Roland Marounek
1 octobre 2011
Le 7 octobre 2001 commençait la guerre et l'occupation de l'Afghanistan. Dix ans plus tard, le bilan est tragiquement désastreux, et le contraste est frappant entre les discours merveilleux du début de l'intervention et la réalité de l'Afghanistan d'aujourd'hui.
Après 10 années d'aide occidentale :
- L'espérance de vie est de 45 ans (contre 46 en 2001)
- Le taux de mortalité infantile est de 149 pour 1000, (147 pour 1000 en 2001)
- Le taux d'alphabétisation est de 34%, taux qui tombe à 18% pour les femmes1
Après une décennie de contribution à la reconstruction de l'Afghanistan de la part de l'Occident, le pays se classe à la 2e place mondiale de la mortalité à la naissance, et à l'avant-dernière place pour l'espérance de vie…
En ce qui concerne la libération des femmes et l'amélioration globale des droits humains rien de ce qui avait été promis au début de la guerre ne s'avère bien consistant aujourd'hui. Les États-Unis et les dirigeants otaniens sont plutôt anxieux de ne pas arriver à se concilier les taliban malgré tous leurs efforts pour les corrompre. De l'avis général, les taliban reviennent en force ; estimés à quelques milliers au début de la guerre, ils semblent se multiplier avec les bombardements. Il y a là un problème de logique élémentaire.
Pour ce qui est de l'aide humanitaire, loin d'en être le soutien indispensable prétendu, la présence militaire agit directement à son encontre : En mettant 'officiellement' l'humanitaire comme justification de sa présence militaire, l'Otan fait des humanitaires ses agents directs de l'invasion, et les expose comme cible 'légitime' (comme parlerait l'Otan) de l'insurrection. Le travail humanitaire s'en trouve pratiquement compromis. Un deuxième aspect plus pernicieux de cette politique, c'est que les "valeurs" somme toute raisonnables, éducations des filles, droits des femmes, etc., en étant mises en avant par les occupants pour justifier leur occupation, apparaissent dès lors également à combattre par la résistance à l'occupation, talibane ou non. Autrement dit, cette politique conduit dans les faits à décrédibiliser les valeurs qu'elle prétend défendre
Là où l'Afghanistan crève incontestablement tous les records, c'est en termes de production d'opium, où il se hisse fièrement à la première place incontestée avec plus de 90% de la production mondiale (alors qu'en 2001 les taliban avaient pratiquement éradiqué la culture du pavot). Pour mettre en évidence les prodigieux succès de l'Otan en Afghanistan, notre ministre des Affaires Étrangères de l'époque Karel De Gucht avait même claironné en 2008 que son produit national brut avait doublé : il prenait simplement en compte la production d'opium…
Quant à la justification première de cette guerre, en dehors des fioritures humanitaires, qui était d'éradiquer la menace terroriste dans le monde, chacun peut se faire une idée de sa réussite aujourd'hui. Fallait-il vraiment attendre 10 ans pour juger du sérieux qu'il fallait accorder à cette affirmation, "lutter contre le terrorisme en allant bombarder et occuper un pays" ? Le caractère fantaisiste de cette justification saute par ailleurs aux yeux lorsqu'on voit qu'à l'occasion de la guerre contre la Libye, l'Otan a littéralement ouvert le passage à coup de bombes aux combattants d'Al Qaida. Le chef militaire de Tripoli aujourd'hui est l'un des fondateurs du Groupe islamique combattant libyen qui a commencé son jihad dans les années 80 en Afghanistan, au côté d'un certain Oussama Ben Laden2.
De l'opposition à la guerre en Afghanistan au soutien à la guerre en Libye
Même ceux qui figuraient parmi les plus farouches défenseurs de l'intervention en Afghanistan pour des raisons humanitaires (droits des femmes en particulier) doivent bien constater l'évidence. Si certains estiment que, puisque le remède n'a pas eu les résultats annoncés, il faut donc en administrer davantage, plus de militaires, plus d'occupation, plus de bombes…, d'autres remettent de façon plus en plus affirmée en cause la participation de notre pays dans cette guerre. Outre l'ensemble du mouvement de la paix, c'est notamment le cas des partis dit 'de gauche' en Belgique
Cependant les raisons de cette opposition reposent souvent sur un biais particulièrement dangereux : en substance, une certaine opposition progressiste estime que l'Otan, l'Occident dans son ensemble a échoué, pour de mauvaises raisons diverses, dans une juste entreprise d'aide à l'Afghanistan en 20013.
C'est bien cette perception fondamentalement fausse qui a conduit les mêmes représentants 'progressistes' à approuver en mars dernier sans le moindre sourcillement la nouvelle intervention de l'Alliance Atlantique 'hors-zone', drapée comme il faut d'oripeaux humanitaires. Si dans 10 ans la Libye est un autre immense gâchis dans lequel est embourbé l'Otan, la raison en sera-t-elle que l'Occident a encore, bizarrement, échoué dans sa noble intention de venir généreusement en aide aux Libyens ?
Prendre au sérieux les affirmations de l'Otan selon lesquelles elle était en Afghanistan pour éradiquer Al Qaida, ou pour libérer les femmes (ou en Libye pour protéger les populations civiles) mais que pour des raisons obscures ça n'a pas marché, cela ne peut mener qu'à accepter les autres guerres à venir. Il me semble essentiel d'arriver à se réveiller de cet aveuglement.
Il ne faut pas être angélique : L'Otan comme toute autre armée d'une puissance économique de l'histoire humaine, n'a aucunement pour vocation d'être une entreprise caritative. L'occupation de haut-plateaux stratégiques qui surplombent la Russie, la Chine et l'Iran n'a rien à voir avec le développement des populations afghanes ou le droit des femmes.
La guerre en Afghanistan est-elle vraiment un échec pour l'Otan ?
En adoptant son dernier Concept Stratégique en novembre dernier à Lisbonne, l'Otan s'arroge officiellement "le droit" de mener des expéditions militaires n'importe où dans le monde, pour toute une gamme de raisons incluant par exemple la sécurité de l'approvisionnement en énergie des pays occidentaux. Les choses sont dites sans la moindre équivoque : l'Otan est l'instrument destiné à maintenir l'ordre occidental sur la planète, permettant de cadenasser toutes les régions où des puissances émergentes pourraient contester son leadership.
La perception selon laquelle l'Otan chercherait à sortir de l'Afghanistan est directement contredite par les textes publiés en marge de ce même sommet, et par les faits mêmes : les États-Unis sont en train de construire des bases militaires conçues pour le long-terme. La "passation de pouvoir" annoncée pour 2014, entre les forces de l'Otan et l'armée nationale afghane devrait plutôt s'apparenter à un "changement de casquette" : de façon explicite l'Otan entend rester en Afghanistan, à la demande bien sûr du "pouvoir" qu'elle contribue à maintenir tant bien que mal en place, "pour un partenariat à long terme qui se poursuive au-delà de la mission de l'ONU" (prétexte actuel de la présence de l'Otan).
2014 est également la date où le fameux pipe-line "TAPI" (Turkménistan-Afghanistan, Pakistan-Inde) devrait enfin être mis en service. Ce projet qui avait déjà justifié l'aide apportée par les USA aux Taliban dans les années 90, concrétiserait l'accession aux richesses énergétiques de la Caspienne. L'Otan doit être l'acteur essentiel de la sécurisation du trajet de ce pipe-line.
L'objectif réel de la guerre en Afghanistan, comme de celle en Libye et de celles qui s'annoncent, est de tenter de maintenir le plus longtemps possible la mainmise de l'Occident sur le monde, et de contenir la montée en puissance de pays du Tiers-Monde, en particulier de la Chine. Avoir la main sur les ressources énergétiques est une condition préalable évidente.
Que fait la "défense" belge en Afghanistan ?
La question de l'échec ou du succès de l'intervention en Afghanistan n'affleure même pas dans les propos de Pieter De Crem. La question pour notre ministre de la défense, qui vise peut-être le prochain poste de Secrétaire Général, semble essentiellement être celle de l'image de la Belgique en tant que partenaire docile et fiable de l'Otan : "Les opérations militaires à l'étranger sont le ‘core business’ de la défense belge" répète-t-il. "Ma mission était de réformer l’armée et de faire en sorte que la Belgique redevienne crédible en participant à des opérations militaires à l’étranger.4"
Nous, nous estimons plutôt que la "défense" belge doit en revenir à sa notion fondamentale, celle de la défense du territoire. La défense de la Belgique ne passe certainement pas par des expéditions de type colonial, en Libye, en Afghanistan ou ailleurs.
Notes
1. Chiffre tirés du PNUD et du "World Factbook" de la CIA ; les chiffres concernant l’alphabétisation sont de 2008
2. Libération, 26 août
3. Cf Alerte Otan n°37, avril 2010
4. La Libre Belgique, 1er juin