Lt Col. Michael J. Byrne, Com. Douglas L. Edson, Lt Col Andrea L. Hlosek
27 janvier 2010
Imaginez une opération militaire où les forces aériennes italiennes, sous pavillon Otan, utiliseraient leurs avions de combat à double-usage pour charger et lancer des bombes nucléaires tactiques américaines, en défense d'un pays membre de l'Alliance Atlantique. Non, vous ne pouvez probablement pas l'imaginer, et les planificateurs de l'Otan non plus. Ce genre de scénario a pu être plausible en 1980, mais il n'est pas pertinent 30 ans plus tard. Alors pourquoi est-ce que les États-Unis continuent d'entreposer des armes nucléaires tactiques sur le sol européen ? Pourquoi est-ce que l'Otan continue à maintenir son architecture nucléaire qui date de la Guerre Froide , pourquoi continue-t-elle à maintenir des politiques archaïques?
L'Otan devrait à présent uniquement tirer profit des récents développement du Traité sur la réduction des armes stratégiques (START), et revoir complètement sa propre politique nucléaire en retirant les armes nucléaires tactiques du sol européen, en adoptant une posture "nuclear weapons-free" [exempt d'armes nucléaires], et en se transformant en leader mondial de la non-prolifération et du désarmement nucléaire. Depuis la chute du mur de Berlin, l'Otan s'est battue pour conserver sa raison d'être dans l'environnement géostratégique changeant du XXIe siècle. Dans le cadre qui avait établi l'Alliance en 1949, l 'Otan a travaillé dur pour demeurer la première organisation mondiale de stabilisation et de sécurité : elle a accueilli les pays de l'ancien Pacte de Varsovie, elle a transformé quasi toutes ses organisations militaire pour répondre en temps de paix aux nouvelles menaces de l'ère post-Guerre Froide, et elle a étendu la capacité de ses missions en menant des opérations "hors-zone", dans des parties du monde qui n'avaient jamais été envisagées par ses fondateurs. Et pourtant, le chapitre des armes nucléaires reste inchangé par rapport aux politiques et procédures de la guerre froide.
La position actuelle de l'Otan sur les force nucléaires
En 1949, l'Otan a été créé dans le but d'être une sécurité collective pour lutter contre l'agression soviétique en Europe. En vertu de l'article V de la Charte de l'Otan, chaque membre de l'Alliance s'est engagé à partager les risques et responsabilités en même temps qu'il bénéficiait des avantages de la sécurité collective, y compris la dissuasion nucléaire. En tant que seule puissance nucléaire dans les premiers jours de l'Alliance, les États-Unis ont offert à l'Europe occidentale cette dissuasion nucléaire alors que la menace soviétique augmentait. Afin de dissuader les alliés de développer leurs propres programmes d'armement nucléaire, et d'assurer aux membres de l'Otan qu'ils étaient protégés par le parapluie nucléaire américain, les États-Unis ont lancé le programme de «partage du nucléaire» de l'Otan, qui a conduit au déploiement d'armes nucléaires tactiques sur le sol européen.
Depuis lors, les armes nucléaires américaines en Europe ont été étiquetées « lien politique et militaire essentiel entre les membres européens et nord-américains de l'Alliance . »
Le concept de partage du nucléaire qui a entraîné le déploiement d'armes nucléaires tactiques américaines sur le territoire des pays européens a été le résultat de plus d'une décennie d'accords secrets sur le nucléaire négociés entre les États-Unis et chaque pays de l'Otan. Ces accords nucléaires de l'Otan consistent généralement à la possibilité de stocker des armes nucléaires américaines dans des installations nationales des pays hôtes, et/ou à l'intégration de ces armes dans les plates-formes de lancement du pays hôte, tels les avions dits à "double-usage", c'est-à-dire pouvant porter des bombes conventionnelles et nucléaires.
Dans la dernière décennie, la discussion et la politique de l'Otan sur le sujet du partage nucléaire sont passés de l'emploi opérationnel en vertu de l'article V, à une discussion de nature politique. Les politiques nucléaires de l'Otan aujourd'hui, sont considérés par certains comme un pilier des relations de sécurité transatlantiques, et pourtant il n'y a pas eu de débat sérieux au sein de l'Alliance sur le rôle des armes nucléaires depuis 20 ans. L'actuel Concept Stratégique de l'Otan, rédigé en 1999, presque 10 ans après la fin de la guerre froide, précise que « l'Otan maintiendra, au niveau minimum compatible avec l'environnement de sécurité existant, des forces substratégiques adéquates basées en Europe, qui assureront une liaison essentielle avec les forces nucléaires stratégiques, renforçant ainsi le lien transatlantique . »(5) Bien que la raison d'être fondamentale de l'Otan - défendre les membres de l'agression soviétique - se soit évaporée, l'Otan a maintenu ses programmes d'armes nucléaires depuis la fin de la guerre froide.
Pourquoi l'Otan devrait être une organisation sans armes nucléaires
A l'aube des années 2010, alors que l'Otan s'engage dans le projet d'un nouveau Concept Stratégique, le véritable pilier de la défense collective, c'est la garantie de sécurité collective, claire et incontestée, énoncée dans l'article V, et non un programme d'armes nucléaires tactiques qui est le reflet d'une époque révolue, centrée sur la dissuasion contre une Union Soviétique hautement militarisée qui n'existe plus. La Russie , quels que soient ses défauts, ses luttes politiques et ses crises d'identité, n'est pas l'Union soviétique. Elle a abandonné l'idéologie communiste, a adopté une économie de marché libre (même si elle est sans doute imparfaite), a réduit son personnel militaire de plus de 75% et son budget militaire est passé de plus de 15% à environ 2,5% du PIB. Lors d'un récent Séminaire sur le Concept Stratégique de l'Otan, la Secrétaire d'État Clinton a déclaré: « La Russie doit relever des défis à sa sécurité, mais l'Otan n'est pas l'un d'entre eux. Nous voulons une relation de coopération Otan-Russie qui produise des résultats concrets et amène l'Otan et la Russie à se rapprocher . » Ce changement fondamental dans l'environnement stratégique européen soulève la question de savoir pourquoi l'Otan continue à maintenir une politique qui est clairement un vestige de la guerre froide.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la transformer en une organisation sans armes nucléaires a du sens pour l'Otan.
Les arguments en défaveur du retrait des armes nucléaires
L'argument le plus fréquemment avancé contre la suppression des armes nucléaires tactiques en Europe est que la perte des ces armes dans la composition des forces de l'Otan émousserait de manière significative les capacités de dissuasion de l'Alliance. Ce sentiment trouve un écho particulier chez certains des plus récents membres de l'Otan, qui continuent à considérer la Russie comme une menace à leur sécurité nationale. Avec les capacités conventionnelles des États-Unis étirées jusqu'à leurs limites par deux guerres régionales, argumentent-ils, une dissuasion crédible à une potentielle agression russe ne peut être obtenue que par la menace d'une riposte nucléaire. Ils soulignent que la présence d'armes nucléaires tactiques sur le continent et leur intégration dans la structure des forces de l'Otan donne une preuve tangible de l'engagement de l'Alliance à la sécurité mutuelle. En corollaire, ces pays avancent que, dans le but de garder le soutien du public pour les contributions nationales aux opérations hors zone l'Otan, telles que l'ISAF, leurs gouvernements doivent être en mesure de démontrer que leurs propres problèmes de sécurité interne sont bien rencontrés.
Afin de résoudre cette question et d'apaiser les inquiétudes des nouveaux Etats membres au sujet de leurs garanties de sécurité, une Otan sans armes nucléaires devrait démontrer de manière visible un engagement crédible à l'article 5. Les mots sont importants, mais les actions parlent plus fort qu'eux. Fondamentalement, un plus grand niveau d'engagement avec ces partenaires serait une partie du chemin vers l'apaisement de leurs inquiétudes concernant le retrait des armes nucléaires tactiques de boîte à outils de l'Otan. Une façon de faire ça, c'est une planification de la sécurité régionale d'avantage intégrée, et des exercices militaires avec ces partenaires particulièrement inquiets par la menace russes. Mais nous ne devons pas non plus risquer une escalade de la tension avec la Russie par ces activités de coopération. Toute accroissement de la posture défensive à la frontière orientale de l'Otan doit être couplée avec des mesures pour renforcer la confiance entre l'Alliance et la Russie. [...]
Un autre argument pour le maintien des armes nucléaires au sein de l'Otan concerne la menace de la nucléarisation du Moyen-Orient, qui mettrait l'Europe face à une région voisine où chaque conflit conventionnel amènerait avec elle le spectre d'une escalade nucléaire. Sans la présence d'armes nucléaires sur le continent européen et d'un accord sur le partage nucléaire, cette insécurité inhérente amènerait les Etats européens à mettre en question la garantie de sécurité "virtuelle" du parapluie US. Même s'il est vrai qu'une Otan sans armes nucléaires pourrait inquiéter certains États membres, comme indiqué plus haut, peut-on vraiment dire que la présence des bombes nucléaires vieillissantes, transportées par des avions à double capacité européens vieillissants, limités en portée et capacité de pénétration de l'espace aérien ennemi, est tellement plus rassurant? De même, une posture nucléaire aussi anémique fournit-elle vraiment un effet dissuasif significatif pour la poursuite du programme nucléaire iranien? La réponse aux deux questions est certainement non.
Cela signifie que si une Otan nucléarisée devait être une dissuasion crédible aux ambitions nucléaires de l'Iran, un investissement considérable dans la modernisation de cette capacité serait indispensable, et la conséquence involontaire de cela serait probablement une nouvelle course aux armements nucléaires avec la Russie. La volonté politique nécessaire pour s'embarquer dans un tel effort risqué n'existe tout simplement pas. La meilleure alternative serait de canaliser les inquiétudes sur la nucléarisation du Moyen-Orient dans un programme de défense antimissile, un thème repris par la secrétaire d'État Clinton. La défense antimissile, selon elle, ferait de l'Europe un lieu plus sûr, « et cette sécurité pourrait s'étendre à la Russie si la Russie décidait de coopérer avec nous. Cela offre une occasion extraordinaire [pour l'Otan et la Russie ] de travailler ensemble à la construction de notre sécurité mutuelle au 21e siècle »
Une Otan sans armes nucléaires
Vingt ans après la chute du rideau de fer, alors qu'il se transforme en ce début de 21e siècle, le moment est venu pour l'Otan de jouer un rôle de leadership dans la non-prolifération des armes nucléaires. L'Otan est prête, comme aucune autre organisation, pour mener le monde vers l'objectif de se débarrasser des armes nucléaires. Les gouvernements d'Europe occidentale ont mené de plus en plus d'efforts pour le contrôle des armements, la non-prolifération et le désarmement nucléaire dans la politique de l'Alliance. En tant que première alliance militaire de la Communauté Internationale [rien que ça ], l'Otan a une crédibilité et une influence politique que ne possède aucun autre pays ou organisation de sécurité ; mais pour vraiment faire la différence dans le débat de la non-prolifération nucléaire, l'Otan doit engager la communauté internationale, pas seulement parler de non-prolifération nucléaire, mais joindre le geste à la parole. Une Otan sans armes nucléaires nécessitera un certain nombre de mesures audacieuses de la part du QG de l'Otan à Bruxelles et de l'état-major du SHAPE, ainsi que des pays de l'Alliance qui ont l'arme nucléaire (États-Unis, Royaume-Uni et France) et de ceux concernés par le 'partage nucléaire'. Ces mesures incluent les points suivants:
Une l'Otan sans arme nucléaire n'entraîne pas, à court terme, l'adhésion au pacifisme idéalisée du mouvement abolitionniste nucléaire. Tout en préconisant la réduction du rôle des armes nucléaires dans la stratégie de sécurité nationale américaine, et exhortant les autres à faire de même, le président Obama a également déclaré que « tant que ces armes existent, les Etats-Unis maintiendront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire, et garantir cette défense à nos alliés . » Alors que l'Otan en tant qu'alliance militaire sera sans armes nucléaires, la capacité nucléaire restera au sein de la structure des forces de trois membres de l'Alliance - la Grande-Bretagne , la France et les États-Unis - et pourra être amené à être utilisée comme mission unilatérale si les nécessités militaires l'exigent.
La révision en 2010 du Concept de Sécurité de l'Otan est une bonne opportunité pour aborder ces options. Mettre en Ĺ“uvre les mesures discutées dans ce document montrerait au monde que les États nucléaires prennent leurs responsabilités de désarmement nucléaire au sérieux, en redonnant de la crédibilité aux signataires du TNP qui participent au Programme de partage nucléaire de l'Otan. En tant qu'unique organisation internationale à désavouer les armes nucléaires dans sa charte, l'Otan gagnerait beaucoup sur le terrain moral, et deviendrait un acteur clé pour la non-prolifération et le désarmement. En outre, ce changement de politique, plus que toute autre initiative de transformation de l'Otan, démontrerait la capacité de l'Alliance de continuer à se réinventer, à partir d'une posture statique de guerre froide à une organisation de sécurité agile sensibles à un large éventail de défis internationaux en matière stratégique.
Conclusion
Au cours de la dernière décennie, l'Otan a travaillé à se redéfinir au-delà de son héritage de la guerre froide, en transformant l'Alliance pour faire face au nouveau monde post 9 / 11. Avec de nouveaux défis à affronter, tels que la défense antimissile, la sécurité énergétique, et la défense des infrastructures clés (notamment informatiques), l'Alliance doit être capable de recentrer ses efforts. Ses membres ont besoin d'investir dans une modernisation militaire qui s'adresse au nouvel environnement stratégique, et non à celui fondé sur des calculs de l'ère de la Guerre Froide. Le retrait des armes nucléaires tactiques vieillissantes en Europe, qui sont les derniers symboles archaïques de la guerre froide, fournirait à l'Otan l'occasion de montrer de manière audacieuse une nouvelle vision de la sécurité transatlantique. En retirant physiquement ces armes des inventaires de l'Otan et en articulant une politique exempte d'armes nucléaires, l'Alliance fera progresser une nouvelle vision qui est conforme aux points de vues de ses membres sur la non-prolifération et qui démontre clairement la nature défensive non menaçante du pacte de sécurité mutuelle de l'Otan. Un tel changement de politique de l'Otan lui permettrait de devenir un symbole international pour le désarmement nucléaire et de donnerait corps à ses assurances qu'il ne présente pas une menace intrinsèque pour la Russie , ouvrant la voie à des relations plus constructives avec le plus grand et le plus important en terme stratégique de ses voisins