Roland Marounek
5 octobre 2009
La ministre de la défense belge Pieter De Crem a créé un certain émoi au sein de l'armée en annonçant un effort d'austérité sans précédent pour son département, qui devrait atteindre les 97 millions d'euros, près de 4% de son budget annuel. Suffisamment pour que le chef de la Défense le Général Delcour fasse mine de menacer de s'opposer au dada de De Crem, les opérations à l'étranger dans le cadre de l'Otan
Il ne s'agit pas ici d'une victoire du camp pour la paix : Le sens de ces économies opportunes en temps de crise budgétaire va très exactement dans le sens des directives de l'Otan, qui fait pression sur les Alliés pour que leurs forces armées réduisent au maximum les frais de fonctionnement administratifs internes et se muent en forces de réaction prêtes à intervenir à n'importe quel endroit du monde.
Pour qu'il n'y ait aucun malentendu, De Crem précisait bien que « ensemble au sein de la Défense, il faudra mener cela [l'effort budgétaire] à terme pour arriver à l'équilibre en maintenant les opérations" à l'étranger […] Les opérations à l'étranger sont devenues le "core business" de l'armée belge au 21ème siècle, qui lui apportent sa plus value » (Belga, 16 sept.). Les économies annoncées visent à transformer l'armée belge en une armée offensive aux normes de l'Otan.
La défense belge n'a rien à faire en Afghanistan.
Combien coûte à la population belge cette guerre et occupation en Afghanistan ? Les chiffres exacts ne sont même pas connus de la commission parlementaire de la Défense, et ils sont d'autant plus flous qu'une partie passe sous couvert d'aide au développement1.
Sur le plan strictement factuel, prétendre aujourd'hui que la guerre que subit depuis huit ans l'Afghanistan ait apporté un bien-être quelconque à sa population est une moquerie tragique. Au fil de reportages de moins en moins complaisants, on finit par apprendre ce qu'il y a réellement derrière même les plus beaux fleurons de la propagande, tels que les promesses de reconstruction d'écoles ou d'hôpitaux. Gabegie de myriades d'«ONG», corruption, financement de chefs de guerre alliés, et enfoncement parallèle de la grande majorité du peuple dans la misère.
L'autre versant de la propagande officielle consiste à marteler que "l'Otan défend en Afghanistan le monde libre contre le terrorisme". Sans épiloguer longuement sur la singularité des attentats du 11 septembre 2001, on n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi le bombardement et l'occupation permanente d'un pays "détruirait" le terrorisme, plutôt que l'alimenter. Au fur et à mesure que l'Otan s'enfonce dans un bourbier sanglant, il ne reste qu'à "espérer" que les forces occidentales puissent garder indéfiniment leur suprématie littéralement écrasante pour retarder le retour du bâton des peuples qu'elle soumet aujourd'hui par la guerre.
Huit ans après l'effondrement des tours (à New York, pas à Bagdad) la lutte-qui-ne-finit-jamais contre l'Hydre mythique 'al-Qaida' finit par apparaître pour ce qu'elle est : une fantaisie destinée à masquer des objectifs exprimés bien avant 2001 par des stratèges et think tanks US : imposer une présence militaire US au centre de l'Eurasie pour tenter d'empêcher l'émergence de la Russie ou de la Chine et la perte de la suprématie états-unienne sur le monde.
« Comment en particulier prévenir l'émergence d'une puissance eurasienne dominante qui viendrait s'opposer à eux ? Tels sont aujourd'hui les problèmes essentiels qui se posent aux Etats-Unis s'ils veulent conserver leur primauté sur le monde »
« L'Eurasie demeure (…) l'échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale. ... La tâche la plus urgente consiste à veiller à ce qu'aucun Etat, ou regroupement d'Etats, n'ait les moyens de chasser les Etats-Unis d'Eurasie ou d'affaiblir leur rôle d'arbitre. » (Brzezinski, Le Grand Echiquier, 1997)
C'est cela qui est en jeu avec l'Afghanistan – et avec l'Irak, et avec l'Iran… : les intérêts économiques et stratégiques, pas le "terrorisme", ou les "droits de l'homme", la démocratie ou autres créations des spins doctors qui servent à vendre leurs guerres.
La Défense belge en se muant en force supplétive à des ambitions géostratégiques qui ne sont pas les nôtres trahit ce qui devrait être sa mission, inscrite dans son nom. Nous devons sortir de l'Afghanistan.
1. Cf. par ex. cerclejeanrey.be