Mouna Alno-Nakhal
14 décembre 2011
L’interview du Président Bachar el-Assad, réalisée par la journaliste Barbara Walters et diffusée sur ABC News le 7 décembre 2011, a été l’objet d’une campagne de calomnies hystériques de la part de nos médias. Nombre de journalistes, commentateurs, analystes, se sont employés à présenter ce que le Président syrien avait déclaré, pour le retourner contre lui, le qualifiant de « fou », de « dictateur sanguinaire », etc.
D’une chaîne de télévision ou de radio à l’autre, on a pu constater une approche et des procédés identiques, de la part d’intervenants pourtant de sensibilités différentes.
La Palme d’Or pourrait revenir à France 241 pour l’émission Focus/ Répression en Syrie : « Assad nie avoir ordonné de tuer des manifestants. » Un reportage long format décrypté par son auteur Ben Barnier ; et un présentateur ironique qui, d’emblée donne le ton : « Il fallait oser ! ».
Chose étonnante en effet qu’un Président puisse accorder un entretien à une journaliste d’un pays ennemi déclaré, qu’il sait indocile et roulant pour son propre compte ! Ce n’est pas ce à quoi nous avons été habitués jusqu’ici.
« La Syrie est cette année l’exemple le plus caricatural… le plus emblématique… le mot est meilleur… de l’usage de la torture pour tenter de mettre au pas toute une population, une barbarie comme on en voit peu, notamment parce qu’elle s’exerce à l’égard des enfants … » affirme Jean Etienne Linaries de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture).
Jean Etienne Linaries n’a-t-il pas entendu les évêques, archevêques, patriarches, prêtres, et chrétiens d’Orient affirmer, sans peur, que tout ce qu’il raconte est un tissu de mensonges et que la barbarie en Syrie est le fait de bandes armées soutenues par des puissances étrangères dont la France ? Barbarie, volontairement ou involontairement, légitimée par ces journalistes qui font mine de l’interroger ? Tout cela devant conduire à diviser les syriens et à les jeter dans la guerre civile, dans le seul but d’assassiner leur arabité et leur laïcité au profit d’un islamisme radical qui en ce moment sert l’agenda de ces puissances qui veulent, à tout prix et par n’importe quel moyen, déstabiliser la Syrie comme cela s’est fait en Libye ? Trop compliqué pour Monsieur Linaries qui comme attendu récite sa leçon et la Messe est dite !
Passons sur l’opposant anglophone qui arrive juste à temps pour nous dire « honnêtement », et sur tous les tons, qu’el-Assad fabule et ment parce qu’il aurait perdu le contrôle des événements. Il n’est là que pour nous conditionner à recevoir la parole d’un éminent communicant de nationalité syrienne : « Samir Aïta, directeur rédacteur en chef du “Monde diplomatique - Editions Arabes” et qu’il avait du reste contribué à créer en 2005 en partenariat avec l’édition française. En 2000, il a fondé une société de conseil en économie et en technologies de l’information, qu’il dirige toujours. Il est également président du “Cercle des économistes arabes” » 2 ! Par conséquent, le « training » des politiciens, il connaît.
À la question : « Que pensez-vous de la réaction de Washington qui considère qu’il s’agit, soit d’un Président aujourd’hui carrément coupé de la réalité, soit carrément fou ? Faut-il le prendre au mot lorsqu’il dit que seul un fou peut commettre ce type d’acte ? », Samir Aïta reprend les arguments bien connus de la Ligue Arabe et du CNS (sans le nommer) ; prétend que l’assassinat révoltant des sept pilotes par des terroristes relève de la responsabilité du Président et de son armée ; nous dit que le régime est tombé depuis des mois…
Il a proclamé tout cela en faisant mine d’ignorer que la Syrie se dirige d’ores et déjà vers une nouvelle constitution et des élections. Fin stratège, il a pris le pari qu’une fois les 200 observateurs de la Ligue arabe entrés dans le pays, deux millions de Syriens rassemblés à Damas réclameront la chute de leur Président.
Pour finir, Monsieur Aïta arrive à juger, d’un regard, qu’el-Assad est très gêné et qu’ « on a fait un montage pour montrer de l’assurance et ce que ça donne, de l’autre côté, c’est un surréalisme total » ! Sur ce dernier point, il n’a pas tort.
En effet, le porte parole du ministère des Affaires Étrangères syrien, le Dr Jihad Makdessi, lors d’un point de presse, a dû remettre dans son contexte l’entretien tel qu’accordé par le Président el-Assad à ABC News. Dans la vidéo que nous vous présentons ici 3 il s’exprime en anglais ainsi que des journalistes présents à la conférence de presse. Le tout est entrecoupé d’interventions en langue arabe.
Il ne sera pas difficile, pour qui le voudra, de comprendre que le Docteur Makdessi compare la version trafiquée par la chaîne ABC News (d’environ 5 : 53 minutes) 4 5 qui nous a été proposée, avec des séquences de la version initiale et intégrale de l’entretien (de 46 : 18 minutes) 6 telle qu’elle figure sur le site même de cette chaîne américaine. Séquences dont le contenu a été détourné de son sens premier et qu’il s’est proposé de rétablir au moins sur trois points : l’armée syrienne, la déraison américaine, et la crédibilité de l’ONU.
En résumé, le Docteur Makdessi qualifie de « regrettable », la déformation des déclarations du Président el-Assad à laquelle s’est livré le Département d’État américain avant même que l’entretien ne soit diffusé par ABC News, déclarations sur lesquelles s’est alignée cette chaîne malgré le « gentlemen’s agreement » passé avec elle. Et… déclarations que France 24 rappelle en ces termes 7 : « De tels propos ne sont "pas dignes de foi", a réagi le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney : "Le monde entier est témoin de ce qui s’est passé en Syrie. Les États-Unis et de nombreux pays (...) savent exactement ce qui se produit, et qui en porte la responsabilité" ». Par conséquent, après ABC News, à France 24 de s’aligner à son tour !
Ce qui pour le Docteur Makdessi témoigne, une fois de plus, d’une volonté manifeste de sabotage du message du Président syrien et concorde avec le fait que, chaque fois que la direction syrienne a ouvert la porte à une « certaine » presse, celle-ci s’est livrée à une falsification des faits.
Toujours pour le Docteur Makdessi, dans ce cas précis, le but évident de la manœuvre était de faire passer le Président pour un irresponsable, de s’en prendre à la dignité de l’armée syrienne et, à travers elle, au peuple syrien tout entier. Mais l’armée n’en sort que plus renforcée dans sa détermination à « défendre la patrie » puisqu’il est désormais très clair qu’elle n’a été mise en cause qu’une fois que les sanctions économiques, politiques, diplomatiques, et même confessionnelles se sont révélées vaines. Il en est de même pour la dignité du peuple syrien qui se retrouve encore plus solidaire et confiant en l’héroïsme de son armée.
Finalement, pour la diplomatie syrienne, ce n’est qu’une falsification de plus qui est loin d’avoir atteint son but. Au contraire elle démontre la déraison et le manque de professionnalisme de la diplomatie américaine aussi bien que de la chaîne ABC News, lesquelles ne pouvaient se résoudre, par exemple, à laisser entendre la véritable réponse données par le président syrien à la question : « Ne pensez-vous pas que l’ONU est une organisation crédible ? ». Sa réponse qui pourrait remettre en cause les certitudes du citoyen américain a été la suivante : « Non, pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais appliqué aucune des résolutions ayant trait au monde arabe comme, par exemple, celles concernant les territoires palestiniens et syriens. S’il fallait ne considérer que les droits de l’homme dont ils ne cessent de parler, qu’en est-il de la souffrance des Palestiniens sous occupation territoriale et qu’en est-il de ma terre et de mon peuple qui vit sous occupation israélienne ? Non bien sûr. Non. »
D’un conflit à l’autre, d’une guerre à l’autre, faut-il que les journalistes, par parti pris ou par paresse, continuent à aller systématiquement dans le sens du vent, dans le sens où les pouvoirs veulent les diriger ? Après l’Irak, après la Libye, les gouvernements occidentaux, France en tête, cherchent à accréditer aux yeux du public, qu’il y a urgence à renverser el-Assad.
Cette campagne anti Bachar el-Assad revient à légitimer les tentatives de déstabilisation de la Syrie en faisant recours à des groupes armés, en effet « fous » et « sanguinaires », qui servent les visées stratégiques d’Israël, de la France, du Qatar, de la Grande Bretagne et des États-Unis et non pas les intérêts de leur peuple. Elle participe des mêmes stratagèmes qui ont été utilisés pour monter l’opinion contre Saddam Hussein en 2003, et pour justifier l’intervention étrangère contre Mouammar Kadhafi en février 2011.
À quoi cela a-t-il abouti ? À détruire ces deux pays ; à jeter leurs peuples dans l’horreur, à les ruiner. La majorité des Syriens soutiennent Bachar el-Assad, n’est sourd que celui qui ne veut pas l’entendre ! Ils ne veulent pas d’une intervention étrangère qui conduirait à une déstabilisation régionale majeure, leurs problèmes sont à régler en « interne », opposition comprise, non par des intervenants « extérieurs » qui ont clairement démontré leur irresponsabilité par leurs agissements et leurs déclarations allant à l’encontre des intérêts de leurs compatriotes et de leur patrie.
Si tous les immigrés, expatriés, exilés, réformateurs, ou opposants patriotes syriens, réunissaient leurs efforts pour contrer cette guerre médiatique, la Syrie n’aurait plus rien à craindre... les Syriens le méritent !
Mouna Alno-Nakhal
Biologiste
Notes
1 france24.com
2 prixsamirkassir.org
3 youtube.com
4 TRANSCRIPT : ABC’s Barbara Walters’ Interview With Syrian President Bashar al-Assad (Anglais)
abcnews.go.com
5 TRANSCRIPT : Interview de Barbara Walters d’ABC News avec le President Bashar al-Assad (Français)
alterinfo.net
6 youtube.com
7 france24.com