Vladimir Caller
5 janvier 2011
La victoire électorale de Hashim Thaci au Kosovo au Kosovo, très contestée par ses opposants qui l’accusent d’avoir fraudé lourdement, n’a pas semblé émouvoir outre mesure Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies. Le fait que cet ancien patron de l’UCK soit soupçonné de complicité, sinon de participation directe, dans une scabreuse affaire de trafic d’organes ne paraît pas ébranler, non plus, sa haute sensibilité pour tout ce qui touche au strict respect du déroulement et des résultats des rendez-vous électoraux. Sensibilité qui semble, néanmoins, de géométrie quelque peu variable.
Ainsi, le fait qu’en juin 2009 le Président élu du Honduras, Manuel Zelaya, ait été démis de ses fonctions par un coup d’Etat de militaires allergiques à son orientation progressiste n’a suscité d’autre réaction que des regrets aussi pieux que peu sincères, à l’instar de ceux du Président Obama ; regrets destinés en fait à assurer que le putsch en question se stabilise en douceur. Ainsi, Manuel Zelaya peut toujours attendre de retrouver son poste.
Par contre pour les élections en Côte d’Ivoire, pays qui traîne un long et sanglant conflit armé et dont la partie nord reste contrôlée par une des forces belligérantes, M. Choi, le représentant du Secrétaire général de l’ONU, se permet d’assumer le rôle de grand électeur, « certifiant » quelques heures après les proclamations contradictoires des instances indigènes, qui fut le vainqueur du scrutin. Performance de « clarificateur » si rapide que l’on est tenté de regretter qu’il n’ait pas été en poste en Floride lorsque Al Gore perdait sa compétition électorale face à G. W. Bush après d’interminables tractations, ni lors de celles d’Afghanistan qui ont vu M. Karzai très laborieusement et tardivement réélu. On est donc tenté de se demander : pourquoi une telle et sélective précipitation ? Serait-ce parce que M. Ouattara, ancien responsable du chapitre Afrique au sein du FMI, correspond mieux, à la différence de M. Zelaya, au nouveau formatage de la mondialisation si chère, justement, au FMI ?
Poursuivant une claire volonté d’ingérence, autant le Secrétaire Général que le Président français ordonnent au président Gbagbo de déguerpir sans tarder. A quoi ce dernier, Président en exercice, rappelons-le, répond en demandant à leurs troupes de quitter le territoire national, invoquant des preuves de collaboration entres leurs contingents et les forces de la rébellion. Justification non indispensable, nous semble-t-il; un sursaut de dignité face à tant d’arrogance pourrait suffire. Qu’à cela ne tienne, Ban Ki-moon et Sarkozy n’ont pas à tenir compte d’une exigence souveraine et décident de rester. Plus encore, ce dernier, dans un geste inédit, décide de retirer, sans la moindre concertation, sa reconnaissance à l’ambassadeur en fonction à Paris au bénéfice d’un remplaçant à venir. Le gouvernement belge fait de même.
Hélas ce ne sont pas que de simples anecdotes dignes d’une BD de circonstance. Au-delà de ces gestes, nous sommes en train de vivre un véritable bouleversement des normes du droit international. Ainsi, dans un cas, une présence internationale légalement mandatée est en train de se transformer en force d’occupation arbitraire. Dans l’autre, une puissance étrangère décide qui représente la diplomatie d’un pays tiers. Plus grave encore, une intervention armée est envisagée pour mettre en poste un des candidats, ce qui constitue, sauf erreur, une première absolue dans l’histoire des relations internationales : l’emploi de la force pour résoudre un conflit électoral. Aussi, de légères interrogations nous viennent à l’esprit. Pourquoi cette si sage « communauté internationale » n’a-t-elle pas imaginé des mesures semblables pour imposer le candidat Moussavi dans le contexte iranien ? Serait-il moins compliqué – et surtout moins risqué – de mettre des chars à Abidjan qu’à Téheran ? Eut-il été imaginable, suivant la logique bankimoonienne, que lors de la controverse Gore-Bush mentionnés ci-avant, la Côte d’Ivoire ait réclamé l’installation de M. Gore au bureau ovale de la Maison Blanche ? Et ce, sous peine d’exiger l’intervention armée de, par exemple, l’Organisation des Etats Américains (OEA, équivalent américain de la CEDEAO) ?
Que ce soit clair, les remarques de ce chroniqueur n’impliquent nullement de la sympathie et encore moins de l’adhésion politique envers M. Gbagbo ; nous croyons d’ailleurs que le peuple ivoirien mérite mieux que l’alternative qui lui est proposée. Ainsi, si ce texte a un sens, c’est celui d’attirer l’attention sur ce processus qui semble imparable et qui fait que ce grand rêve de gestion équilibrée et honnête des relations internationales qui avait conduit à la création des Nations Unies est en train d’être gravement dévoyé. Et ce, avec le lamentable acquiescement et la participation active de l’Union européenne. Nous l’avions constaté, il y a peu, lors du sommet de l’Otan à Lisbonne où l’ONU accepta sans sourciller le transfert progressif de certaines de ses prérogatives en faveur de l’alliance militaire. Nous le voyons maintenant dans sa douteuse gestion du dossier ivoirien. Toujours, hélas, avec le concours de ceux qui devraient sauvegarder jalousement sa mission d’origine.