Roland Marounek
5 janvier 2011
Les documents officiels publiés à l'issue du sommet de Lisbonne, et en particulier la Déclaration sur un partenariat durable cosignée avec Hamid Karzai éclairent la manière dont l'Otan envisage l'avenir de sa présence en Afghanistan.
La presse semble avoir conclu un peu hâtivement de la transition annoncée que les forces de l'Otan se retireraient progressivement de 2011 à 2014 pour céder la place à une armée nationale afghane instruite ou construite par l'Alliance. « L'Otan confirme un retrait d'Afghanistan d'ici à fin 2014 » affirme Le Point, « A Lisbonne, les 28 dirigeants de l’Alliance atlantique ont organisé le retrait de leurs troupes d’ici à 2014 », 'analyse' Libération. …
En fait c'est tout le contraire qu'indiquent ces documents1 :
« Le début de ce processus de transition offre au Gouvernement de la République islamique d’Afghanistan et à l’OTAN une occasion opportune de développer un partenariat durable et solide qui complète la mission de sécurité de la FIAS et se poursuive après celle-ci. […]
« Consciente que l’Afghanistan est pour elle un partenaire important, l’OTAN compte apporter aux institutions de sécurité afghanes un soutien pratique prolongé visant […] à maintenir et à améliorer leur capacité et leur aptitude à lutter efficacement contre les menaces pesant sur la sécurité, la stabilité et l’intégrité de l’Afghanistan, et à contribuer à la sécurité régionale.
« Le Gouvernement de la République islamique d’Afghanistan réaffirme son engagement […] à être un partenaire durable de l’OTAN et à fournir à l’OTAN l’aide nécessaire à la réalisation de ses activités de partenariat […]
« Des mesures efficaces de coopération doivent être mises en place conformément […] à la capacité de l’OTAN de lui apporter un soutien prolongé. Ces mesures pourraient inclure les éléments suivants : […] le maintien d’une liaison de l’OTAN en Afghanistan, […] le maintien de la mission OTAN de formation – Afghanistan, […] un programme d'activités supplémentaires de coopération [qui] pourrait prévoir une aide au développement et à la réforme des ministères chargés de la sécurité et d’autres institutions nationales … » etc., etc.
Lors d'une conférence de presse, le Secrétaire général de l'Alliance a été tout aussi clair : « Nous resterons après la transition dans un rôle de soutien... Pour le dire simplement, si les talibans ou qui que ce soit d’autre attend de nous voir dehors, ils peuvent l’oublier. Nous resterons aussi longtemps que nécessaire pour finir le travail »
Il n’y a donc aucune exit strategy dans l’esprit des responsables de l’Otan. Il n’y a qu’une stratégie de duperie à destination de l’opinion occidentale : un départ en trompe-l’œil des troupes combattantes, lesquelles seraient rebaptisées "formateurs", ou "aide au développement", ou "soutien à la sécurité"... Une copie conforme de la manière dont les Etats-Unis ont mis en scène leur retrait d'Irak, et qui se solde là par un stationnement permanent de plus de 50.000 GI's, un nombre indéterminé de mercenaires, et un chapelet d'une cinquantaine de bases militaires conçues pour le très long terme.
Pour ceux (s'il en reste) qui prendraient encore au sérieux la raison officielle de l'invasion et de l'occupation de l'Afghanistan, 9 années de "guerre à la terreur" n'ont fait que multiplier en Afghanistan même les taliban-terroristes (ou prétendus tels), et partout dans le monde les préparations et menaces d'attentats terroristes. Le dernier en date, ce 12 décembre 2010 à Stockholm, la capitale suédoise échappant nous dit-on par miracle à une catastrophe. Malgré les surveillances et atteintes aux libertés qui n'ont fait que s'amplifier de manière démentielle, voila le prodigieux résultat de 9 ans de 'guerre à la terreur' ! Les succès de la lutte contre la drogue, qui fait également partie du bundle de partenariat à long terme, sont tout aussi spectaculaires.
D'autres pourraient bien se souvenir de documents états-uniens bien antérieurs à l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak, qui analysaient très justement la nécessité pour l'Occident (USA en tête comme il se doit) d'établir une présence militaire à long terme en Asie pour maintenir le plus loin possible leur domination globale. « Le renforcement militaire US en Asie est la clé pour parer à la montée de la Chine » écrivaient en 2000 ceux qui allaient diriger les USA un an plus tard, et le constat reste objectivement vrai quelle que soit l'équipe dirigeante. Les dernières provocations délibérées en Corée montrent que l'objectif d'encerclement de la Chine et la perspective d'une confrontation reste bel et bien la ligne directrice de la politique étrangère US. La raison d'être d'une présence militaire occidentale en Afghanistan est tout aussi pressante aujourd'hui, et elle ne le sera que davantage les années à venir : les USA et l'Otan projettent une présence indéfinie en Asie Centrale.
L'unique scénario crédible d'exit strategy d'Afghanistan, est un scénario à la vietnamienne. Il ne fait visiblement pas partie des options officiellement présentées à Lisbonne. Mais a-t'on réellement besoin d'autres fuites pour réaliser que de plus en plus de personnes doutent du succès de l'opération en Afghanistan, et que les « Européens ne sont là que par respect pour les Etats-Unis et non pour l'Afghanistan »2- le 'respect' du vassal pour son maître qui a encore quelques bons moyens de se faire 'respecter'...
1.
Ces documents sont disponibles en français sur le site de l'Otan à l'adresse www.nato.int/cps/fr/SID-330151E2-4D027349/natolive/official_texts.htm
2.
Hermann Von Rompuy, en tant que president du Conseil Européen, 'trahi' sur WikiLeaks