Pieter Terlinck
5 avril 2009
Comme on s'y attendait, une seule image a fait le tour du monde, celle de violents affrontements et d'incendies de bâtiments. Les milliers de manifestants, venant de dizaines de pays différents, avec un message urgent aux chefs de gouvernements, ne sont pas apparus sur les petits écrans. On ne peut pas en dire autant de ces mêmes chefs de gouvernements qui ont flâné agréablement sur le Pont de l'Europe, dans le vacarme des avions de combat français qui envoyaient des gaz tricolores dans le ciel.
Une propagande bien réfléchie, mais à quel prix ? Cela aura au moins coûté 150 millions de dollars aux contribuables français, rien que pour l'organisation des services de sécurité. Mais cela a aussi coûté très cher aux principes démocratiques de base. L'OTAN va défendre les valeurs occidentales dans le reste du monde, mais celles-ci sont jetées aux orties dans les propres pays de l'Alliance.
Depuis des mois, il y a des négociations entre le Comité organisateur du mouvement de la paix et les autorités françaises. Ces dernières ont refusé catégoriquement le passage de la manifestation dans Strasbourg. Cela a semblé étrange aux manifestants belges, alors que tous les mois il y a un sommet important à Bruxelles ! Donc, si on voulait manifester, ce serait en dehors de la ville. Finalement, on est tombé d'accord pour une manifestation sur les bords du Rhin, au Pont de l'Europe. Un itinéraire a été fixé, entièrement en dehors de la vieille ville. La route autorisée se situe dans le zoning industriel et sur une île sur le Rhin. Une route parfaite pour ne pas être entendus et pour ne pas gêner... mais une route quand même.
Mais, le jour même de la manifestation, les autorités françaises ont mis un nouveau hola... L'île est accessible via deux ponts du côté français et un pont du côté allemand. Le pont sur lequel tous les manifestants du côté français voulaient se rendre fut fermé dès le matin (afin de permettre de prendre la photo légendaire de Obama sur le Pont de l'Europe). Conséquence: un premier affrontement entre policiers et manifestants.
Nous nous sommes donc efforcés de prendre la route vers le 2ème pont, ce qui obligeait de se promener une heure de plus. (ndlt: il parle du groupe des Belges qui tentaient de rejoindre le point de rassemblement). Une fois arrivés, nous rencontrons environ deux mille manifestants en train d'attendre près du podium, dans le vacarme des hélicoptères volant à très basse altitude, que les autorités françaises ouvrent le Pont pour laisser arriver tous les manifestants. Tout cela dure une heure de plus... c'est alors que des centaines de personnes masquées avancent vers le pont de l'Europe, manifestement pour en découdre. Du côté allemand du Pont de l'Europe, sept mille manifestants attendent également de pouvoir rejoindre les manifestants du côté français. La police allemande ne les laisse pas passer non plus.
Un premier bâtiment est alors incendié (un ancien bâtiment de la douane). Plusieurs camions des services de pompiers sont à proximité. Mais étrangement, ils n'interviennent pas. La police d'ailleurs non plus. On met également le feu à une pharmacie et à un hôtel Ibis. Toujours pas de réactions de la police. Bizarre, bizarre...
Des milliers de manifestants finissent par se retrouver dans des petites rues, rejoints par ceux qui ont du évacuer le terrain du podium (ndlt: ce terrain a dû être évacué à cause des fumées lacrymogènes lancées par les forces de l'ordre). Tous se retrouvent dans des rues, de plus en plus étroites du vieux quartier industriel. De nouveaux incendies et destructions de bâtiments ont lieu. Comme il fallait s'y attendre, la manifestation est cassée par un barrage de police, tandis que des groupes masqués bloquent l'autre issue en poussant des vieux wagons au milieu du chemin. Les manifestants sont acculés devant un talus de chemin de fer: d'un côté les policiers et les fumigènes et, de l'autre, quelques centaines de types masqués lançant des pierres. Gaz lacrymogènes, charges de police, pluie de pierres, des milliers de gens paniqués ballottés de gauche à droite, et de grosses destructions de bâtiments.
Un spectacle totalement absurde et lamentable et vraisemblablement bien orchestré par les forces de sécurité françaises qui étaient présentes en masse, avec 4 hélicoptères survolant la manifestation. Des mois de préparation et des milliers de forces de police n'ont donc pas suffi pour prévenir ce genre d'événement? Il faut en conclure que, soit les autorités françaises sont totalement incompétentes, soit elles ont monté de toutes pièces ce spectacle apocalyptique avec les manifestants en figurants involontaires.
A court terme, le Président français Sarkozy a bien réussi son coup: le mouvement anti-Otan a été criminalisé avec succès. Mais la population de Strasbourg a quand même vu quelque chose de plus: des milliers de manifestants parcourant étrangement des rues désertes avec des drapeaux colorés et des revendications très nettes envers les gouvernements. Des manifestants de tout âge et de toutes couleurs qui se sont donné énormément de peine pour arriver jusqu'à Strasbourg, après des heures d'attente sur les routes, des contrôles policiers exaspérants, des barrages et des détournements incalculables.
Certains seront effrayés après cet après-midi agitée et ne voudront plus participer à de semblables manifestations. Mais pour beaucoup d'autres manifestants, l'Otan n'est plus une abstraction, elle a tombé le masque, en même temps que celui de nos gouvernements qui donnent sans cesse plus de moyens militaires et financiers à Pieter Terlinck cette institution. Nos gouvernements orchestrent des guerres sans notre consentement et contrairement à la légalité, mais en plus, ils veulent criminaliser la population qui émet des critiques. Combien de temps nos sociétés vont-elles encore tenir sans dégénérer vers des états policiers totalitaires, ou se transformer?
Ce n'est vraiment pas trop de demander: 60 ans d'Otan, çà suffit!