Roland Marounek
24 mars 2009
La création de l'Alliance Atlantique, en contradiction avec la Charte des Nations Unies.
Beaucoup estiment que l’Otan aurait logiquement dû disparaître lors de la dissolution du Pacte de Varsovie. Le fait qu’il n’en a rien été, et qu’au contraire un rôle plus ouvertement agressif lui a été confié (agression de la Yougoslavie, déploiement hors zone, soutien direct à la ‘guerre à la Terreur’), devrait plutôt amener à se questionner sur la validité même des justifications de son existence avant 1991. De fait ces 40 premières années sont rarement mises en question, la menace que représentait le Pacte de Varsovie étant en quelque sorte passivement admise comme fait acquis.
Ainsi dans son récent document consacré à l'Otan1, la CNAPD pose la question de la légitimité, aujourd'hui, de l'Alliance atlantique en ces termes : « L'existence même d'une alliance comme l'Otan aujourd'hui ne sape-t-elle pas la tentative d'un ordre mondial réellement multilatéral sous égide de l'ONU ? ». En fait c'est dès sa création en 1949 que l'existence de l’Otan sapait cet ordre multilatéral onusien.
Un premier élément qui est généralement oublié, est que le dit Pacte de Varsovie a été créé plus de cinq ans après l’Otan, le 14 mai 1955 ; ce seul fait donne un éclairage singulier à l’argument usuel, selon lequel l’Otan était une réaction face à la menace du Pacte de Varsovie. De façon factuelle, la situation est juste inverse : le Pacte de Varsovie est une réaction à l'intégration dans l’Otan de l’Allemagne de l’Ouest ; la perspective du réarmement de ce pays à l’origine de la seconde guerre mondiale, au sein d’une alliance qui reprenait exactement le discours fasciste sur le péril communiste, était, de fait, une menace réelle.
La Charte des Nations-Unies, ratifiée en novembre 1945, énonce de façon précise les obligations qui incombent aux Nations membres pour écarter la guerre, et explicite en particulier l’obligation qu’ils ont d’unir les forces pour maintenir la paix et de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix. Le Nations-Unies ont pour but de « .…réaliser, par des moyens pacifiques (…) le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ; développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes… »
Quel pouvait bien être le sens d’une alliance militaire isolant 12 pays si l’ensemble des pays sont sincèrement résolus à unir leurs forces pour maintenir la paix ?
Moins de trois ans après la signature de la Charte des Nations-Unies, les principaux empires coloniaux (France, Grande-Bretagne, Pays-Bas) plus la Belgique et le Luxembourg concluaient le Pacte de Bruxelles, qui allait être le noyau de l’Otan un an plus tard. La création d’un pacte militaire entre quelques superpuissances vidait de leur sens.les principes et obligations exprimés dans Charte. La prétendue nécessité de se protéger (et avec les armes offensives que l’on sait) dans un club de pays surarmés, revenait à affirmer que ces principes étaient pour eux lettre morte.
1948 : Qui devait avoir peur de qui ?
«Savez-vous quelle est la base de notre politique ? C'est la peur. La peur de vous, la peur de votre Gouvernement, la peur de votre politique.»
En septembre 1948, Paul-Henri Spaak lance à la tribune des Nations Unies son fameux discours « nous avons peur », considéré en quelque sorte comme l’acte de foi justifiant la création de l’Otan un an plus tard. Le chef de la diplomatie belge défendait en fait le Pacte de Bruxelles conclu quelques mois plus tôt.
Dans son discours, Spaak fait inévitablement référence aux idéaux du Monde libre, aux valeurs de la civilisation occidentale et démocratique face au totalitarisme. Il est frappant de constater que, en substituant ‘terrorisme’ à ‘totalitarisme’, ce discours n’a pas trop vieilli …
En 1948, les USA étaient encore les seuls détenteurs de l’arme atomique ; ils venaient de commettre les crimes de Hiroshima et Nagasaki, et ceux de Dresde notamment, non pas pour soumettre des nations déjà sur la voie de la capitulation, mais en réalité à l’adresse directe de l’Union Soviétique : littéralement, des actes de terreur. En Corée, ils avaient remplacé l’occupant japonais ; ils allaient bientôt y mener la guerre atroce que l’on sait. L’Empire Hollandais perpétuait ses massacres en Indonésie dans sa tentative désespérée de repousser l’indépendance. La France menait depuis 1946 sa guerre contre les nationalistes en Indochine, qui devait durer jusqu’en 1954. La "pacification" à Madagascar avait fait 89 000 morts en 1947... On pourrait continuer ainsi longuement. En ce qui concerne la Belgique, les Congolais devaient également avoir une vision assez particulière des idéaux du monde libre. Dans le même ordre d’idée, il est intéressant de rappeler que le Portugal de Salazar faisait partie des membres fondateurs de cette ‘union du Monde Libre’, qui avaient tellement peur.
« Ce régime [la démocratie libérale occidentale] a d'immenses avantages : (…) Il répudie l'emploi de la force et l'emploi de la violence. Il fait confiance au bon sens et à la sagesse de l'homme » (extrait du discours de Spaak). Il n’est pas certain que le reste du monde ait la mémoire aussi courte.
Défense de la liberté ? Démocratie ? Quelle tartufferie évidente, avec le recul, pour ces Empires coloniaux occupés à tenter de préserver leurs intérêts dans le sang. Et aujourd’hui ces mêmes puissances justifient souvent leur alliance militaire par la nécessité de faire respecter les droits de l’homme dans les pays qui avaient déjà si bien bénéficié de leur sollicitude dans le passé.
La Colonie avait été un élément indispensable à la prospérité de l’Europe occidentale. Et, quoi que l’on pense du ‘régime communiste’, l’Union Soviétique a été indéniablement (et dès sa création) non seulement un des plus actifs défenseurs de l’émancipation des peuples, et un acteur essentiel de la lutte anti-coloniale, mais aussi pour des millions de personnes à travers tout le Tiers Monde, un exemple concret d'un pays sortant du sous-développement en quelques décennies, et par ses propres moyens.
De ce point de vue, il y avait effectivement de quoi être effrayé.
Nos valeurs, - et nos ressources.
« Nous avons à peu près 60 % de la richesse du monde mais seulement 6,3 % de sa population. Dans cette situation, nous ne pouvons éviter d'être un objet d'envie et de ressentiment. Notre véritable tâche dans la période qui vient est d'imaginer un système de relations qui nous assure de maintenir cette disparité. »
George Kennan, ex-responsable de la planification politique du département d'Etat US, février 1948« Il est indispensable que l'OTAN définisse ce qu'elle peut apporter de plus au niveau de la protection des infrastructures essentielles ou de la sécurisation des goulets d'étranglement par lesquels passent les flux d'approvisionnement. Je pense d'ailleurs que l'OTAN a d'ores et déjà des moyens qui peuvent apporter une contribution majeure dans ce domaine. »
Jaap de Hoop Scheffer, mars 2009
La désintégration du camps soviétique en 1991 a permis une politique de reconquête du monde de nature coloniale. La première guerre du Golfe a marqué le coup d’envoi. Les multinationales occidentales ont bien digéré l’Europe de l’Est, et les récalcitrants tels la Yougoslavie, ont été mis au pas comme il fallait.
La présence de l’Otan en Asie Centrale, et son ambition de plus en plus affichée de se projeter au besoin partout dans le monde pour sécuriser les sources d’approvisionnement, sont la continuation d’une même vieille politique.
La perte d’un épouvantail a nécessité la confection d’un autre ; le ‘terrorisme’ semble être un excellent choix, qui n’a pas à craindre de disparition prématurée.
L’Otan n’a pas disparu en 1991 : sa raison d’être aujourd’hui, est la même qu’en 1949.
1. « L’Otan, du bouclier à l’épée », Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD), www.cnapd.be/uploads/pdf/200901/brochure%20plaidoyer%20OTAN.pdf