Roland Marounek
7 juillet 2008
« Il n'y a pas si longtemps encore, l'Afghanistan était le meilleur exemple de ce qu'il peut arriver lorsque la communauté internationale permet qu'un pays soit abandonné aux fondamentalistes et aux producteurs de drogues. Al-Qaïda y prospérait. »
La "communauté internationale" a plus fait un peu plus que "permettre" : D'une part, les fondamentalistes Rabbani, Heykmatyar et consort ont été financé à hauteur de milliards de dollars par ceux qui s'auto-proclament "la communauté internationale" (=les USA et alliés) pour détruire le régime progressiste des années 80. D'autre part les USA ont soutenus les Talibans mêmes de 1994 à 1997 dans l'espoir de mettre fin à la guerre civile dans laquelle leurs anciens alliés avaient plongé l'Afghanistan. Toute cette histoire est très connue, même un ministre des Affaires étrangères ne devrait pas l'ignorer.
"Abandonné aux producteurs de drogues"? C'est une affirmation très intéressante. La veille même de l'invasion "Enduring Freedom", le 6 octobre 2001 l'organisation Human Right Watch prévenait que l'Alliance du Nord, que les Etats-Unis s'apprêtaient à mettre au pouvoir, étaient devenue (déjà!) le principal producteur d'opium du pays. Après 7 années d'occupation par les forces Alliées, la production de drogue a littéralement explosé en Afghanistan. Un récent article du Figaro (Comment les marines ignorent le pavot afghan) racontait comment les militaires US toléraient la culture d'opium, en échange d'information sur les Taliban. Dès la première phrase nos ministres racontent vraiment n'importe quoi, c'est bien malheureux. Et le reste est à l'avenant.
« La situation de la population, au contraire, se dégradait. Les femmes subissaient le mépris, l'enseignement était considéré comme une menace, l'économie asphyxiée et les statues de bouddhas détruites. »
La Charia a été imposée en Afghanistan non pas par les Talibans, mais en 1992 par ceux là même que les USA ont remis au pouvoir en 2001. Jusqu'aujourd'hui, l'enseignement des femmes en dehors de Kaboul est largement virtuel dans la nouvelle République Islamique d'Afghanistan. En 7 ans d'occupation, la situation économique de la population ne s'est absolument pas améliorée. « Fouillant les poubelles, vendant les journaux aux feux rouges, mendiant à la porte des magasins et des restaurants, des milliers d'enfants travaillent dans les rues de Kaboul parfois dans des conditions dangereuses pour gagner un peu d'argent – souvent moins d'un dollars par jour - et apporter un soutien financier à leurs familles », indique un communiqué du Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) de décembre 2007.
« Le monde se réveilla brutalement à la suite des attentats du 11 septembre 2001. »
On n'a toujours pas bien expliqué en quoi des bombardements, invasion et occupation de l'Afghanistan "répondaient" aux attentats du 11 septembre, censés avoir été perpétré par 19 saoudiens porteurs de cutters et s'étant exercé aux USA mêmes. Pour attraper le planificateur désigné ? Mais il n'en est même plus question! Et après toutes ces destructions et massacres, ce sont des centaines de planificateurs de 11 septembre à venir qu'on a créé.
« [...] L'opération ISAF de l'Otan, elle-même mandatée par l'ONU, assure la protection militaire à cette reconstruction, en soutien des autorités afghanes. Depuis 2002, la Belgique participe à l'ISAF. Notre pays répond ainsi à la demande adressée par les Nations Unies à la communauté internationale de contribuer à la reconstruction l'Afghanistan. »
Nos ministres nous font avaler en douce l'illusion que l'ONU aurait donné mandat à l'OTAN pour l'action de guerre actuelle. En décembre 2001 la résolution 1386 établissait une force internationale pour "appuyer la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan en créant un environnement sécuritaire à Kaboul et ses environs"; Dans sa conception, l'ISAF est une force de "peace-keeping", au domaine d'action bien délimité, et qui n'a strictement rien à voir avec l'Otan. L'Otan a sans autre forme de procès pris le contrôle de l'ISAF en août 2003 ; et en 2005, les USA implémentent leur plan de "responsabilité égale", qui prévoit que l'ISAF prenne également part aux opérations de guerre contre l'insurrection. Il n'est pas question de caution des Nations-Unies dans ce glissement d'une opération de maintien de la paix en force supplétive de la guerre d'invasion Enduring Freedom. C'est juste un coup de force. On se pare de la légitimité des Nations Unies de manière usurpé.
« [...] Si ces dernières années la Belgique a fort heureusement été épargnée d'attentats terroristes, ce ne fut pas le cas d'autres pays, qui en ont été victimes. Ce n'est pas parce qu'aucun attentat n'a été commis sur le territoire belge que nous pouvons fermer les yeux sur notre propre vulnérabilité. »
Eh, quoi, l'opération 'Enduring Freedom' n'aurait donc pas été un succès ? Après combien de bombes lâchées de nos F-16 ou d'autres, après combien d'années d'occupation de l'Afghanistan ( et de l'Irak, etc) après combien "dommages collatéraux", va-t-on enfin pouvoir dire que "l'opération" a réussi, "les attentats terroristes" ont bien été aplatis sous nos bombes, le Terrorisme est vaincu et a capitulé ? Ou alors plutôt c'est une guerre sans fin qu'on est en train de nous servir, l'extase ultime des militaires et des marchands de canon, nous promettant toujours d'avantage d'argent englouti dans "la défense"?
« [...] Même si les défis restent énormes, des progrès ont été accomplis. Aujourd'hui, 80 % des Afghans ont accès aux soins de santé, alors que ce chiffre était de 8 % sous les talibans. Le taux de mortalité infantile a baissé de 25 %. Le produit national brut a doublé. Quatre millions de réfugiés afghans sont rentrés dans leur pays. Cinq millions d'enfants afghans vont à l'école, dont 38 % de filles. En 2007, 70 % de tous les incidents de sécurité se limitaient aux districts n'abritant pas plus de 6 % de la population. »
MM De Gucht et De Crem copient directement les chiffres fournis par le service de relation publique de l'Otan et ceux de USINFO. Ces chiffres sont complètement fantaisistes. Comment peut-on affirmer que 80% des Afghans ont accès aux soins de santé, alors que seul 30% du territoire est contrôlé par le gouvernement? (selon le chef même du Renseignement américain en mars dernier!) Si on regarde des sources un peu moins partisanes que celles des militaires de l'Otan, c'est une toute autre réalité qui se dessine
L’Afghanistan affiche le deuxième taux de mortalité le plus élevé du monde chez les nourrissons, après la Sierra Leone, avec 165 décès pour 1 000 naissances vivantes, selon un rapport de l’UNICEF de juin dernier. Dans le cadre d’une étude réalisée à partir d’entretiens avec 2 250 enfants, plus de 42 pour cent d’entre eux ont également déclaré ne pas avoir accès aux services de santé les plus essentiels, selon un rapport publié en avril par la Commission indépendante afghane de défense des droits humains (CIADDH). Selon un récent rapport d'Oxfam, seulement 1 fille sur 5 fréquente l'école primaire, et 1 sur 20 le secondaire. Les 38% claironnés donneraient après un très rapide calcul : 3 garçons sur 10 et 3 sur 40 dans l'enseignement primaire et secondaire respectivement. Quel action efficace! Quel progrès spectaculaire!
Dans les 4 millions de réfugiés qui s'entassent dans la misère des grandes villes, De Gucht compte-t-il ceux que son service cherche à renvoyer de Belgique vers le paradis décrit?
Quant au PNB qui aurait doublé, cela ressemble une moquerie cynique : Selon le FMI même, qui n'est pourtant pas une source particulièrement opposée aux intérêts occidentaux, "si l’on exclut la drogue du calcul, le PNB a progressé de 6,1 % au cours de l’année dernière".
Bref tous les chiffres sont faux. On n'ose pas imaginer que des ministres qui ont à prendre des décisions sur l'envoi de troupes et de matériel militaire, soient à ce point mal informés. Leur plaidoyer est une opération de désinformation pure et simple.
« [...] Cependant, les défis posés par la reconstruction de l'Afghanistan restent immenses. Les problèmes liés au trafic de drogue ainsi qu'à la corruption sont encore infinis. Faire face à ces problèmes est un pas crucial dans la bonne direction. Malheureusement, c'est en 2007 que l'on déplora le plus grand nombre de victimes militaires. En outre, dans de nombreux endroits, le droit islamique (la sharia) est encore appliqué. »
A nouveau, nos Dupont-Dupond de la politique extérieure ignorent sans doute que les personnes remises au pouvoir en 2001 par les Alliés sont ceux là même qui avaient réinstauré la Charia en 1992, que l’article 3 de la récente Constitution de la République Islamique d'Afghanistan stipule qu’aucune loi ne peut être opposée à la Charia. C'est ainsi qu'un journaliste de 23 ans, a été condamné à la peine de mort, le 22 janvier 2008, à l'issue d'un procès à huis clos et sans avocat pour avoir repris sur un site Internet iranien des articles reprenant les sourates du Coran défendant les femmes. Pour sa défense il ne peut pas simplement dire "oui, et alors?", il doit encore prouver qu'il est "innocent" du crime de blasphème, et on implore Karzaï qu'il veuille bien "accorder sa grâce" à ce criminel.
« [...] Certains, en Belgique, remettent en question l'utilité de l'ISAF. 70 % des Afghans ne partagent pas cette opinion ; au contraire, ils appuient la présence internationale dans leur pays. »
Quel sondage? Quel crédibilité? Dans quelles partie contrôlée du pays pourrait-on faire pareil sondage avec des résultats scientifiquement valables ? Au contraire on a pu avoir de plus en plus d'échos de manifestations d'Afghans réclamant le départ des troupes d'occupation. Quel peuple désire être occupé? Le temps des colonies est passé depuis un certain temps, le ministre De Gucht semble décidément avoir quelque peine à intégrer ce fait.
« [...] Nos F-16 feront-ils des victimes civiles ? Il ne faut pas se méprendre, ce sont les attentats terroristes qui sont à l'origine du plus grand nombre de victimes civiles. Toutes précautions possibles sont prises pour assurer au maximum la sécurité des citoyens afghans. Dans plus de 90 % des cas, les F-16 néerlandais n'ont eu qu'à montrer leur présence. »
Il est très certain que les chiffres des militaires sont... très militaires. "La première victime de la guerre, c'est la vérité". On le voit encore avec cette "opération" du 4 juillet, à peine rapportée par les agences de presse, où des civils qui fuyaient ont été bombardés; les militaires affirment imperturbables qu'il s'agissait de talibans, et ils continueront de l'affirmer tant qu'il n'y a pas de preuves non contestables. Et comme les journalistes ne sont pas autorisés à aller voir, et comme les embedded se contentent de lire les communiqués militaires, les chiffres évoqueront longtemps impunément les centaines de Talibans mort dans des frappes de précision.
Exemple : Lors d'une offensive de l'Otan en septembre 2006, où l'Alliance s'était enorgueillie de la mort de 200 Talibans, une dépêche apprenait qu'il avait été ordonné aux gens de quitter la région à bombarder et averti que quiconque errait hors de la route principale serait considéré comme Taliban. « Au moment où je partais, j'ai vu deux femmes et un homme avec son enfant qui ont été fauchés par des roquettes » déclarait un de ces réfugiés. Faisaient-ils partie des 200 Talibans ?
Quant aux "attentats terroristes" dont parlent nos ministres, en Afghanistan ils visent en priorité les militaires des forces d'occupation et les militaires afghans "collaborant" : La question à se poser est alors pourquoi faut-il que ces militaires se trouvent-ils au milieu de civils ? En d'autres circonstances, on parlerait de prendre la population en otage.
« [...] L'Otan a défini très clairement sa "stratégie du succès". Le but est d'édifier et de construire un état de droit afghan indépendant et durable auquel la communauté internationale pourra transférer les responsabilités. La réalisation de cet objectif prendra encore du temps. [...] La Belgique veut assumer ses responsabilités pour la défense de la paix, de la sécurité, de la démocratie et des droits de l'Homme dans le monde entier, dans notre intérêt à tous. »
L'Afghanistan a-t'il vraiment besoin de la compassion et de l'aide occidentale, de la part de pays qui il y a très peu de temps (France et Grande-Bretagne en tête) étaient des puissances coloniales? La prétention coloniale de l'Occident (la "Communauté Internationale" !) d'édifier et de construire des états de droit en Afghanistan ou ailleurs, prend une sinistre allure lorsqu'on la confronte à son histoire très récente, et dans le cas particulier de l'Afghanistan, aux efforts gigantesques apportés pour détruire des forces progressistes et mettre en avant les fondamentalistes les plus rétrogrades. Des milliars de dollars, de l'armement sophistiqué, ont été versés aux chefs de guerre, criminels et actuels terroristes (autrefois baptisés "combattants de la liberté"). De quelle légitimité l'Occident, les pays de l'Otan, peuvent-ils se prévaloir pour ce qui est d'aider le peuple afghan, et tous ceux de la région ?