Roland Marounek
31 mars 2011
C'aurait pu être une de ces simulations qu'affectionnent tant les grosses légumes gradées de l'Otan lors de leur réunion pour sensibiliser les ministres à encore davantage de crédits : un groupe de terroristes a réussi à concevoir un virus informatique, qui s'est attaqué à une centrale nucléaire, aux États-Unis disons, et dont l'action est de bloquer tous les systèmes d'alerte. En bref pendant que le virus ordonne aux automates de pousser les machines à fond, les écrans de contrôle affichent que tout est ok. Résultat, la centrale nucléaire explose comme, à Tchernobyl, sans qu'aucun contrôle n'ait pu détecter quoi que ce soit, avec tous les dégâts humains et écologiques que l'on peut imaginer. A côté de cela, les terroristes du 11 septembre prennent une allure d'amateurs.
Et bien, ceci n'est pas une fiction. C'est très exactement, à la localisation près, le scénario qui était prévu par les concepteurs du virus Stuxnet : un virus conçu pour bloquer un certain sous-programme spécifique du système de la centrale nucléaire de Bouchehr, en Iran, et spécifiquement celle-là. Et le virus a bel et bien atteint le système informatique du réacteur de Bouchehr ; s'il n'avait pas été découvert à temps, en phase de test, le scénario Tchernobyl n'aurait peut-être pas pu être évité.
Autre différence sensible : si cela s'était produit contre une centrale US, le Monde Libre se serait levé comme un seul homme (un peu comme lorsque Ahmadinejad parle à la tribune des Nations Unies), et personne n'aurait protesté contre une juste intervention pour mettre ces terroristes hors d'état de nuire. Ici, le Monde Libre semble plutôt se féliciter du bon tour joué.
Le virus Stuxnet est bel et bien un acte de guerre contre l'Iran, et le préfixe bien propre de 'cyber' ne doit pas occulter la réalité et le caractère létal de cette attaque. Même si l'explosion nucléaire a pu être évitée, le blocage du développement économique provoque également directement des morts.
"Guerre au terrorisme", ou bien "terrorisme, arme de guerre" ?
La cyber-attaque a beau avoir été particulièrement spectaculaire, elle n'est que l'une des multiples méthodes utilisées pour tenter de bloquer la voie de l'indépendance énergétique de l'Iran. Il s'agit d'un enjeu crucial. Si cette indépendance pouvait être acquise, cela sonnerait le glas des espoirs états-uniens de contrôle et de mainmise sur toute la région.
Une des méthodes qui passe beaucoup plus inaperçue est l'assassinat ciblé de scientifiques. C'est ainsi que l'AFP rendait compte en novembre 2010 d'attentats à la voiture piégée perpétrés contre des professeurs à l'Université de Téhéran. Depuis 2007 cinq scientifiques ont ainsi été visés par des actes terroristes, et trois d'entre ont perdu la vie. En août 2010 l’ingénieur aéronautique iranien Reza Baruni, est mort assassiné dans l'explosion criminelle de sa maison.
Le kidnapping du physicien Shahram Amiri par les services secrets américains qui avaient tenté de le faire passer pour un transfuge, avant qu'il n'arrive à s'échapper est un autre exemple de cette guerre sournoise.
Le sabotage des efforts de l'Iran pour gagner son indépendance énergétique passe également par le soutien direct aux groupes terroristes et indépendantistes, en Iran mais également au Pakistan, groupes dont les actions de sabotage contre les gazoducs iraniens est l'une des raisons de la non-concrétisation du vieux projet de pipeline Iran-Pakistan-Inde, ou 'pipe line de la paix', et du retrait des investisseurs chinois. Cf. www.atimes.com/atimes/South_Asia/MB19Df01.html
Ce projet de pipeline devant approvisionner le Pakistan et l'Inde en gaz iranien, et, par voie de conséquence, briser le blocus de fait contre l'Iran, se heurte depuis plus de 16 ans aux énormes pressions états-uniennes sur l'Inde et le Pakistan. L'Inde s'est retirée du projet en 2008 après avoir signé un traité très complaisant sur le nucléaire avec les États-Unis. Le Pakistan après avoir pourtant signé un accord formel en mars 2010, semble à présent différer indéfiniment sa réalisation.
Enfin les sanctions de l'ONU contre l'Iran, sanctions aggravées unilatéralement par les États-Unis et l'Europe, montrent bien qu'il ne s'agit pas de lutter contre la construction d'une mythique bombe nucléaire, mais bien de mettre l'Iran à genoux en l'asphyxiant et en le privant des sources indispensables à son développement. Comme cela a si bien réussi contre l'Irak, la Yougoslavie, la Libye.
L'embargo, s'il réussit, est une arme de guerre réellement efficace et meurtrière. Plus il dure, plus les conséquences sont ressenties cruellement par la population, et plus on peut espérer qu'une partie de celle-ci se désolidarise de ses gouvernants.
Repérages avant bombardements ?
Début mars l'Iran avait annoncé avoir abattu plusieurs drones ayant pénétré son espace aérien, et on se souviendra sans doute de ces touristes US maladroits qui se retrouvaient malencontreusement en Iran en faisant du trekking dans le Kurdistan.
Je ne pense pas qu'il faille prendre ces informations à la légère. En novembre 2001, le Washington Post racontait fièrement que cela faisait 18 mois que la 'Division des Activités Spéciales' de la CIA "travaillait" en Afghanistan avec les chefs de guerre et les tribus, et que les drones Predator menaient des collectes de renseignements qui s'étaient révélées essentielles pour les bombardements à venir dans cette guerre contre l'Afghanistan. cf.: www.washingtonpost.com/wp-srv/politics/CIA18.html
Il fait peu de doutes que ce genre d'opérations est en cours en Iran, et une attaque militaire directe de l'Iran reste une option, si "le plan A" devait continuer à ne pas vouloir fonctionner comme espéré, le changement de régime par une "révolution" de la bonne couleur.
Tunisie, Égypte, Libye, … Iran?
L'Onde de choc des révolutions arabes
La chute de Ben Ali, suivi de celle de Moubarak, soit de deux alliés de l'Occident, a provoqué une véritable onde de choc, mais pas tant dans le 'monde arabe', que dans le monde des progressistes occidentaux qui ont voulu y voir un signe d'une défaite de l'impérialisme occidental.
La révolte tunisienne semble bien être partie du peuple - mais elle a très vite été reprise par les États-Unis (l'allié français n'étant manifestement pas mis au courant), dont le gouvernement a très officiellement soutenu les revendications du peuple tunisien, et a demandé à Ben Ali, qui n'a rien à leur refuser, d'"écouter la voix du peuple" qui lui hurlait "dégage".
Le départ de Ben Ali a été le signal pour l'activation d'un groupe de 'cyber-activistes' qui avait été envoyé dès 2009 en Serbie auprès d'Otpor, pour recevoir une formation en arabe sur 'comment renverser un dictateur'. Otpor est ouvertement subventionnée par 'Freedom House', c'est à dire directement par le gouvernement US, et d'autres aussi intéressants organismes US de promotion de la démocratie. La page Facebook qui de l'avis de beaucoup a joué un rôle fondamental, était créée par le chef du marketing chez Google pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. « Les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube reflètent la puissance des technologies de connexion en tant qu'accélérateurs du changement politique, social et économique », déclare Hilary Clinton. A nouveau Obama appelle Moubarak à "écouter le peuple" et l'armée laisse singulièrement faire le mouvement. Rien n'aurait été possible sans cela.
Et tous les dirigeants occidentaux, les mouvements de gauche, et tous les médias, se retrouvent dans une émouvante communion pour louer la révolution. Obama déclare avec lyrisme « Le peuple d'Égypte a parlé, sa voix a été entendue, par sa démission, le président Moubarak a répondu à la soif de changement du peuple égyptien. » Bush, Obama, même combat pour la démocratie dans le Grand Moyen Orient…
Tout cela n'est-il pas curieux, pour une révolution supposée signifier un affaiblissement majeur des intérêts des États-Unis dans la région?
Le bénéfice d'avoir "une démocratie" (comme en Irak) à la place d'une dictature bien peu présentable, avec un dictateur par ailleurs en train de mourir rongé par le cancer, sont multiples. Mais l'essentiel n'est peut-être pas là.
L'étape suivante a été celle de la Libye. Pour beaucoup, c'est très simple : 'les peuples tunisiens et égyptiens ont chassé leur dictateur respectif, et le peuple libyen chasse à son tour son dictateur', et on refuse de voir l'évidence, c'est qu'il s'agit là d’une insurrection armée, qui, coïncidence, part de la région frontalière à l'Égypte. Non, c'est 'le peuple libyen' pour la grande majorité des progressistes occidentaux, et ils ne font que discuter si il faut aider le peuple libyen dans sa révolution, ou si au contraire, on serait en train de 'voler au peuple libyen sa révolution' en intervenant militairement (c'est-à-dire de façon trop voyante).
Le dernier épisode de l'Onde de choc est selon moi parfaitement prédictible : ce sera la révolte du peuple iranien contre la dictature des mollahs. Et il ne fait aucun doute que l'ensemble du mouvement de la paix et des 'progressistes', bien chauffés depuis des années par la propagande anti-Ahmadinejad, n'accepte comme parole d'évangile toutes les informations sur les atrocités perpétrées par les sbires du régime sanguinaire, et ne reproduise à cette occasion leur débat stérile et démobilisateur actuel, et les infinies variations sur "Ni Otan, ni Ahmadinejad".
J'imagine déjà les communiqués pacifistes du style "Notre soutien inconditionnel au soulèvement de peuple iranien face à son régime dictatorial et meurtrier doit passer par d’autres modes d’action que la guerre. Soyons doux rêveur et utopiste - un embargo par exemple?"
« En raison de l'embargo contre l'Irak, près de 500 000 enfants mourront de maladies très faciles à soigner, comme la diarrhée ou la dysenterie. Comme l'explique le docteur Amir Khadir (délégué de Médecin du Monde), les indices de développement humain de l'Irak ont reculé de 40 ans depuis les sanctions. » archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/conflits_moyen_orient/clips/3028/
La journaliste : Nous avons entendu que plus d'un demi-million d'enfants sont morts [des suites de l'embargo]. C'est plus qu'Hiroshima. Est-ce que le prix en vaut la peine?
Madeleine Albright : Je pense que c'est un choix très difficile. Mais nous pensons que le prix en vaut la peine