulièrement instructif est celui du Nicaragua : c'est le seul cas où un pays – les États-unis- a été condamné par la cour Internationale de Justice de La Haye pour Terrorisme, en 1986, pour leur soutien à la Contra. Accorder à ce même pays la moindre légitimité à diriger une "Guerre au Terrorisme", vu de Managua, cela doit paraître assez drôle
Le concept même du Shock and Awe répond assez bien également à cette définition : par l'emploi d'armements très puissants, causer un choc et d'engendrer la terreur parmi les Irakiens pour qu'ils se rendent sans résistance. On pourrait encore citer le chef d'état-major belge pendant la guerre du Kosovo de 1999 qui déclarait « Peut-être devons-nous faire ressentir les bombardements en faisant mal à la population serbe elle-même. Infligeons-leur des pertes. Touchons-les dans leur confort. La plus grande catastrophe ne serait pas qu'il y ait des pertes de vies, mais que les opérations de l'Otan ne soient pas un succès. »
Mais il est vrai, les gens, ici en Europe par exemple, associent plus directement le terme "terrorisme" à une bombe explosant dans un cinéma, un lieu public, un avion… : comme par exemple en 1976, lorsqu'un agent de la CIA, Luis Posada Carriles, organise la pose de deux bombes dans un avion cubain. 73 morts. Plus tard, il organise la série d'explosions qui, en 1997, frappent les hôtels cubains. Un touriste italien y laissera la vie. Actuellement depuis 2007 il vit en liberté en Floride.
Autre exemple? Le New York Times rapportait en juin 2004, qu'Iyad Allaoui, alors nouveau Premier ministre irakien désigné par les États-Unis, avait eu recours à des actions terroristes au début des années 1990 pour tenter de renverser Saddam Hussein. En plus d'activités de sabotage, les hommes d'Allaoui se livraient à des attentats à la voiture piégée devant des objectifs civils. L'article évoque notamment une attaque contre un bus de ramassage scolaire et une bombe explosant dans un cinéma de Bagdad, faisant de nombreuses victimes. « La campagne d'attentats et de sabotage était plus un test qu'autre chose ; il devait faire ses preuves. »12
Dernier exemple édifiant que je citerai, parmi tant d'autres : en 2005, un article du Washington Post nous apprends qu'« avant que le guerre en Irak ne commence, la CIA a recruté et entraîné un groupe paramilitaire d'Irakiens, pour fomenter de la rébellion, faire du sabotage et aider les paramilitaires de la CIA qui sont entré à Bagdad et dans d'autres villes, à cibler les bâtiment et les individus (...) Après que Bagdad soit tombée, la CIA [les] a utilisé pour tenter d'infiltrer la résistance »13. Tâchons de nous en rappeler la prochaine fois qu'on nous dit qu'il faut quand même bien aider nos amis américains à combattre le terrorisme en Irak, ou ailleurs14.
Quel est le bilan concret de la War on Terror ?
Manifestement la "guerre au terrorisme est un échec… au moins en ce qui concerne son objectif affiché. Pas de capture de Ben Laden, pas d'arrêt des attentats dans le monde… Du point de vue de ses objectifs réels même si tout n'est pas idéal, cette guerre a quand même atteints certains objectifs.
Le premier résultat concret est tout d'abord de façon spectaculaire, la présence militaire US en Asie mineure, conçue pour durer. Une série de bases militaires se trouve désormais autour de l'Iran, aux portes de la Russie, dans l'ex-URSS, à la frontière ouest de la Chine. Le Gouvernement US pratique carrément du chantage pour imposer au gouvernement irakien une cinquantaine de bases permanente dans le pays15. Gageons que cela ne sera même pas nécessaire avec le gouvernement afghan.
Un deuxième résultat corollaire, est de réaffirmer la puissance brute du plus fort, les seconds n'ont plus qu'à s'aligner et collaborer pour garder une part du gâteau sur le dos du Tiers Monde. Il n'y a aucune raison d'obtempérer si les USA, et à leur suite tout l'Occident ne démontrent pas qu'ils peuvent écraser les résistances et les velléités d'indépendance. C'est il me semble en ce sens qu'on peut comprendre la phrase de De Hoop Scheffer "l'avenir de l'Otan est en jeu" en Afghanistan.
Cette Guerre au Terrorisme a permis une augmentation phénoménale des budgets militaires; le traité constitutionnel Européen 'simplifié' en passe d'être approuvé avec la démocratie que l'on sait, contient cette obligation d'accroissement des budgets militaires pour, bien sûr, la lutte contre le terrorisme.
Enfin, dans nos propres pays, pas seulement aux USA, elle a justifié une régression démocratique, avec amalgame et stigmatisation de militants démocratiques. La "Guerre au Terrorisme" est une formidable aubaine pour la Sécurité et les services de renseignement, le contrôle de l'opposition radicale – du moins tant le truc fonctionne.
Roland Marounek
pour Stop United States of Aggression
1. BBC, 18 septembre 2001 US 'planned attack on Taleban'
2. www.washingtonpost.com/wp-srv/politics/CIA18.html
3. www.wsws.org/articles/2001/oct2001/oman-o09.shtml
4. Site du FBI
5. cf l'analyse de Jean-Marie Chauvier, Les États-Unis à la conquête de l'Eurasie et du monde
6. Le Monde Diplomatique L'histoire secrète des négociations entre Washington et les talibans, janvier 2002
7.Peter Symonds, The Taliban, the US and the resources of Central Asia, 24 October 2001
8.Shamila N. Chaudhary Iran to India Natural Gas Pipeline: Implications for Conflict Resolution... , novembre 2000
9. On se souviendra des accords étonnement conciliant de l'administration Bush envers l'Inde en mars 2006 en matière nucléaire
10. "Quelques jours après que le ministre iranien de l'énergie soit arrivé à New Dehli pour discuter du futur du pipeline IPI, des terroristes au Pakistan ont fait sauter 2 pipeline gaziers, envoyant un message à toute les parties impliquées, que le pipeline de la paix pourrait bien être tout sauf pacifique", Institute for the Analysis of Global Security.
11. Terry Jones, "Ma Guerre contre la Guerre au Terrorisme", Flammarion, 2006
12. New-York Times, 9 juin 2004 Ex-C.I.A. Aides Say Iraq Leader Helped Agency in 90's Attacks
13. Washington Post, 3 juin 2005 Before the War, CIA Reportedly Trained a Team of Iraqis to Aid U.S (traduit sur StopUSA)
14. Voir également Seymour Hersh The Bush Administration steps up its secret moves against Iran, New-Yorker, juillet 2008 (traduit sur Question Critiques)
15. Patrick Cockburn, US issues threat to Iraq 's $50bn foreign reserves in military deal, The Independant 6 juin 2008