Domenico Losurdo
26 août 2011
Désormais même les aveugles peuvent être en mesure de voir et de comprendre ce qui est en train d’arriver en Libye
1. C’est une guerre promue et déclanchée par l’OTAN qui est en cours. Cette vérité finit par filtrer sur les organes mêmes d’ « information » bourgeoise. Sur La Stampa du 25 août, Lucia Annunziata écrit : c’est une guerre « entièrement "extérieure", c’est-à-dire faite par les forces de l’OTAN » ; c’est « le système occidental, qui a promu la guerre contre Kadhafi ». Une vignette de l’International Herald Tribune du 24 août nous montre des « rebelles » qui exultent, mais ils sont commodément installés sur un avion qui porte l’écusson de l’OTAN.
2. Il s’agit d’une guerre préparée depuis longtemps. Le Sunday Mirror du 20 mars a révélé que déjà « trois semaines » avant la résolution de l’ONU étaient à l’œuvre en Libye des « centaines » de soldats britanniques, encadrés dans un des corps militaires les plus sophistiqués et les plus redoutés du monde (SAS). Des révélations ou admissions analogues peuvent être lues sur l’International Herald Tribune du 31 mars, à propos de la présence de « petits groupes de la Cia » et d’une « ample force occidentale en action dans l’ombre », toujours « avant l’éclatement des hostilités le 19 mars ».
3. Cette guerre n’a rien à voir avec la protection des droits humains. Dans l’article déjà cité, Lucia Annunziata observe avec angoisse : « L’OTAN qui a atteint la victoire n’est pas la même entité qui a lancé la guerre ». Entre temps, l’Occident est gravement affaibli par la crise économique ; réussira-t-il à garder le contrôle d’un continent qui, de plus en plus souvent, perçoit l’appel des « nations non occidentales » et en particulier de la Chine ? Par ailleurs, ce même quotidien qui présente l’article d’Annunziata, La Stampa, ouvre le 26 août sur un titre en pleine page : « Nouvelle Libye, défi Italie-France ». Pour ceux qui n’auraient pas encore compris de quel type de défi il s’agit, l’éditorial de Paolo Paroni (Duel de la dernière affaire) est clair : depuis le début des opérations guerrières, caractérisées par l’activisme frénétique de Sarkozy, « on a immédiatement compris que la guerre contre le Colonel allait se transformer en un conflit d’un autre type : guerre économique, avec un nouvel adversaire, l’Italie évidemment ».
4. Voulue pour des motifs abjects, la guerre est menée de façon criminelle. Je me limite seulement à quelques détails repris dans un quotidien au-dessus de tout soupçon. L’International Herald Tribune du 26 août, dans un article de K. Fahim et R. Gladstone, rapporte : « Dans un campement au centre de Tripoli ont été retrouvés les corps criblés de balles de plus de 30 combattants pro-Kadhafi. Deux au moins étaient ligotés avec des liens en plastique, et ceci laisse penser qu’ils ont subi une exécution. Parmi ces morts, cinq ont été trouvés dans un hôpital de fortune ; l’un était sur une ambulance, étendu sur un brancard et ligoté par une ceinture et portant encore une perfusion intraveineuse dans le bras ».
5. Barbare comme toutes les guerres coloniales, la guerre actuelle contre la Libye démontre comment l’impérialisme se fait de plus en plus barbare. Dans le passé, innombrables ont été les tentatives de la Cia d’assassiner Fidel Castro, mais ces tentatives étaient conduites en secret, avec un sentiment si ce n’est de honte du moins de crainte des possibles réactions de l’opinion publique internationale. Aujourd’hui, par contre, assassiner Kadhafi ou d’autres chefs d’Etat non appréciés à l’Occident est un droit ouvertement proclamé. Le Corriere della Sera du 26 août 2011 titre triomphalement : « Chasse à Kadhafi et à ses fils, maison par maison ». Tandis que j’écris, les Tornado britanniques, se prévalant aussi de la collaboration et des informations fournies par la France, s’emploient à bombarder Syrte et à exterminer l’entière famille de Kadhafi.
6. Non moins barbare que la guerre a été la campagne de désinformation. Sans le moindre sentiment de pudeur, l’OTAN a martelé systématiquement le mensonge selon lequel ses opérations guerrières ne visaient qu’à la protection des civils ! Et la presse, la « libre » presse occidentale ? Elle a, à un moment, publié avec ostentation la « nouvelle » selon laquelle Kadhafi bourrait ses soldats de viagra de façon à ce qu’ils puissent plus facilement commettre des viols de masse. Cette « nouvelle » tombant rapidement dans le ridicule, voici alors une autre « nouvelle » selon laquelle les soldats libyens tirent sur les enfants. Aucune preuve n’est fournie, on ne trouve aucune référence à des dates et des lieux déterminés, aucun renvoi à telle ou telle source : l’important est de criminaliser l’ennemi à anéantir.
7. Mussolini en son temps présenta l’agression fasciste contre l’Ethiopie comme une campagne pour libérer ce pays de la plaie de l’esclavage ; aujourd’hui l’OTAN présente son agression contre la Libye comme une campagne pour la diffusion de la démocratie. En son temps Mussolini n’avait de cesse de tonner contre l’empereur éthiopien Hailé Sélassié comme « Négus des négriers » ; aujourd’hui l’OTAN exprime son mépris pour Kadhafi « le dictateur ». De même que la nature belliciste de l’impérialisme ne change pas, ainsi ses techniques de manipulation révèlent de significatifs éléments de continuité. Pour clarifier qui exerce réellement aujourd’hui la dictature à niveau planétaire, plutôt que de citer Marx ou Lénine, je veux citer Emmanuel Kant. Dans un texte de 1798 (Le conflit des facultés), il écrit : « Qu’est-ce qu'un monarque absolu ? Celui qui, quand il commande : "la guerre doit être", la guerre suit en effet ». En argumentant de la sorte, Kant prenait pour cible, en particulier, l’Angleterre de son époque, sans se laisser tromper par les formes « libérales » de ce pays. C’est une leçon dont nous devons tirer profit : les « monarques absolus » de notre époque, les tyrans et dictateurs planétaires de notre époque siègent à Washington, à Bruxelles et dans les plus importantes capitales occidentales.
Publié vendredi 26 août 2011 sur le blog de l’auteur
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Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio